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Vers une troisième intifada ?

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Depuis quelques semaines, les incidents, souvent tragiques, se multiplient à Jérusalem, mais aussi en Cisjordanie voire en Israël même. La presse israélienne, quelle que soit sa sensibilité politique, débat ouvertement des risques d’une troisième Intifada. Cette perspective est-elle d’actualité ?

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Jérusalem, épicentre de toutes les tensions

Jérusalem est devenu l’épicentre de toutes les tensions, ce qui est relativement nouveau. Jusqu’à une date récente, tant du côté du gouvernement israélien que de l’Autorité palestinienne, on essayait de calmer le jeu compte tenu du caractère symbolique et sensible de cette ville trois fois sainte. On rappellera que la deuxième Intifada s’était déclenchée à la suite de la brève mais spectaculaire incursion d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées, le 28 septembre 2000.

Le point de départ des tensions actuelles été le rapt, le 12 juin, de trois adolescents israéliens qui faisaient de l’auto stop près de Bethléem, retrouvés morts le 30 juin. Les autorités israéliennes ont alors mis en cause le Hamas, qui a démenti toute implication.

Les troubles ont débuté à Shuafat, quartier arabe au nord-est de l’agglomération, le 2 juillet dernier, après le meurtre d’un jeune Palestinien, Mohamed Abou Khdeir, brûlé vif par des extrémistes juifs, en représailles semble-t-il à l’enlèvement des 3 adolescents. Depuis lors, les heurts sont quotidiens dans ce quartier : tramway, autobus comme voitures particulières y sont régulièrement caillassés.

Un autre endroit sensible est le quartier de Silwan, juste au sud de la vieille ville. Ce quartier palestinien, plutôt déshérité, de près de 50.000 habitants, est devenu pour certains mouvements extrémistes juifs, en raison de sa proximité de la vieille ville, un nouvel espace à conquérir. 80 familles israéliennes s’y sont installées à la suite d’achats de titres de propriété, d’expropriations, ou de squats, avec la complaisance des autorités municipales et, le plus souvent, à l’initiative de l’association Elad, acronyme de Vers la cité de David. Leur sécurité est assurée par un détachement de Tsahal. En fait, l’objectif est ici d’assurer une continuité entre la vieille ville et Bethléem, situé de l’autre côté du mur en Cisjordanie. Le développement des colonies de Har Homa et Givat Ha-matos fait partie de ce plan d’encerclement et, à terme, de conquête des quartiers arabes.

C’est pourtant l’esplanade des mosquées qui reste l’endroit le plus sensible. En principe, les ressortissants israéliens y ont accès comme « touristes », mais ne sauraient y prier. En fait, l’accord implicite pour prévenir tout incident était que, de même que les musulmans ne sauraient se rendre au Mur des Lamentations, les juifs devaient éviter de venir sur l’esplanade de mosquées. En réalité, les visiteurs juifs sont de plus en plus nombreux - plus de 8.000 en 2013 –, et les incidents de plus en plus fréquents. La tension est montée d’un cran avec la volonté des militants du Mouvement du Temple, dirigé par le rabbin d’origine américaine Yehuda Glick, de venir y prier en brandissant des affiches représentant le futur troisième Temple, qui devrait selon eux y être reconstruit. Pour contrer cette prétention, des musulmans appartenant au mouvement islamiste du cheikh Raed Salah viennent assurer la « protection » du lieu saint. Il en résulte des incidents quasi quotidiens, qui entraînent l’intervention de I ’armée israélienne, laquelle parfois pénètre à l’intérieur même de la mosquée al-Aqsa. L’attentat dont a été victime Yehuda Glick, et qui l’a grièvement blessé le 29 octobre dernier, n’a fait qu’aviver les tensions. Le gouvernement israélien a ainsi été amené à interdire partiellement, voire totalement, l’accès à l’esplanade, ne faisant qu’aviver la colère des musulmans.

