Les dessous de l'alliance Chip 4, la nouvelle arme des Etats-Unis contre la Chine dans les puces
Depuis près d’un an, les Etats-Unis poussent en faveur de l’alliance Chip 4 avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan dans les puces. Si l’objectif affiché est de coordonner les politiques des quatre puissances dans les semi-conducteurs, le projet soulève des inquiétudes à Taipei et Séoul, et provoque la colère de Pékin. Washington est suspecté d’en faire une nouvelle arme dans sa guerre des puces contre la Chine.
Chips 4. C’est le nom de l’alliance que les Etats-Unis veulent bâtir avec les trois plus grandes puissances asiatiques dans les semi-conducteurs : le Japon, la Corée du Sud et Taïwan. L’initiative a été lancée en mars 2022. L’objectif affiché est d’offrir aux gouvernements et industriels des quatre pays alliés une enceinte de discussion et de coordination de leurs politiques en matière de sécurisation de la chaîne logistique, de R&D, de développement des compétences ou encore des subventions publiques. Mais la mayonnaise tarde à prendre.
« L’idée est magnifique mais le projet reste abstrait et flou, constate Mathilde Velliet, chercheuse en géopolitique des technologies à l'Institut français des relations internationales, lors d’un webinaire organisé le 16 février sur le sujet par l'Institut d’études de géopolitique appliquée, un think tank sur les relations internationales, avec la participation de L’Usine Nouvelle. Près d’un an après son lancement, il n’est toujours pas finalisé, et il n’existe à ce jour aucun accord signé ni aucune feuille de route. »
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« Ensemble, les quatre pays détiennent 84 % du marché mondial des semi-conducteurs, rappelle Mathilde Velliet. Ils couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur de cette industrie, depuis les substrats jusqu’à l’encapsulation des composants, en passant par les outils de conception, les équipements de lithographie ou encore les résines photosensibles. »
La lithographie constitue la technologie la plus critique car c’est elle qui détermine la finesse de gravure. L’alliance Chip 4 disposerait de deux équipementiers majeurs de lithographie, les japonais Canon et Nikon. Elle manquerait toutefois d’équipements de lithographie aux ultraviolets extrêmes (EUV), indispensables à la gravure des circuits logiques les plus avancés de 7 nanomètres et moins. Le néerlandais ASML en est aujourd’hui le seul fournisseur au monde.
Alors pourquoi cette initiative peine-t-elle à se concrétiser? « Elle soulève beaucoup d’inquiétudes à Taïwan et en Corée du Sud, répond Mathilde Velliet.
Les industriels de ces deux pays craignent que cette alliance serve de subterfuge aux Etats-Unis pour avantager ses propres industriels comme Intel. A cela s’ajoutent les tensions pour des questions historiques entre le Japon et la Corée du Sud depuis 2019, et la rivalité entre Samsung, en Corée du Sud, et TSMC, à Taïwan, dans les services de fonderie de puces. La Corée du Sud se montre particulièrement sur la réserve. Elle a attendu août 2022 pour donner son accord en vue de participer à la première réunion de discussions préliminaires, qui s’est déroulée par visioconférence en septembre 2022. »
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L’initiative américaine soulève aussi des interrogations géopolitiques. « Elle s’inscrit dans la compétition technologique entre les Etats-Unis et la Chine, affirme Mathilde Velliet. Elle est cohérente avec la stratégie américaine qui consiste à courir plus vite et freiner l’adversaire. Les Etats-Unis mènent une intense diplomatie pour convaincre leurs alliés de restreindre les exportations de technologies de semi-conducteurs vers la Chine. Ils utilisent à cet effet différents instruments comme le dialogue sur le commerce et la technologie ou les accords bilatéraux. C’est ainsi qu’ils ont créé en novembre 2022 un groupe de travail commun sur le contrôle des exportations avec la Corée du Sud, et conclu en janvier 2023 un accord avec les Pays-Bas et le Japon pour restreindre la vente d’équipements de lithographie à la Chine. »
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La Chine voit évidemment d’un mauvais œil le projet Chip 4. « Par la voix du porte-parole du ministère chinois du commerce, elle a critiqué l’initiative américaine comme une démarche discriminatoire qui vise à exclure la Chine et qui menace de diviser la chaîne logistique mondiale des semi-conducteurs », indique Mathilde Velliet.
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