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Un vice-président ou un président bis au Nigeria ? L'irrésistible ascension de Yemi Osinbajo

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La présence de Yemi Osinbajo sur le ticket de candidature présidentielle de Muhammadu Buhari le 16 décembre 2014 a d’abord surpris. Relativement inconnu sur la scène politique nigériane en 2014, son succès a été attribué par la presse locale à son parrain en politique, Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos (1999-2007) et artisan de l’éclosion de la coalition All Progressives Congress (APC). Cependant, si ce dernier a effectivement contribué à son ascension, Yemi Osinbajo a également pu compter sur ses propres réseaux parmi les autorités traditionnelles, religieuses et judiciaires.

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Le vice-président nigérian Yemi Osinbajo et son chargé de communication Laolu Akande
Le vice-président nigérian Yemi Osinbajo et son chargé de communication Laolu Akande
Nigeria
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Ces six derniers mois, le rôle de Yemi Osinbajo s’est élargi. Le vice-président profite de la faiblesse du président Muhammadu Buhari, en séjours sanitaires de plus en plus fréquents à Londres, comme ce fut le cas entre le 19 janvier et le 10 mars 2017. Durant ces périodes d’absence, Osinbajo agit en tant que président par intérim et ne cesse d’agrandir son périmètre d’action. Il est devenu le véritable dirigeant du pays, alors que le président est à nouveau, depuis début mai[1], dans la capitale britannique pour raisons médicales.

Pourquoi Buhari a-t-il choisi Osinbajo ?

Peu après la victoire de Muhammadu Buhari lors des primaires de l’APC organisées les 10 et 11 novembre 2014 à Lagos, le futur président choisit Yemi Osinbajo comme colistier. S’il loue d’abord son intégrité et sa foi ainsi que son parcours d’avocat et d’intellectuel[2], Buhari ne manque pas d’autres motifs pour justifier son choix. Yemi Osinbajo, représentant juridique de l’APC à l’époque de sa nomination, est un aristocrate Yoruba, le groupe ethnique dominant dans la région sud-ouest du Nigeria. Il est, de plus, marié à Opeoluwa Soyode, la petite-fille d’Obafemi Awolowo, une grande figure Yoruba et ancien Premier ministre de la région ouest. L’actuel vice-président est aussi un homme d’Église respecté, il est l’un des pasteurs de Lagos de la branche évangélique Redeemed Christian Church of God (5 millions de fidèles) dirigée depuis 1981 par l’un des plus influents pasteurs au Nigeria, Enoch Adejare Adeboye. Ce dernier a joué un rôle non négligeable dans la montée en puissance politique d’Osinbajo car le réseau religieux pèse lourd dans la trajectoire des hommes politiques du pays, particulièrement au sein des églises chrétiennes. Parallèlement à son engagement religieux, Osinbajo a fondé plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) dont Orderly Society Trust en 2007 qui s’attache à l’éthique dans les affaires et à lutte contre la corruption dans les institutions publiques et privées, ainsi qu’à faciliter les procédures judiciaires pour les plus démunis.

Le parcours professionnel d’Osinbajo a également contribué à son ascension. Diplômé en droit de l’université de Lagos et de la London School of Economics (LSE), il est rapidement devenu le responsable du département de droit public à la faculté de droit de l’université de Lagos tout en étant le conseiller spécial du ministre de la Justice du Nigeria entre 1988 et 1992. Avant le retour à la démocratie en 1999 et la mort du chef d’État militaire Sani Abacha, Osinbajo est responsable d’un groupe chargé de la lutte anticorruption au sein de la Banque africaine de développement (BAD). En 1999, il est nommé à son tour ministre (commissioner) de la Justice de l’État de Lagos pendant les deux mandats du gouverneur Bola Tinubu (1999-2007). Après avoir achevé sa mission au sein du gouvernorat de Lagos, Osinbajo revient dans le privé en tant qu’associé au sein du cabinet SimmonsCooper Partners. Ce dernier compte une vingtaine d’avocats et des partenaires chevronnés tels que Babatunde Irukera qui a défendu le gouvernement nigérian notamment contre Pfizer en 2007 ou contre British American Tobacco Plc, Philip Morris International et International Tobacco Limited. Lors de son passage au cabinet SimmonsCooper Partners, Yemi Osinbajo a défendu des personnalités prestigieuses, notamment le gouverneur de Lagos de l’époque, Babatunde Fashola – actuel ministre des Travaux, de l’Électricité et du Logement –, ou encore le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria (CBN), Sanusi Lamido[3] – actuel émir de Kano. Il occupe également des fonctions d’administrateur de sociétés comme Design Union Zambia (société de construction en Zambie), ou encore Citibank.

