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Quelles suites donner à l'Accord de partenariat et de coopération UE-Russie ?

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Quelles suites donner à l'Accord de partenariat et de coopération UE-Russie?
Corps analyses

IFRI , Bruxelles, 30 septembre 2008
Intervention de M. Eneko Landaburu
Directeur général des Relations extérieures
SEUL LE DISCOURS PRONONCÉ FAIT FOI


Introduction

C’est pour moi un réel plaisir et un honneur de me trouver aujourd’hui parmi vous afin de vous présenter les  enjeux et les futures perspectives de nos relations avec la Russie dans le contexte actuel de crise entre la Russie et la Géorgie.

Beaucoup de commentateurs de la crise en Géorgie analysent ce conflit sous la loupe d’une nouvelle guerre froide. Il m’apparaît d’emblée indispensable d’écarter la possibilité de situer le futur des relations entre l’Union Européenne et la Russie dans une analogie avec les conditions qui ont présidé à l’émergence de la « Guerre Froide » car la notion d’idéologie n’est tout simplement pas partie à l’équation dans ce conflit.

Ce conflit est de nature géopolitique. Il a trait à la redéfinition de l’espace et des relations entre l’Est et l’Ouest dans les pays du voisinage commun de l’Union Européenne et de la Russie. L’intérêt économique de la région est certes un élément à prendre en considération, notamment en ce qui concerne le contrôle des infrastructures de transport et de transit des hydrocarbures vers l’Europe, mais il ne me semble pas avoir été un facteur prédominant du conflit et des motivations russes.

Quelles qu’aient été les raisons et les motivations de ce conflit, il marque un tournant décisif dans les relations internationales qui devra être pris en compte dans la formulation de la politique de partenariat de l’Union Européenne envers la Russie.

La condamnation de l’invasion militaire russe en Géorgie ainsi que de la reconnaissance unilatérale de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par l’Union Européenne a été forte, claire et unanime. Il est impératif de sauvegarder cette unité précieuse et la capacité d’action de l’Union.

 

I. Etat des lieux de nos relations avec la Russie

• Nous sommes actuellement dans une période de mise en oeuvre des décisions prises lors des rencontres du 12 août et du 8 septembre à Moscou et à Tbilissi. Pour rappel : le Conseil Européen du 1 Septembre a demandé le retrait des forces russes à leurs positions du 7 août avant de pouvoir recommencer les négociations sur le Nouvel Accord.

• Nous avons déjà pu observer le retrait de certains éléments militaires russes depuis le 8 septembre. Le déploiement de la mission civile PESD le 1 octobre devrait déclencher une seconde phase de retrait, qui devrait durer jusqu’au 10 octobre.

La mission PESD a vocation de couvrir la totalité du territoire géorgien, y inclus l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, mais la décision russe de reconnaitre l’indépendance des deux territoires complique la mission. Cependant, L’UE a clairement condamné cette décision et appelé à la mise en oeuvre du plan de paix en 6 points auquel la Russie a souscrit.

• Les discussions internationales prévues au point 6 de l’accord du 12 août 2008 débuteront le 15 octobre à Genève. Elles devront notamment aborder les questions relatives aux modalités de sécurité et de stabilité dans la région, la situation des réfugiés ou des déplacés, et tous les autres aspects qui seront jugés opportuns et qui feront l’objet d’un accord entre les parties.

• Il convient de souligner que l’ensemble de ce processus est dynamique et qu’il doit progresser pas à pas. Cependant, on doit se souvenir que le cessez-le-feu a pu être agréé dans un délai très court et dans une situation très difficile sur le terrain.

Les actions russes ont déjà eu un impact sur nos relations tel que l’annulation de la deuxième session de négociation du Nouvel Accord UE-Russie initialement prévue le 15 septembre ; le lancement d’un exercice général d’évaluation de nos relations avec la Russie ; et le report jusqu’à nouvel ordre de toute nouvelle initiative envers cette dernière . En résumé : « it is not business as usual ». Cet examen de nos relations devra se poursuivre jusqu’au sommet du 14 novembre à Nice.

