Que signifie le retour des conservateurs au Japon ?
La victoire " par défaut " du PLD
Les élections législatives anticipées du dimanche 16 décembre ont vu une victoire éclatante pour les conservateurs du Parti libéral démocrate (PLD), qui parvient à revenir au pouvoir après trois ans d’une alternance historique. Il obtient plus de la majorité des sièges (294) à la Chambre basse, et atteint la majorité qualifiée des deux tiers, avec son allié le Nouveau Komeito (31 sièges). Cet apparent plébiscite reflète d’abord la grande déception des Japonais envers le Parti démocrate (PDJ), et le manque d’alternative politique cohérente et viable.
Le Parti démocrate a en effet subi une cuisante défaite, ne conservant que 57 sièges sur les 308 gagnés en 2009. Le PDJ s’était alors imposé comme une alternative neuve, promettant la fin du régime sclérosé de l’après-guerre, la mise en place d’un nouveau modèle de gouvernance plus transparent et démocratique et une politique de redistribution sociale ambitieuse. Il n’a toutefois eu ni l’habileté, ni les moyens financiers de ses ambitions. Trois Premiers ministres (Yukio Hatoyama (09/2009-06/2010), Naoto Kan (06/2010-09/2011) et Yoshihiko Noda) plus tard, après plusieurs revirements, échecs et divisions, le parti est exsangue. On estime que le PDJ n’a réalisé qu’un tiers de son programme, et qu’il est largement revenu sur le reste. Sa mesure la plus significative - le doublement de la TVA - est même contraire à ses promesses initiales de ne pas augmenter les impôts.
Face à cet échec des démocrates, les Japonais sont donc retournés vers le PLD, qui peut s’appuyer, lui, sur une longue expérience gouvernementale. C’est pourtant ce parti que les électeurs nippons avaient durement sanctionné en 2009, le jugeant incapable de faire évoluer le système politico-économique en crise depuis les années 1990.
Hors le PLD, aucune autre alternative crédible n’était proposée aux Japonais lors de cette élection, malgré le nombre record de partis (12) qui se sont présentés. Le soi-disant " troisième pôle " dont les médias ont fait leurs choux gras est composé de deux partis d’obédience pratiquement opposées, qui ont en commun d’être dans une large mesure des groupements hétérogènes et opportunistes, emmenés par des leaders locaux.
Le plus récent, le Parti de l’avenir du Japon, fondé par le populaire gouverneur de Shiga, Mme Kada, se présente comme le premier parti écologiste de l’archipel. Il exige une sortie du nucléaire à l’horizon 2022 et défend une politique familiale permettant un meilleur accès des femmes au marché du travail. Il est donc en phase avec les aspirations d’une bonne partie de l’opinion publique japonaise. Pourtant, il ne recueille que 9 sièges. Outre son inexpérience, la fusion avec le parti d’Ichiro Ozawa a fait craindre que ce dernier n’utilise cette plateforme comme un énième tremplin pour faire rebondir sa longue carrière politique. Ce très faible score montre également que le mouvement anti-nucléaire, qui gagne en puissance depuis plusieurs mois dans l’archipel, n’est pas politisé.
Le Parti de la restauration du Japon (Nippon Ishin no Kai) est le résultat de l’association d’un jeune loup, Toru Hashimoto le maire d’Osaka, et un vieux renard, Shintaro Ishihara, ancien maire de Tokyo. Les deux ambitieux se sont entendus sur une plate-forme a minima, fondée sur la défense d’un Japon nationaliste et réarmé. Des différences fondamentales séparent en effet les deux hommes sur des thématiques centrales, notamment sur l’avenir du nucléaire au Japon (Hashimoto veut sortir du nucléaire, Ishihara souhaite le développer), la politique fiscale et la libéralisation commerciale. Les 54 sièges remportés par le parti constituent une entrée honorable sur la scène politique japonaise, mais ce score est beaucoup plus modeste que ce que les premiers sondages semblaient présager. Ce groupe politique au discours décomplexé a séduit d’une part une jeunesse déçue par l’establishment politique et la longue crise économique, et d’autre part, les anciennes générations plus conservatrices et ultranationalistes. Il a également bénéficié de la peur liée aux menaces chinoises et nord-coréennes qui ont pris une tournure très concrète à la veille des élections (première violation du territoire aérien japonais par la Chine et tir d’une fusée par Pyongyang). Il reste à voir si le parti saura faire cohabiter sur le moyen terme les proches d’Hashimoto et d’Ishihara, que des désaccords opposent régulièrement.
