Un outsider paradoxal : la Russie dans la course à l’intelligence artificielle
Entre les deux leaders technologiques que sont les États-Unis et la Chine, la Russie fait jusqu’à présent figure d’outsider dans l’analyse des enjeux globaux d’intelligence artificielle (IA).
Or, comme dans le cas de l’Union européenne, le pays est traversé par deux mouvements de fond en apparence contradictoires – s’approprier les bénéfices de l’interdépendance technologique lato sensu (numérique, scientifique, financière, etc.) tout en protégeant son marché intérieur afin de parvenir à une « souveraineté technologique » ardemment souhaitée. À l’étatisme de l’approche russe en IA se superposent les mêmes faiblesses du pays que dans la sphère numérique traditionnelle : manque d’investissements financiers, faible intégration dans les réseaux scientifiques et normatifs internationaux, pressions politiques sur les acteurs industriels privés, dépendance vis-à-vis des chaînes de valeur technologiques mondiales et fuite des cerveaux. Ces paramètres doivent-ils pour autant conduire à sous-estimer Moscou dans l’IA ? Cette note suggère que si la Russie reste pénalisée par ces faiblesses, non négligeables et susceptibles de creuser l’asymétrie existante avec les États-Unis et la Chine, elle entend conserver des expertises de niche mobilisables en politique étrangère comme en gouvernance intérieure. Aussi les autorités russes ont-elles confié un pan substantiel du développement de l’IA aux forces armées et à l’industrie de défense, dans une optique de modernisation et d’emploi asymétrique.
Julien Nocetti est chercheur associé à l’Ifri et enseignant-chercheur aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Il est également membre du centre GEODE (Géopolitique de la Datasphère – université Paris VIII) et titulaire de la chaire Gouvernance du risque cyber au sein de Rennes School of Business.
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