La réunion du CAGRE du 13-14 octobre sera une occasion de faire le point sur la situation, et ce qui sera aussi très probablement le cas lors du Conseil Européen du 15 octobre.

• Entretemps, les affaires courantes continueront, ce qui est notamment le cas en ce qui concerne la tenue de nos dialogues sectoriels, l’organisation de nos réunions au niveau ministériel (Energie le 8 octobre à Paris puis Affaires Etrangères et Dimension Septentrionale le 28 octobre à St. Petersbourg) et les négociations à Genève concernant l’adhésion de la Russie à l’OMC.

 



II. Interdépendance de la relation entre l’UE et la Russie

Notre relation avec la Russie est marquée par une forte interdépendance. La Russie est le troisième partenaire commercial de l’UE après les Etats-Unis et la Chine tandis que l’UE est le premier partenaire commercial de la Russie totalisant 56.5 % de son commerce de biens et marchandises.

• Les chiffres dans le domaine de l’investissement sont encore plus impressionnants puisque 80% des investissements réalisés en Russie ont pour origine les pays de l’Union Européenne et que 80% des investissements étrangers russes ont pour destinations ces mêmes pays de l’Union Européenne. A titre de comparaison, le montant des investissements européens en Russie en 2007 a été dix fois supérieur à ceux réalisés en Chine. Néanmoins, il faut aussi relativiser ceci : ils ne représentent en volume que 15% des investissements réalisés par l’Union Européenne aux Etats-Unis. A cela, il convient d’ajouter que les quelques 450 milliards de réserve de change de la Russie (la troisième dans le monde) sont libellés en euros, ce qui fait de la Russie le plus gros détenteur d’actifs en euros de la planète.

L’interdépendance énergétique est et continuera d'être une caractéristique structurante des relations économiques entre l'Union et la Russie. Les enjeux sont élevés pour les deux parties, car plus de 60% du pétrole et du gaz russes à l'exportation sont expédiés vers l'Union européenne et 25 % (pétrole) et 40% (gaz) de nos importations viennent de la Russie.

• Cette constante a pu être éclipsée par divers désaccords mais concrètement, l'Union et la Russie ont des intérêts complémentaires du point de vue de la sécurité des approvisionnements énergétiques et de celle de la demande énergétique.

• Les questions litigieuses ont trait à la réciprocité des accès aux marchés, aux droits de transit et à la discrimination. L'Union est préoccupée en particulier par les obstacles opposés à ses entreprises en Russie pour l’accès aux activités en amont du secteur énergétique (upstream sector) par les restrictions aux investissements étrangers dans ce qu'on appelle les secteurs 'stratégiques' et par l'influence croissante de l'État dans le domaine de l'énergie.

• Nous continuons, et nous continuerons à avoir des intérêts communs avec la Russie, à la fois dans nos relations bilatérales, et notamment dans l'interdépendance économique qui existe entre nous, et dans la résolution d'autres conflits internationaux, sur le changement climatique global – mais également concernant la coopération aux Nations Unies et pour la résolution de défis tels que celui de la non-prolifération des armes de destruction massive, ou de la propagation des maladies contagieuses (Tuberculose, Sida…).
 


III . Impact de la crise sur les relations entre l’UE et la Russie

• Nous sommes prêts pour un dialogue constructif sur tous ces sujets et il n’y a pas d’alternative à la coopération entre l’UE et la Russie. Par conséquent la rhétorique de confrontation doit être écartée tout en étant clair sur les principes qui doivent gouverner la stabilité et la paix dans notre continent, telle que le respect pour l’indépendance, l’inviolabilité de frontières et l’intégrité territoriale.

• La priorité donné par la nouvelle politique étrangère russe à la défense des citoyens et des intérêts commerciaux russes et le retour à la notion de sphères d’influences est cause de grande préoccupation. Cette position est considérée comme dépassée par l’Union Européenne car nous ne pourrions pas accepter que la Russie cherche à placer des limites sur les décisions souveraines des pays voisins, comme par exemple sur l'adhésion à l'OTAN.