Outre cette influence glanée en tant que pasteur, avocat et ancien ministre de Lagos, il ne faudrait pas minimiser le rôle joué par Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos et membre fondateur de l’APC, dans l’ascension de l’actuel vice-président. Tinubu a poussé son protégé à occuper des fonctions nationales bien avant 2014. Déjà en 2011, lors de l’élection présidentielle, il avait suggéré son ancien ministre de la Justice à Buhari comme candidat à la vice-présidence. À l’époque, Buhari, candidat du Congress for Progressive Change (CPC), avait préféré un autre pasteur de Lagos, Tunde Bakare, et fut battu par Goodluck Jonathan. En 2014, suite à la désignation de Buhari comme candidat de l’APC, Osinbajo a d’abord été écarté par l’actuel président, en partie faute d’un ancrage électoral suffisamment important[4], avant d’être finalement désigné en décembre 2014. Bola Tinubu n’a pas été candidat lors des primaires de l’APC en novembre 2014, préférant laisser la voie libre à Buhari. La raison de cet apparent désintérêt pour la fonction suprême est que Tinubu, âgé de 65 ans, est musulman. Il a toujours pensé que tant que son coreligionnaire Buhari serait présent, il n’y aurait pas d’espace pour lui car un ticket avec deux musulmans est impossible dans le contexte nigérian.

Les absences répétées du président rendent Osinbajo tout-puissant

Pendant la campagne électorale, le candidat Osinbajo s’est surtout concentré sur l’économie et l’emploi des jeunes, alors que Buhari faisait davantage part de ses propositions sécuritaires et de lutte contre la corruption. Après l’élection de mars 2015 qui a porté le tandem Buhari-Osinbajo à la présidence, les premiers pas du vice-président n’ont pas été très remarqués, ce dernier étant principalement occupé par les dossiers économiques et judiciaires. Mais peu à peu, Osinbajo sort de son pré carré économique, et s’empare de dossiers plus géopolitique et sécuritaire comme celui du delta du Niger où est produite la quasi-totalité du pétrole et du gaz nigérian. En juin 2016, Osinbajo fait ses premiers pas dans le delta du Niger en inaugurant – au nom de Buhari – le début de la campagne de nettoyage de la zone de Bodo en pays Ogoni. Le 16 janvier 2017, il entreprend une visite dans l’État du Delta durant laquelle il rencontre les chefs traditionnels comme le roi de Gbaramatu.

Lors du départ de Buhari pour Londres le 19 janvier 2017 –officiellement pour des vacances mais en réalité pour se soigner –, Osinbajo devient président par intérim comme la Constitution le prévoit lorsque le président est à l’étranger en dehors des visites officielles. À partir de ce moment, Osinbajo va piloter l’État nigérian. Outre le fait qu’il reçoive régulièrement des grands patrons comme celui de General Electric le 24 janvier, il est de plus en plus maître des dossiers régaliens qui lui échappaient encore largement jusqu’à présent. Il laboure le terrain dans les zones où l’APC n’a pas obtenu de bons scores aux élections de 2015. Il se rend le 26 janvier en pays Igbo, dans l’État producteur de pétrole d’Abia, pour parler emploi et industrie. Il revient dans la région pour plusieurs jours à partir du 9 février, se focalisant sur les États producteurs du delta du Niger les plus importants comme Bayelsa et Rivers ainsi qu’Imo. À cette occasion, Osinbajo s’adresse à nouveau aux autorités traditionnelles ainsi qu’aux leaders des mouvements rebelles comme ceux du Niger Delta Avengers (NDA). Il leur propose un pacte veillant à leur assurer un accès à des fonds publics – via la poursuite de l’amnistie – ainsi qu’à des emplois, notamment en leur permettant de légaliser les raffineries sauvages. Depuis ses séjours répétés dans cette région, les attaques sur les infrastructures pétrolières diminuent sensiblement et des négociations discrètes sont en cours via les autorités traditionnelles de la région. Osinbajo retourne à nouveau le 27 mars dans l’État du Delta afin de promettre la création d’un parc industriel dédié au gaz à 60 kilomètres de Warri. Afin de pacifier la région, il lance également une plateforme de dialogue (NigerDeltaDialogue) dont il préside les réunions à Abuja. Il fait d’ailleurs régulièrement part des avancées de ce groupe aux ambassadeurs européens dont les compagnies sont touchées par les actes de vandalismes (Total/France, ENI/Italie, Shell/Grande-Bretagne et Pays-Bas).