Il est significatif de constater qu’après Fukushima, ce n’est pas une solide force écologiste que l’on voit émerger, mais une mouvance nationaliste. C’est inquiétant pour la vie politique japonaise, mais également sur le plan diplomatique, car ces développements envoient de très mauvais signaux aux voisins du Japon, et notamment à la Chine, qui a durci son attitude face à Tokyo ces derniers mois. L’affirmation d’une force nationaliste au Japon donne en effet plus d’arguments aux autorités chinoises pour remettre en cause la place du Japon en Asie et l’accuser d’un retour au militarisme. On peut donc légitimement s’interroger sur la nature de la " droite " au pouvoir aujourd’hui, qui est sans nul doute représentative d’un courant très conservateur au sein du PLD. Il ne faut toutefois pas oublier que ce grand parti " attrape tout " est constitué d’un large spectre de sensibilités politiques, qui le rapproche davantage du centre que de l’extrême-droite. Aussi, l’administration Abe pourrait faire preuve, au moins durant ses premiers mois, d’une approche beaucoup moins " nationaliste " que prévu.
Shinzo Abe et le PLD au pouvoir : un agenda moins nationaliste que prévu
Le programme du PLD prévoit notamment de :
- modifier la Constitution, notamment son article 9, pour doter le Japon d’une " armée de défense nationale " (et non plus de " forces d’autodéfense ", il s’agit d’un changement essentiellement symbolique),
- permettre au Japon d’exercer son droit à la légitime défense collective (c’est-à-dire pouvoir défendre un allié),
- renforcer l’alliance nippo-américaine et
- mieux protéger les intérêts nationaux japonais (Abe avait notamment évoqué le stationnement de " fonctionnaires " sur les îles Senkaku/Diaoyu).
Le ton nationaliste de Shinzo Abe pourrait toutefois s’adoucir, une fois au pouvoir, et le programme politico-militaire du parti, connaitre quelques ajournements. Plusieurs éléments plaident en la faveur de ce décalage entre le discours et la pratique :
-Le pragmatisme du pouvoir : La surenchère nationaliste de la campagne prenant fin, l’exercice du pouvoir et ses contraintes devraient conduire le Premier ministre à nuancer ses déclarations. Les hauts-responsables du PLD ont déjà indiqué qu’Abe s’évertuerait à stabiliser la relation avec Pékin après les récentes tensions. Par ailleurs, Shinzo Abe s’était déjà illustré dans cet exercice lors de son premier mandat en 2006 : il avait réservé son premier voyage officiel à Pékin et avait promis de ne pas se rendre au sanctuaire Yasukuni. L’objectif était alors de réchauffer les liens avec le voisin chinois, mis à mal sous l’administration Koizumi. Si cette démarche semble de prime abord mal s’accorder avec ses convictions nationalistes, le Premier ministre pourrait y trouver son compte. L’amélioration des relations avec Pékin sans démonstration de faiblesse de la part du Japon serait une preuve que Tokyo a su regagner le respect de son voisin. Une démarche pragmatique, qui s’appuierait sur un discours ferme face à la Chine, tout en tendant la main pour aboutir à une nouvelle stabilité dans la relation constituerait sans aucun doute un succès diplomatique pour le Japon.
-L’échéance électorale de l’été 2013 : l’objectif pour le PLD est de s’assurer une majorité des sièges aux élections à la Chambre haute qui se dérouleront l’été prochain. Cela facilitera grandement sa gestion des affaires, en mettant fin au phénomène de la " Diète distordue " (cohabitation entre chambre haute et basse) qui ralentissait le processus législatif depuis 2007. Pour s’assurer une victoire électorale, il lui faut s’attaquer en priorité aux questions économiques, premier souci des Japonais. Le Premier ministre Abe se concentrera donc sans doute en priorité sur le retour de la croissance durant les premiers mois de son mandat.
La nécessité de ménager un certain nombre de partenaires :
- le Nouveau Komeito, partenaire de coalition : Ce parti démocrate-bouddhiste défend des principes pacifistes et s’oppose à la révision de l’article 9 de la Constitution. Le PLD a besoin de son allié, au moins durant les premiers temps de son mandat. Il pourra toujours se tourner vers le Parti de la restauration pour amorcer une procédure de révision de la Constitution, qui requiert deux tiers des votes aux deux chambres de la Diète, et l’organisation d’un référendum populaire.