Cette situation a poussé le président Abbas à déclarer que la fermeture des accès constituait « une déclaration de guerre ». Le gouvernement jordanien qui continue à gérer ce waqf a réagi vivement, rappelant son ambassadeur et menaçant de remettre en cause le traité de paix avec Israël. Malgré la rencontre à Amman le 13 novembre entre le roi Abdallah et Benjamin Netanyahou, et l’engagement qui aurait été pris par ce dernier de maintenir le statu quo des lieux saints, la tension n’est pas retombée. Ce qui se passe sur l’esplanade des mosquées relève d’abord de l’émotion, et alimente de part et d’autre le fanatisme religieux

De fait, l’attaque meurtrière contre la synagogue de Har Nof le 18 novembre, particulièrement meurtrière, intervient à la suite des nombreux incidents qui ont eu lieu depuis le début de l’été, attentats et répression s’enchaînant. Ces incidents paraissent, du côté palestinien au moins, relever d’initiatives individuelles plutôt qu’organisées, même si le Djihad islamique ou le Hamas les exploitent à des fins de propagande. Voiture folle lancée contre des passants le 23 octobre, agression contre Y. Glick le 30 octobre, nouvelle attaque à la voiture-bélier le 6 novembre, bavure policière dont est victime un jeune Palestinien à Kafr Cana, près de Haïfa, le 9 novembre, attaques meurtrières contre un soldat à Tel-Aviv le 10 novembre et, le même jour, contre une jeune fille de la colonie de Goush Etzion en Cisjordanie, mort suspecte d’un conducteur palestinien de bus le 16 novembre… Dans tous les cas, les agresseurs palestiniens ont été tués sur le champ. En outre, de multiples affrontements avec des manifestants palestiniens, à Jérusalem mais également en Cisjordanie, ont conduit à l’arrestation d’un millier de personnes ces quatre derniers mois.

L’attaque de la synagogue de Har Nof marque une escalade dans la violence. Dans ses déclarations, immédiatement après le drame, B. Netanyahou n’a pas hésité à dire que celui-ci était « le résultat des incitations à la violence du Hamas et de Mahmoud Abbas », alors que ce dernier avait fermement condamné l’attentat. En mettant en cause la responsabilité personnelle du président de l ’Autorité palestinienne, et en le plaçant au même niveau de responsabilité que le Hamas, le Premier ministre prenait le risque d’une surenchère dans la violence, voire de provoquer une véritable « chasse à l’Arabe ».

 

Un contexte dégradé

Ces attaques et représailles s’inscrivent dans un contexte dégradé après l’intervention israélienne à Gaza. L’opération Bordure protectrice a provoqué une très forte émotion dans l’opinion palestinienne, y compris chez les arabes israéliens. Le bilan de cette opération, qu’un politologue israélien a comparé assez cyniquement à celle d’une « tonte le gazon », est encore plus lourd que celui de Plomb durci - menée fin 2008 début 2009. L’ampleur des pertes en vies humaines - 2.000 morts, 10.000 blessés, pour l’essentiel des civils - et l’importance des destructions – 18.000 habitations détruites, mais aussi des infrastructures, des écoles, des hôpitaux - a créé un choc dans la population palestinienne. Celui-ci a été d’autant plus fort que le Premier ministre israélien, comme en témoigne son discours aux Nations unies, n’a manifesté, à défaut de regret, aucune empathie. Son refus de laisser la Commission d’enquête des Nations unies se rendre sur place confirmant sa posture.

Les enjeux de politique intérieure israélienne

Le contexte de politique intérieure joue dans le même sens. Il est clair que la vie politique israélienne se déroule de plus en plus sous l’influence des partis les plus extrémistes, notamment du « Beit Ennou » d’ Avigdor Liberman, ministre des Affaires étrangères, et du « Foyer Juif » de Naftali Bennett, ministre de l’Economie. Ils influencent la coalition gouvernementale dans le sens d’une répression accrue, de la création de nouvelles implantations aussi bien en Cisjordanie qu’à Jérusalem-Est, et du rejet de toute solution négociée. Ce glissement politique est largement lié à l’influence croissante du million de juifs arrivés après l’écroulement de l’Union soviétique, et qui sont venus renforcer pour l’essentiel le Likoud ou de nouveaux partis extrémistes ou racistes, comme Beit Ennou.