Osinbajo s’est déplacé le 3 mars 2017 dans le sud de l’État de Kaduna (nord du pays), une autre zone où des troubles ethnico-religieux ont causé la mort de plus de 800 personnes en décembre 2016. Il se montre ostensiblement aux côtés du gouverneur de Kaduna, Nassir El-Rufai (ancien ministre d’Abuja sous l’administration Obasanjo), et reçoit le 12 avril à Abuja les leaders religieux de cet État, afin de trouver une solution pérenne. Enfin, autre région difficile où le président par intérim va s’impliquer, le nord-est, épicentre de Boko Haram. En dehors des Federal Executive Council (FEC) pendant lesquels il converse régulièrement avec les gouverneurs des États impactés comme Kashim Shettima de Borno, il rencontre régulièrement les familles des 200 filles kidnappées à Chibok en 2014. Au niveau militaire, Osinbajo n’est pas en reste depuis le début de l’année 2017. Il reçoit le 22 février, le patron de l’US Africa Command, Thomas D. Waldhauser, qui gère la zone Afrique, ainsi que le chef d’État-major de l’armée du Bangladesh le 25 avril.

Quel rôle pour Osinbajo pour les deux ans à venir ?

Depuis son retour le 10 mars 2017, Buhari n’a pas repris ses fonctions telles qu’elles étaient au début de son mandat. En dehors du Conseil des Ministres du 29 mars qu’il a présidé, Buhari a de nouveau laissé la main à Osinbajo qui a présidé tous les FEC de mars, d’avril et de mai. La place d’Osinbajo couvre désormais non seulement les secteurs économiques et juridiques comme c’était le cas depuis 2015 mais également la sécurité (Boko Haram, Kaduna, delta du Niger) ainsi que la diplomatie. Sur certains d’entre eux, il a même réussi à faire avancer la situation dans le bon sens, contrairement à Buhari. Lors de sa présidence par intérim, Osinbajo a pris soin d’expliquer les actions du gouvernement à la population, contrastant ainsi avec l’absence de pédagogie de Buhari. Les Nigérians, y compris les opposants, notamment du People’s Democratic Party (PDP), ont pu découvrir un homme intelligent, très habile dans ses prises de parole, et qui n’hésite pas à décider et à s’impliquer personnellement lorsque les équilibres régionaux sont en jeu.

Dans le cas où le président en viendrait à laisser sa place pour cause de maladie, le principal défi d’Osinabjo serait de se faire accepter par les élites du nord du pays. Celles-ci ont encore en mémoire la mort du président en exercice Umaru Yar’Adua en 2010 qui a conduit à ce qu’un sudiste venant du delta du Niger, Goodluck Jonathan, récupère la présidence pendant cinq ans. Un départ de Buhari serait vécu par les nordistes comme injuste et Osinbajo serait probablement rejeté par une partie de la population du nord, instrumentalisée par les hommes politiques de la région – y compris par l’APC. Osinbajo travaille pour l’heure à ce que la grande majorité du sud à dominante chrétienne, tout comme lui, et notamment le delta du Niger, le soutienne. Ses efforts pour faire cesser le vandalisme dans cette région pétrolière ne sont ainsi pas sans arrière-pensées électorales. Son implication au niveau global sur l’économie via divers projets, comme Npower qui vise à aider les jeunes à trouver un emploi[5], est importante pour lui. Osinbajo sait néanmoins qu’il doit d’abord contrôler certaines zones géopolitiques clés en leur offrant des avantages (cas du delta du Niger) afin de survivre à une éventuelle perte de pouvoir de Buhari.

 

[1]. Au moment où nous rédigeons ces lignes (27 juin), ce dernier n’est toujours pas de retour.

[2]. « I have chosen a man of unimpeachable integrity, an excellent professional, a man of faith, a devoted family man and a role model to our fellow countrymen and women. He is a professor of law and a Senior Advocate of Nigeria. An alumnus of the University of Lagos and the London School of Economics. He is a prodigious author who has to his credit several books on civil procedure in Nigerian superior courts » [J’ai choisi un homme à l’intégrité irréprochable, un excellent professionnel, un homme de foi, un homme dévoué envers sa famille et un modèle pour tous nos compatriotes. Il est Professeur de droit et Senior Advocate au Nigeria ; il a étudié à l’université de Lagos et à la London Schoof of Economics. C’est un auteur prodigieux qui a écrit plusieurs ouvrages sur la procédure civile dans les Cours supérieures du Nigeria. NdlR] Cité dans : M. Buhari, « Why I Chose Osinbajo », Vanguard, 17 décembre 2014.

[3]. A. Bayero, « Sanusi’s Suspension Illegal », Leadership, 22 février 2014.

[4]. « Exhausting Race to Pick Buhari’s Running Mate », Vanguard, 14 décembre 2014.

[5]. Informations complémentaires sur le projet Npower sur : npower.gov.ng.

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Benjamin AUGÉ

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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Le vice-président nigérian Yemi Osinbajo et son chargé de communication Laolu Akande
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