Une alternance historique au Japon : quels changements à attendre ?
Comme attendu, le Parti démocrate japonais (PDJ) a remporté une large majorité à la Chambre basse, avec 308 sièges (sur 480) lors des élections législatives anticipées du 30 août. Il s"agit d"une alternance historique au Japon, dominé depuis 1955 par le Parti Libéral démocrate (PLD).
L"enthousiasme des Japonais pour cette élection est à l"image de leur frustration vis à vis du parti au pouvoir, incapable de se renouveler et de conduire les réformes économiques et sociales, dans un contexte de crise et d"aggravation des inégalités. Le programme du PDJ, formation qui reste encore divisée sur de nombreux sujets, ne constitue pourtant pas un bouleversement radical, tout juste un glissement du centre-droit vers le centre-gauche. Mais l"important est ailleurs : le parti démocrate, surfant sur la vague Obama, se présente comme le champion du changement -changement de régime et de pratique- et a redonné l"envie aux Japonais de s"intéresser à la politique.
La déréliction du PLD a accompagné celle du système de 1955
Le PLD, largement majoritaire depuis 1955, a construit un véritable système de pouvoir, en nouant des liens étroits avec les grandes entreprises et la bureaucratie japonaises (le " triangle d"airain "). Ce système, en permettant la synergie des efforts, a certes permis l"impressionnante expansion économique du Japon d"après-guerre, mais il a aussi favorisé la collusion d"intérêt entre ces trois pôles, révélée par de nombreux scandales de corruption. Il a aujourd"hui atteint ses limites dans le contexte de déficit budgétaire chronique - qui réduit la manne dispensée par le gouvernement à ses " clients " - et d"une crise démographique, économique et sociale - un tiers des emplois sont précaires. L"opinion publique japonaise souhaite aujourd"hui se défaire de ce régime politique sclérosé assimilé au règne du PLD.
L"alternance politique actuelle est donc le résultat d"une crise politique qui a débuté dans les années 1990 et qui avait vu le PLD céder le pouvoir, pour une brève période il est vrai, à une opposition politique fragmentée. Le charismatique Junichiro Koizumi avait profité de l"exceptionnelle longévité de son administration (de 2001 à 2005) pour tenter de faire évoluer son parti, en ébranlant le système traditionnel des factions. L"instabilité ministérielle qui lui a succédé est toutefois révélatrice de l"incapacité du PLD à se restructurer et porter au pouvoir des personnalités fortes et volontaires, capables de mettre en place les réformes économiques et sociales nécessaires. On peut trouver à ceci des raisons historiques, comme en Allemagne, tout a été fait après la défaite de 1945 pour éviter l"émergence d"un " homme fort " et favoriser au contraire la stabilité bureaucratique. Mais la fracture grandissante entre l"électorat et le personnel politique a accéléré le déclin du PLD dans les zones urbaines et jusqu"auprès de son électorat traditionnel plus âgé et provincial, face à la popularité croissante du PDJ, qui incarne la rupture et la réforme.
Le PDJ s"impose comme parti d"alternance
Le Parti démocrate fondé en 1996 par Hatoyama Yukio et Naoto Kan, composé de transfuges du PLD et de l"ancien parti socialiste japonais, est identifié comme une formation de centre-gauche. Ses factions couvrent toutefois un spectre plus large : des conservateurs " durs " aux sociaux-démocrates. Il réussit à s"imposer dans le paysage politique en s"appuyant sur des personnalités intègres et populaires comme Naoto Kan, (député de la 7e circonscription de Tokyo et ancien Ministre de la santé ayant révélé le scandale du " sang contaminé ") qui ne cessent de dénoncer les pratiques du parti libéral démocrate. Si Hatoyama est l"homme du consensus, qui a su rassembler les différentes sensibilités au sein du parti, c"est Ozawa Ichiro, vieux ténor de la politique qui rejoint le PDJ en 2003, qui a transformé le parti en une véritable machine électorale - sur le modèle des anciennes factions les plus puissantes du PLD dont il est issu - stratégie récompensée par la victoire historique du parti aux élections sénatoriales de juillet 2007. La révélation début mars d"un scandale de corruption a toutefois poussé toutefois Ozawa à la démission et c"est " derrière le rideau " qu"il dirige aujourd"hui le parti.
Son successeur officiel Yukio Hatoyama, sera donc le prochain premier ministre, à la suite de la victoire du PDJ. Hatoyama est comme souvent au Japon le riche descendant d"une dynastie politique. Il semble donc bien mal choisi pour incarner la ligne de la réforme et du renouvellement. Toutefois, docteur en génie industriel, il n"a pas épousé immédiatement la carrière politique et a su conserver l"image d"un politique intègre et sérieux. Il bénéficie donc d"un large soutien au sein de son parti, même si certains lui reprochent de manquer de charisme.
S"il ne propose pas de révolution politique sur le fond, le PDJ a donc le mérite de proposer une alternance viable, dans la perspective de l"émergence d"un système bipartisan pouvant remplacer le " système PLD ". Il a su capitaliser sur l"inquiétude de l"opinion publique en donnant la priorité au redressement économique du pays et à la gestion des problèmes quotidiens des Japonais.