L’influence des colons s’est également structurée et renforcée. Le Conseil des colons, présidé par Pinhas Wallerstein, entend empêcher à tout prix l’émergence d’un Etat palestinien. Cet objectif est repris à son compte par le « Foyer Juif ». Leur action se traduit également par le mouvement « Le Prix à payer », qui se manifeste par des agressions aveugles contre des arabes, en réplique notamment au démantèlement de colonies sauvages. Le slogan du mouvement des colons : « Cette terre nous appartient car Dieu nous l’a donnée », résume assez clairement leur position. Enfin, des petits partis religieux comme le Shass, jouent un rôle qui dépasse le niveau de leur représentation parlementaire : ils constituent des partis charnières, permettant au gouvernement de conserver sa majorité parlementaire. Dans le même temps, les partis de gauche, y compris le Parti travailliste, sont en plein désarroi et en déclin. Il est de plus en plus évident que les partisans du Grand Israël, de la mer au Jourdain, occupent une position dominante, et qu’il s’agit là d’une tendance de fond : il est peu probable que les prochaines élections législatives, prévues en 2016 mais qui pourraient être avancées, modifient ce rapport de forces défavorable aux partisans d’une paix négociée.

Le blocage des négociations

De fait, les négociations sont totalement bloquées après l’échec de la mission de bons offices du secrétaire d’Etat américain John Kerry. Aucune perspective de règlement ne se profile, tant le fossé est profond et grande la méfiance entre les deux parties. Les déclarations du Premier ministre israélien rendant responsable Mahmoud Abbas des attentats de Jérusalem et de Naftali Benett, et le taxant de « terroriste », dénoncent l’impasse où se trouve un processus de paix, de fait mort depuis plusieurs années. Certes, en juin 2009, dans un discours à l’université Bar Ilan, pour la première fois un Premier ministre israélien acceptait officiellement la solution à deux Etats. Mais dans le même temps, B. Netanyahou y mettait des conditions qui vidaient de tout contenu cette solution.

Sa position se fondait en effet sur une succession de refus : refus de reconnaître la Ligne verte de 1967 comme référence, refus d’arrêter la colonisation et de démanteler des colonies existantes, refus de reconnaître le droit au retour, refus que Jérusalem soit aussi la capitale d’un Etat palestinien, refus d’abandonner le contrôle militaire de la vallée du Jourdain, ou d’établir un corridor entre Gaza et la Cisjordanie. Il exigeait en outre que les Palestiniens reconnaissent Israël comme « Etat juif ». Cette base de négociations était à l’évidence inacceptable pour l’Autorité palestinienne. Il est à noter que plusieurs membres de la coalition, notamment le Foyer Juif, excluent quant à eux la création de tout Etat palestinien, et entendent maintenir l’occupation de la « Judée Samarie », c’est à dire la Cisjordanie, n’acceptant au mieux qu’un régime d’autonomie surveillée.

A cette position de fond s’ajoute une situation de fait. L’assiette d’un éventuel Etat palestinien s’est amenuisée au point de le rendre non viable. Le territoire de la Cisjordanie a été progressivement grignoté : la construction du mur plus à l’est que la Ligne verte, l’emprise des colonies qui regroupent au total aujourd’hui plus de 500 000 personnes, celle du réseau routier propre aux colons, la zone militaire interdite de la vallée du Jourdain, ont amputé le futur Etat de près de la moitié de son étendue. Celui-ci ne représenterait plus que la moitié de la surface moyenne d’un département français…

 

La responsabilité internationale

Cette situation dangereuse appelle réflexion et implication de la communauté internationale.

° La question palestinienne, occultée par les autres évènements qui ont affecté le Moyen-Orient – un printemps arabe conduisant plusieurs pays au chaos, le développement de l’influence de l’Iran, celui d’une menace djihadiste qui touche l’ensemble du monde arabe –, reste pourtant un problème majeur. Il n’y aura pas de sécurité réelle pour Israël tant qu’il ne sera pas réglé.

° La position israélienne relève du déni de réalité et a un caractère suicidaire. Pour le gouvernement israélien, depuis près de 10 ans la question palestinienne ne se pose plus. Il s’agit d’un « conflit de base intensité », qui relève de la répression et non d’une la solution politique. En cas de nécessité, il convient de « tondre le gazon », à Gaza comme au Liban sud.

° Les perspectives de reprise des négociations sont d’autant plus faibles que le président Obama a renoncé à exercer toute pression significative sur Israël après les camouflets administrés par B. Netanyahou, notamment sur la question de la colonisation.