• L’Union avait bien accueilli la politique intérieure du Président Medvedev qui souligne le respect de l’Etat de droit à l’intérieur du pays ainsi qu’entre les pays. Il serait regrettable que cette ouverture ne soit pas maintenue. Il faut souligner que l’adhésion de la Russie aux organisations de coopération internationales (tel que l’adhésion à l’OMC et l’OCDE), est dans l’intérêt de tous.

• Les actions récentes de la Russie ont un impact sur la sécurité régionale, et l’UE suit activement les activités de la CSTO (Collective Security Treaty Organisation) et de l'Organisation de Coopération de Shanghai (SCO). La Russie intensifie en effet sa coopération avec l'Asie centrale, ainsi que son propre 'partenariat oriental', pour ainsi dire.

• La nouvelle doctrine de protection des citoyens russes à l'étranger, a également un impact potentiel important dans tous les pays avec un grand nombre de citoyens russes à l’intérieur de leurs frontières, à commencer par l’Ukraine.

La Moldavie, perçoit également un accroissement de la pression russe : Moscou ayant en effet annoncé publiquement son intention de revenir au mémorandum Kozak de 2003 comme solution au conflit avec Transnistrie. Nous contribuerons davantage et activement au règlement du conflit en Transnistrie dans le contexte dudit processus « 5+2 », le seul acceptable pour arriver à une solution soutenable et durable.

• Quant au Belarus, le Président Lukashenko est sous pression d’accepter l’Union d'État Russie-Biélorussie et a publiquement sollicité la plus grande attention de l’Union Européenne [p.m. résultats des élections législatives du
28 septembre] �� (ouverture vers une normalisation des relations avec l’UE ?).

• La crise actuelle en Géorgie a été un électrochoc pour l'UE afin d’intensifier son engagement pour trouver des solutions à long terme aux conflits gelés dans la région qui ont mis un coup de frein au développement politique et économique régional.

• L’économie Russe n’est pas immunisée face à la crise économique et financière internationale qui secoue la planète.

Les marchés financiers russes ont enregistré de très médiocres performances en 2008, tout comme ceux des autres économies industrialisées ou des pays émergents. Toutefois, si certains facteurs de décélérations peuvent être attribués à des variables exogènes comme la baisse des prix du pétrole, ou la crise financière aux Etats-Unis, d’autres sont directement attribuables à la crise Géorgienne et à la « résolution » de l’Affaire TNK-BP. Je citerai notamment : les importantes sorties de capitaux du marché russe, l’accroissement significatif des risques liés à l’investissement et la probable réévaluation à la baisse du marché du crédit en Russie par les agences internationales.

• Si les indicateurs macro-économiques russes restent au vert (8% de croissance cette année, 14.7% inflation) et que la Russie dispose des moyens fiscaux et monétaires d’endiguer la crise, la faible diversification de son économie, le manque d’infrastructures, sa faible compétitivité doivent être également soulignés comme autant de signes de la vulnérabilité de son économie. Ces éléments doivent être soumis à la réflexion des adeptes de la confrontation à Moscou.
 


IV . Quelles réponses pour l’UE ?

• Sans préjuger de l’exercice actuel d’examen de notre relation avec la Russie lors de la réunion du CAGRE des 14 et 15 octobre, je souhaiterais poser ici quelques jalons concernant nos axes de réflexion.

• Nous devons travailler avec la Russie de manière pragmatique et la prendre telle qu’elle est, plutôt que telle que nous souhaiterions la voir se transformer.

• C'est sur base de nos propres intérêts que nous avons lancé les négociations sur le Nouvel Accord. Il est essentiel que nous poursuivions notre engagement avec la Russie. Trop d'intérêts sont en jeu pour encourager la Russie dans son mouvement vers un plus grand isolement. Nous devons utiliser tous les mécanismes que nous devons à notre disposition avancer les intérêts de l'UE dans tous les domaines.