-L’allié américain : le premier objectif politico-militaire d’Abe est de renforcer la capacité de défense du Japon, dans le cadre du partenariat de sécurité avec les Etats-Unis. Or, une posture trop ouvertement provocatrice du Japon face à la Chine est de nature à mettre l’alliance en difficulté : Washington serait alors dans une posture très inconfortable : défendre son allié sans favoriser une escalade militaire avec la Chine, qui ‘"est pas non plus dans son intérêt.
- Le milieu des affaires : c’est un soutien important pour le PLD, et qui souhaite le retour à la stabilité dans les relations nippo-chinoises. Les intérêts économiques japonais en Chine sont très importants et devraient encore grandir dans les années à venir. Pour les milieux d’affaires, la relation bilatérale doit donc être gérée sur une base la plus rationnelle possible, en évitant les provocations et emportements nationalistes.
Qu’attendre dans les prochains mois ?
Le gouvernement de Shinzo Abe va donc s’attacher en priorité à stimuler la croissance, dans un Japon en récession. L’adoption d’une rallonge budgétaire pour l’exercice 2012 (qui se termine en avril prochain) a d’ores et déjà été annoncée et une politique de grands travaux pourrait être rapidement mise en œuvre. Abe souhaite également collaborer avec la Banque du Japon pour favoriser une inflation de 2%, qui devrait enrayer la spirale déflationniste qui déprime le pays depuis des années et tirer le Yen à la baisse pour favoriser les exportations. Cette politique implique une nouvelle fuite en avant en ce qui concerne le montant de la dette publique, qui s’évalue à plus de 220% du PIB.
En matière de libre-échange commercial, la posture se veut ouverte mais raisonnée : les accords avec l’Union européenne et pour une zone de libre-échange avec la Chine et la Corée seront favorisés. La position du PLD est plus confuse concernant le Partenariat Trans-Pacifique : si le parti souhaite se joindre aux négociations, il a indiqué que l’accord ne devra pas " heurter les intérêts nationaux " du Japon. D’autres enjeux économiques et démographiques, notamment la question du financement de la sécurité sociale et des retraites font partie des dossiers importants à faire avancer.
Sur la politique énergétique et nucléaire, l’un des grands débats de cette élection, il est paradoxal de voir que les Japonais, qui se prononcent en grande majorité pour l’abandon du nucléaire, ont conduit au pouvoir un parti qui déclare ne pas vouloir se passer de l’énergie atomique. Aussi, on peut s’attendre à un redémarrage graduel des réacteurs jugés les plus sûrs, sur autorisation de la nouvelle autorité de sureté nucléaire. Cette démarche devrait également permettre de résorber le déficit commercial japonais tiré par les fortes importations d’hydrocarbures depuis Fukushima.
La fin de l’instabilité politique ?
Le retour du PLD au pouvoir signifie-t-il la fin de l’instabilité politique au Japon ?
Sur le court terme, le très bon score obtenu par le PLD et son allié le Komeito devrait permettre en principe de surmonter la paralysie institutionnelle qui frappe le Japon avec le phénomène de la cohabitation entre les deux chambres de la Diète. En effet, le vote d’un texte à la majorité qualifiée à la chambre basse permet de surmonter l’opposition de la chambre haute. Toutefois cette procédure de passage en force est peu populaire. Aussi, la véritable échéance reste juillet 2013, avec le renouvellement par moitié de la chambre haute. On aborde donc une période de transition, durant laquelle les tractations politiques ne devraient pas cesser.
La fragmentation de la scène politique japonaise pourrait donner lieu à une recomposition du paysage politique, marquée par davantage de cohérence idéologique. Reste à voir si le parti démocrate survivra à sa défaite, et si le PLD saura capitaliser sur sa victoire, car le parti n’a pas véritablement réussi à se régénérer durant ses trois années d’opposition, le retour de Shinzo Abe à la tête de l’exécutif en est une preuve éclatante.
Résultats des élections anticipées à la Chambre basse japonaise
16 décembre 2012
|
Nombre de sièges post-élections 2009 |
Nombre de sièges |
Parti Libéral Démocrate (PLD) |
119 |
294 |
Nouveau Komeito |
21 |
31 |
Parti Démocrate Japonais (PDJ) |
308 |
57 |
Nouveau Parti du Peuple |
3 |
1 |
Parti de la Restauration du Japon |
- |
54 |
Votre Parti |
5 |
18 |
Parti de l'Avenir du Japon |
- |
9 |
Parti Communiste Japonais |
9 |
8 |
Parti Social Démocrate |
7 |
2 |
Vrai Parti Démocrate Daiichi |
- |
1 |
Indépendants |
6 |
5 |
Total des sièges |
480 |
480 |
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