° La solution des 2 Etats est menacée de mort, même si aucun gouvernement n’ose le dire. Le fait est pourtant de plus en plus reconnu, pour des raisons opposées, aussi bien du côté palestinien que du côté israélien, avec la perspective d’une occupation à durée indéterminée de la Cisjordanie.

° Le temps joue sur le terrain au profit d’Israël : la colonisation accélérée de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie fait disparaître de facto toute perspective d’Etat palestinien, et conduit à la solution Eretz Israël, du Grand Israël.

° En revanche, le temps joue, au plan démographique, en faveur de la population arabe : d’ores et déjà coexistent sur le territoire de la Palestine historique 12 millions d’habitants, qui se répartissent environ pour moitié entre juifs et arabes. Mais compte tenu du taux de fécondité supérieur de la population arabe, celle–ci devrait devenir rapidement majoritaire. Les projections du World Population Data Sheet publiées par le Population Reference Bureau américain font état, pour 2050, de 13 millions d’arabes pour 8 millions de juifs.

Ainsi tous les ingrédients sont-ils réunis pour provoquer des affrontements violents, voire un embrasement général ou une troisième Intifada. Le climat de haine et la rupture psychologique entre les communautés juives et arabes ne font que s’amplifier dans cette agglomération de près de 800 000 habitants, dont le tiers environ sont arabes, sur un terrain propice aux affrontements violents, compte tenu de l’imbrication des quartiers arabes et juifs. Certes, la faiblesse du Hamas, comme celle de l’Autorité palestinienne, semble exclure une Intifada organisée. Les conditions dans lesquelles les premières attaques ont été commises, et les « armes » utilisées (voitures bélier, haches, couteaux, pierres), témoignent de leur improvisation et de leur spontanéité. Mais la situation de désespérance est forte, en particulier chez les jeunes qui ne voient aucune perspective d’avenir. Dix ans après la fin de la 2ème Intifada, une nouvelle génération accède à la conscience politique, et peut voir dans la violence un processus d’initiation au combat politique, en relève de leurs aînés.

Dans ces conditions que peut-on faire ?

La marge d’influence de la communauté internationale, des Etats -Unis comme de l’Europe, est certes faible, mais elle existe si elle s’adosse à une véritable volonté politique.

° La reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat devrait être confirmée tant au niveau bilatéral que dans le cadre des Nations-unies, même si sa viabilité est de plus en plus problématique.

° La situation des droits de l’homme, dans les territoires occupés comme pour les arabes israéliens, doit être suivie avec vigilance.

° Les pressions devraient s’exercer sur les deux parties, notamment au niveau européen à travers les accords de coopération qui existent entre l’UE et Israël. Il conviendrait en particulier de vérifier la bonne application des directives visant le non- accès à l’espace européen des produits en provenance des colonies.

° La condamnation du terrorisme, d’où qu’il vienne, doit être sans ambigüités.

° Les pays occidentaux, y compris la France, devraient montrer moins de complaisance à égard d’une politique à terme suicidaire pour Israël, et s’appuyer sur la communauté juive éclairée, notamment le mouvement «J Street » aux Etats-Unis, ou les artisans de « l’accord de Genève » en Israël.

° Le soutien à l’Autorité palestinienne devrait être renforcé, en dépit des déclarations des responsables israéliens qui visent à la disqualifier.

° Les membres du Conseil de sécurité devraient endosser un rôle de médiation en cas de violences et d’affrontements.

Dans un Moyen-Orient en plein chaos, la question palestinienne est toujours sur la table, et avec une actualité qui risque d’aller de violence en violence. Elle ne peut rester sans réponse. Il y va de la sécurité d’Israël comme de la crédibilité des pays occidentaux auprès des pays arabes, et de la reconnaissance du droit peuple palestinien à l’autodétermination.

 

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Denis BAUCHARD

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Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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Mosquée Süleymaniye, Istanbul, Turquie
Programme Turquie/Moyen-Orient
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Le programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri fournit une expertise sur l’évolution des systèmes politiques, des sociétés et des économies de la région. Il se focalise d’une part sur les évolutions en Turquie et au Levant (influences turque et iranienne, risque de morcellement des États de la région, recompositions diplomatiques), et également au Maghreb (insertion du Maghreb dans les circuits mondiaux, relations politiques et économiques avec l’Europe et avec l’Afrique sub-saharienne…).

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