Evolution de la situation énergétique allemande : Paramètres et incertitudes pour la période 2012-2020
A la suite de l'accident de Fukushima, l'Allemagne a pris trois décisions majeures pour son industrie électrique : l'arrêt immédiat de huit réacteurs nucléaires, la fermeture accélérée des neufs autres, afin d'avoir abandonné complètement l'énergie nucléaire en 2022, et l'utilisation massive des énergies renouvelables comme source de l'électricité consommée dans le pays. La part visée pour cette source se situe à 35% dès 2020 et 80% en 2050. En complément aux nouvelles décisions, la détermination à réduire les consommations d'énergie a été réaffirmée.
Ces trois décisions soudaines ramènent en fait la politique énergétique allemande sur les rails posés dès 2000. La bifurcation fugitive opérée fin 2010 n'avait pas altéré l'orientation fondamentale antérieure ; malgré le délai allongé qu'elle accordait au parc nucléaire, elle confirmait son caractère volontariste, aussi bien pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre que pour la diminution des consommations d'énergie. Cette relative constance dans les choix explique que le pays ait pu se doter en quelques semaines d'un corpus législatif très complet et marqué par une grande cohérence. Cependant, alors que l'émotion liée à l'accident de Fukushima s'estompe, l'importance de l'effort demandé par le nouveau cadre législatif commence à susciter des réactions de repli.
Les réserves concernent notamment la loi encadrant la promotion des énergies renouvelables, dite loi EEG. Entérinant les objectifs ambitieux relatifs à leur part dans l'alimentation électrique, elle confirme le dispositif des tarifs d'achat garantis pendant 20 ans pour stimuler leur production. Le surcoût correspondant, au regard des sources conventionnelles, restera supporté essentiellement par les consommateurs domestiques, dont la facture sera sensiblement majorée.
Dans ce cadre, pour un moindre volume d'énergie primaire en 2020, la proportion des trois grandes énergies fossiles devrait demeurer relativement stable, tandis qu'en pourcentage, les énergies renouvelables occuperaient la fraction abandonnée par l'énergie nucléaire. Dans le secteur de l'électricité, malgré une consommation réduite de 10 %, la capacité installée devra augmenter d'environ 15 % d'ici 2020 en raison du recours accru à des énergies intermittentes. Le photovoltaïque devrait représenter 26 % du parc de production allemand en 2020 et les éoliennes (terrestres et maritimes) 23 %, mais la production cumulée de ces deux sources ne fournirait que 25 % de l'électricité, les énergies fossiles en apportant 55 %.
La décision de fermer immédiatement les 8 réacteurs les plus anciens a d'abord été annoncée comme un moratoire. En raison de l'interdépendance des marchés de l'électricité en Europe, ce moratoire sans préavis a provoqué une secousse sérieuse dans les pays voisins, aussi bien physique, en inversant des flux de courant, que financière, en majorant les prix. Placés devant le fait accompli, les autres pays européens se trouvaient dans l'impossibilité de prendre une décision comparable, sauf à engendrer un risque sérieux sur la sécurité d'approvisionnement électrique de toute l'Europe.
Le moratoire est ensuite devenu une décision définitive. A court terme, le retrait d'une capacité de production nucléaire de 8,3 GW au cœur de l'Europe sera d'abord compensé par les centrales existantes, avant que de nouvelles unités puissent être construites. Les moyens de production sont suffisants, mais le réseau européen n'est pas adapté à la configuration ainsi créée. Dans la période de quelques années nécessaires à la mise en service de nouvelles centrales ou de nouvelles lignes, le réseau européen restera fragile, notamment en cas d'évènement climatique exceptionnel.
Dans les prochaines années, des centrales offrant une capacité de production garantie seront indispensables en Allemagne pour assurer la continuité de l'alimentation, en complément des unités intermittentes prévues (éoliennes, photovoltaïques). La fermeture des 9 derniers réacteurs nucléaires entre 2015 et 2022 et celle de plusieurs centrales conventionnelles très anciennes seront donc compensées par la mise en service de nouvelles centrales thermiques.
La libéralisation du secteur électrique européen a donné une place accrue aux marchés pour la fixation des prix. Sur le marché spot, le retrait de l'offre nucléaire allemande à bas prix et son remplacement par des unités au gaz ou au charbon pousse mécaniquement les prix à la hausse lorsque la demande est inchangée. La mise en service progressive d'une production d'origine renouvelable, dont le coût variable est encore plus bas que celui de l'énergie nucléaire, ne compensera que partiellement cette perte, en raison d'une moindre disponibilité et d'un mode de rémunération des producteurs basé sur un tarif d'achat indépendant du marché. Toutefois, fin 2011, une chute des consommations d'électricité en Europe de l'Ouest a ramené les prix vers leurs niveaux du début de l'année
Au regard du risque climatique, le recours accru à des sources fossiles en remplacement de l'énergie nucléaire majorera les émissions de CO2. L'Allemagne dispose néanmoins de marges qui devraient lui permettre de respecter malgré cette hausse son engagement dans le cadre du protocole de Kyoto. Ces émissions entrent aussi dans le système ETS ; l'augmentation des rejets devrait donc entrainer une hausse du prix du quota de CO2 sur le marché européen. Cependant, la réduction des émissions liée au ralentissement économique et la disponibilité de quotas d'origine extérieure à l'Union Européenne ont exercé en 2011 une pression à la baisse sur le prix du quota, qui a plus que compensé le facteur majorant allemand. A partir de 2013, le prix du quota conditionnera aussi les recettes espérées par le gouvernement allemand.
Ces recettes seront bienvenues, car le tournant énergétique place l'Allemagne face à un besoin considérable en investissements, dans une période de ressources financières réduites par la crise économique de la Zone Euro, et expose ses consommateurs domestiques à la perspective d'une augmentation des tarifs de l'électricité, dans une période marquée par l'aggravation de la précarité. Les consommateurs industriels se sentent également menacés. En revanche, la nouvelle politique énergétique donnera un avantage certain aux entreprises allemandes pour conquérir des positions fortes sur les marchés internationaux de l'équipement énergétique. L'industrie vise la fourniture de produits à hautes performances technologiques, aussi bien dans les énergies fossiles que renouvelables. Le champ expérimental ouvert dans tout le pays favorisera aussi l'acquisition, par les entreprises allemandes, de compétences nouvelles dans le stockage et la gestion de la demande d'énergie.
Sur le plan de la politique de l'Union Européenne, l'Allemagne s'efforcera selon toute probabilité d'influer sur les orientations énergétiques communes, afin qu'elles convergent avec ses choix nationaux. Elle militera vraisemblablement pour l'intégration du marché européen de l'électricité et pour le renforcement des sources renouvelables dans le mix électrique de chaque pays, deux mesures qui favoriseront la convergence des prix et lui éviteront donc une perte de compétitivité. Elle plaidera aussi pour la réalisation d'interconnexions nouvelles, facilitant l'écoulement du courant d'origine renouvelable. L'Allemagne pourra également être incitée à se montrer exigeante à l'issue des "stress tests" sur la sûreté nucléaire, étant elle-même à l'abri de charges nouvelles, et être tentée de poursuivre une politique gazière peu solidaire, bénéficiant d'une position avantageuse à l'égard de la Russie.
Les conséquences sur la politique communautaire de l'énergie des décisions prises unilatéralement par l'Allemagne pourraient se révéler plus délicates à gérer pour ses partenaires que leur impact à court et moyen terme sur la sécurité du réseau européen ou sur le prix du courant.
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