Vers un nouveau saut générationnel des forces aériennes chinoises ?
Alors que la dernière série des F-22 avant abandon de la production sortaient des usines Lockheed et Boeing, Hu Jintao confirmait, en janvier 2011, les premiers tests du nouveau chasseur furtif, le J-XX, par les forces aériennes de l'Armée Populaire de Libération. Produit localement, bien qu'avec une probable aide russe - certains observateurs ayant noté une proximité avec le prototype MiG 1.42 - la rapide maturation du programme J-XX met en lumière les progrès considérables réalisés par la Chine en matière de production aéronautique au cours des deux dernières décennies.
Dans un article publié peu avant le tournant du millénaire, Avery Goldstein considérait que la branche aérienne de l'Armée Populaire de Libération restait essentiellement composée de " poches d'excellences " entourées par une vaste flotte de plateformes obsolètes. En 1999, la cinquantaine de Su-27 acquis auprès de la Russie - vingt-huit appareils supplémentaires devant être commandés l'année suivante - et les deux J-11 - avatars chinois du Su-27 produit sous licence - constituent encore la mince colonne vertébrale de la modernisation des forces aériennes chinoises. Dans leur immense majorité, c'est-à-dire à plus de 98 %, ces forces - hors bombardiers - demeurent en effet composées d'appareils dont les premiers exemplaires ont vu le jour dans les années 1950 ou 1960 (J-6, J-7, J-8, Q-5).
Une décennie plus tard, si une majorité des appareils déployés par l'Armée Populaire de Libération reste obsolète, l'évolution et le saut qualitatif des forces aériennes chinoises est patent. Un processus de modernisation fondé sur d'importantes importations depuis la Russie et sur le développement de capacités locales a permis une progression accélérée. D'une part, outre la présence élargie de Su-27/J-11 - 78 appareils importés et une centaine produite localement - on compte 73 chasseurs multi-rôles Su-30MK, dont les premières versions ont pu être comparées au F-15 américain par Jane's Defence Weekly. D'autre part, après une longue période de développement, Beijing possède, en 2009, près d'une centaine de J-10 - dont les performances ont été comparées à celle des F-16 construits à la fin des années 1980 - ainsi que 72 chasseur-bombardiers JH-7 aux performances certes plus limitées mais capables d'embarquer un vaste éventail de missiles anti-surface. Au total, l'Armée Populaire de Libération possède donc, en 2009, quelques 450 appareils - soit plus d'un quart de la totalité de sa flotte hors bombardiers - susceptibles d'être considérés comme répondant aux critères d'une force aérienne moderne. L'écart qualitatif entre les forces déployées en 1999 et en 2009 s'apparente donc à un saut de génération dépassant la simple évolution des équipements.
La quête d'une parité technologique
Alors que ce premier cycle de modernisation des forces aériennes chinoises apparaît encore inachevé, un second mouvement paraît s'esquisser plus clairement, devant réduire à nouveau de façon significative le fossé aérien séparant l'Armée Populaire de Libération de son probable adversaire.
Beijing développe actuellement un appareil au niveau des meilleurs chasseurs présents sur le marché. En 2002, Jane's Defence Weekly rapportait le lancement par la Shenyang Aircraft Company d'un programme de recherche et développement consacré à un nouveau chasseur furtif. Selon le Global Times, citant le vice-commandant des forces aériennes chinoises, le nouvel appareil pourrait entrer en service avant 2020 et avoir des performances comparables ou supérieures aux chasseurs de même classe déployés actuellement - ceci pouvant mettre en péril, pour certaines sources chinoises, la supériorité à venir du F-35. En 2008, Xinhua soulignait que le J-XX pourrait être déployé au sein des forces chinoises sur une échelle quantitative dépassant celle envisagée pour le F-22 au sein des forces américaines.
Il est hors de doute qu'un tel déploiement du J-XX - même disposant de performances inférieures à son homologue américain - impacterait de façon significative l'équilibre est-asiatique, en déstabilisant de façon profonde la situation dans le détroit de Taiwan, alors que Taipei n'a obtenu de Washington que la modernisation de sa flotte de 146 F-16, bien loin de sa demande initiale d'achat de 16 nouveaux chasseurs. Bénéficiant de la garantie d'une supériorité aérienne certaine il y a encore une décennie, Taiwan apparaît aujourd'hui extrêmement vulnérable dans un avenir de plus en plus proche. Compte tenu des réitérations multiples par Beijing de son droit à utiliser la force pour une " réunification ", le développement accéléré du J-XX ne peut que susciter une inquiétude que ne viennent apaiser ni la timidité américaine, ni le désintérêt européen pour la question. Un déploiement élargi de J-XX pourrait en effet avoir pour conséquence de priver Washington de la suprématie aérienne au sein de la région, mettant ainsi en péril l'architecture de sécurité centrée sur la présence américaine.
La quête d'une capacité aéronavale
Un second développement majeur des forces chinoises concerne la création d'une capacité aéronavale. Après plusieurs années d'incertitudes, la Chine semble en voie d'acquérir un avion de chasse (le J-15) pouvant être embarqué sur son futur porte-avion - l'ex-Varyag intégralement rénové. En 2006, Defense Industry Daily faisait état de l'ouverture de négociations entre Beijing et l'agence russe Rosoboronexport concernant l'achat possible de quarante-huit Su-33 - avatar du Su-27 embarqué sur le Kuznetsov - pour un montant estimé à 2,5 milliards de dollars. Après trois ans de discussions, Moscou refusait finalement la vente du Su-33 par crainte que la Chine copie l'appareil sur une vaste échelle et offre cette version à l'exportation. Dans une large mesure, ces précautions ne paraissent pas avoir eu le résultat escompté. Ayant acquis un Su-33 auprès de l'Ukraine en 2001, la Chine ne semble avoir eu qu'à procéder à une opération de retro-ingénierie pour pouvoir produire le chasseur dont elle avait besoin.
Malgré les certitudes russes affichées quant à l'infériorité de la copie chinoise sur l'original, le développement et le déploiement - prochain - du J-15 marquent un progrès indéniable pour les forces chinoises. Si un porte-avion ne semble pas décisif pour la construction d'une supériorité aérienne chinoise dans le détroit de Taiwan, cette plateforme constitue toutefois un élément important pour assurer une supériorité aérienne à l'intérieur de la région est-asiatique - hors intervention américaine - mais surtout pour protéger les lignes de communication chinoises traversant l'Océan Indien.
L'immensité du chemin parcouru par les forces aériennes chinoises ne laisse que peu de doute quant au degré de priorité accordé par Beijing à cette branche. Alors que l'appareil le plus moderne des forces aériennes chinoises est, en 1989, le J-8 - dérivé du MiG-21 produit dès la fin des années 1950 - Beijing semble aujourd'hui ne se tenir qu'à une génération derrière les appareils américains. Les efforts mis en œuvre par la Chine pourraient, avant le milieu de la prochaine décennie, réduire rapidement cet écart.
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