Sur le plan intérieur : contrôler la bureaucratie, améliorer le pouvoir d"achat
Le manifeste du PDJ, qui ne se distingue pas fondamentalement de celui du PLD, s"articule autour de deux grandes priorités : la mise au pas de la bureaucratie japonaise - avec notamment la suppression immédiate de l"amakudari, le pantouflage des hauts-fonctionnaires dans les grandes entreprises - et l"amélioration des conditions de vie de la population.
Réduire l"influence de la puissante bureaucratie japonaise représente la mesure-phare du programme démocrate et constitue sa principale originalité par rapport au PLD. Le PDJ souhaite notamment mettre en place un bureau pour la stratégie nationale, qui dépendra du Premier ministre et fixera la politique budgétaire et la vision stratégique pour la nation. Missions traditionnellement dévolues aux hauts-fonctionnaires, garants de la continuité, dans un contexte de volatilité politique et de faiblesse des gouvernements. Un conseil pour la réforme de l"administration et la décentralisation, dont l"objectif est d"identifier les secteurs dans lesquelles les dépenses peuvent être réduites et rationalisées, doit être également établi.
S"il est probable que le PDJ rencontre des résistances de la part de l"administration, les hauts fonctionnaires n"auront d"autres choix que de se rapprocher des nouveaux dirigeants afin de négocier les orientations de leurs administrations. En outre, certains des membres du Minshuto ont déjà eu une expérience ministérielle et connaissent bien les rouages et pratiques de la bureaucratie.
Le programme social du parti est également ambitieux. Il prévoit, entre autres, la mise en place d"une allocation familiale de 26 000 yens par mois (195 euros) pour un enfant scolarisé en primaire et collège et la quasi-gratuité des frais de scolarité, mesures qui doivent permettre de soutenir les familles et relancer la natalité. Le parti prévoit également de relever le salaire minimum et renforcer la protection des chômeurs en fin de droit. L"argent public doit donc être redirigé, des projets de grands travaux aux mesures sociales, afin de favoriser une relance de l"économie par la consommation. Le PDJ espère financer ces généreuses mesures par des économies sur le fonctionnement de l"Etat grâce à une rationalisation des dépenses et la fin des gaspillages. Il est toutefois peu probable que les ressources ainsi dégagées soient suffisantes. Or le PDJ - en grande partie pour s"opposer au PLD - a écarté la possibilité d"augmenter la TVA, et n"a pas précisé quelques autres sources de financement seraient mobilisées.
En tout état de cause, il est peu probable que l"on assiste à une véritable révolution politique dans les prochains mois. Le Parti démocrate doit en effet s"assurer une majorité lors des élections sénatoriales de l"été 2010 afin de conserver une marge de manœuvre durable. En outre, le contexte économique ne permet pas la mise en place de réformes ambitieuses. La priorité reste le redressement économique du pays qui permettra d"allouer davantage de fonds à la protection sociale, et la réforme du processus de décision politique, duquel résultera la véritable transformation du régime.
Sur le plan diplomatique : se distancer des Etats-Unis, se rapprocher de l"Asie
Le Parti démocrate souhaite accroître l"indépendance du Japon vid-à-vis de son allié américain. Hatoyama a d"ores et déjà annoncé que la mission des forces d"autodéfense dans l"Océan indien, en appui à la coalition américaine en Afghanistan, ne serait pas reconduite en janvier prochain. Le PDJ souhaite également réviser la feuille de route sur le redéploiement des troupes américaines stationnées au Japon. Dans le même temps, le parti envisage la négociation d"un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Fondamentalement, l"alliance avec Washington restera donc une priorité, et pourrait bénéficier d"une convergence de vue entre le PDJ et l"administration Obama qui souhaitent renforcer la coopération bilatérale dans les domaines non-militaires.
Le PDJ montre dans le même temps un intérêt particulier à renforcer ses liens avec ses voisins asiatiques, à travers la construction d"une communauté de l"Asie de l"est, et à terme, la mise en place d"une monnaie commune. La relation avec la Chine devrait donc bénéficier de cette dynamique. En outre, le PDJ projette de faire construire un nouveau mémorial pour les victimes de guerre, distinct du controversé sanctuaire Yasukuni, ce qui pourrait contribuer à apaiser la relation politique avec Pékin.
Pour le moment, ses orientations politiques demeurent floues - le PDJ a par exemple proposé une réduction ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre de l"ordre de 25 % d"ici 2020, sans préciser les moyens mis en œuvre à cette fin. Sans expérience gouvernementale, le PDJ reste un parti hétérogène et il faut attendre les premiers mois d"exercice du pouvoir pour constater quelles actions seront effectivement engagées
Comme souvent au Japon, le pragmatisme l"emporte sur l"idéologie. Le pays ne devrait donc pas connaître, dans l"immédiat, de grands bouleversements. Cependant une alternance durable, clé de la réforme du système de gouvernance et préfiguration de la bipolarisation de la vie politique japonaise, constituerait déjà en soi une révolution.
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