Il conviendra de reprendre les négociations sur le Nouvel Accord dès que les conditions seront réunies pour une telle reprise de manière à pouvoir parvenir à des avancées concrètes et significatives.

• En même temps, nous n’abandonnerons pas notre travail pour la promotion de valeurs démocratiques en Russie. La question est ouverte de manière à déterminer si nous avons des 'valeurs partagées'. Ce qui est certain, c’est que nous partageons des engagements dans les domaines des droits de l'Homme et de la démocratie. A ce titre, la Russie est membre du Conseil de l’Europe et l’Union Européenne ne peut transiger sur le respect de la notion d’Etat de droit, ou sur le respect du principe de l’intégrité territoriale.

Sur notre coopération dans notre voisinage commun, notre réponse devrait être double : approfondir davantage les relations bilatérales avec les pays concernés, et prendre des nouvelles initiatives dans un « Partenariat Europe de l’Est », qui doit offrir un partenariat véritablement privilégié se basant sur l’actuel PEV.

• Dans ce contexte, nous devrions pouvoir tirer parti de l'expérience acquise dans le pacte de stabilité des Balkans, qui s’est révélé extrêmement efficace.

L’Union Européenne devra continuer sa médiation de la crise tout en préservant une union forte autour de l’axe transatlantique ainsi que sa crédibilité vis-à-vis de Moscou. On aura pu observer la réaction américaine sur la crise géorgienne : les Etats-Unis se sont alignés sur les positions européennes en soutenant notamment le plan Sarkozy-Medvedev-Saakashvili. Une façon également pour Washington d’éviter la confrontation directe avec Moscou.

Au plan économique, l’Union Européenne et les Etats-Unis doivent continuer à travailler dans la même direction afin de poursuivre les efforts d’intégration de la Russie dans l’économie mondiale et les organisations de coopération économiques multilatérales telles que l’OMC et l’OCDE.

Sur l'énergie : Nous devrions surveiller les conditions de sécurité énergétique chez nos partenaires du voisinage. La plus grande installation d'hydroélectricité de l'ex-Union soviétique, par exemple, est située à la frontière entre la Géorgie et l'Abkhazie. La majorité des approvisionnements en gaz de l'Arménie viennent de Russie via la Géorgie.

• Les événements d'août devraient également éveiller les consciences pour réviser notre propre politique énergétique. Alors que la sécurité d'approvisionnement n'a pas été interrompue, ces développements ont un impact sur les perspectives d'avenir pour le transit par le Caucase, ainsi pour le couloir Transcaspien et notre recherche de nouveaux fournisseurs en Asie centrale.

• La Commission travaillera pour répondre à la demande du Conseil européen d’examiner des initiatives qui pourraient renforcer notre sécurité d'approvisionnement et particulièrement la diversification des sources et des itinéraires d'approvisionnement. L’exercice de « Strategic Energy Review » en novembre ainsi que notre future Communication sur un Partenariat Europe de l’Est incluront des propositions à cet effet.

• Nous devons être prêts à examiner ces questions ensemble. En tant que grand consommateur d'énergie, l’Europe a une puissance de levier sur ses fournisseurs, et nous devons apprendre à l'utiliser et examiner les modalités de sa possible mise en oeuvre. Nous devons être plus cohérents dans nos réflexions sur la diversification des sources de transport et d’approvisionnement.

 • Dans une perspective à plus long terme, l'Union est intéressée par l’établissement d’un « partenariat stratégique» visant à travailler avec ce pays à diversifier et à moderniser son économie ainsi qu’à accroître son efficacité énergétique et son potentiel d'innovation. Nous attendons avec intérêt ce qui contribuera à promouvoir une coopération véritablement équilibrée dans tous les domaines y compris dans les secteurs de la recherche et de la coopération nucléaire.

• À tous les niveaux, nous devons faire passer le message que l'isolationnisme russe n'est pas le chemin à suivre, et que l'engagement continu avec la communauté internationale est la seule réponse aux problèmes structurels profondément enracinés dans le pays, y compris en ce qui concerne la nécessité de continuer l’effort de modernisation et de diversification économique.

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