Najib Tun Razak : et si c'était lui, le Premier ministre malaysien de transition ?
Malaisie, Malaysia ou Malaya [1] ? Asie du Sud-Est péninsulaire ou maritime [2] ? Etat islamique ou séculaire ? Nation malaise ou pluri-ethnique ? La Malaysia aime jouer sur les ambiguïtés. Comme dans le théâtre d'ombre malais (wayang kulit), difficile de savoir ce que cachent véritablement les silhouettes des principaux personnages de la scène politique locale. Dans ces conditions, décrypter les deux premiers mois au poste de Premier ministre de Najib Tun Razak (UMNO - United Malays National Organisation) relève du défi. S'agit-il en l'espèce d'un profond changement sur la scène politique malaysienne ? Changement par rapport à qui ? Changement de vitesse ou de cap ?
A première vue, sa nomination vise à renforcer le Barisan Nasional (Front national)[3] emmené par l'UMNO, la coalition étant menacée par la montée en puissance du Pakatan Rakyat (ou People's Alliance)[4]. Mais comme dans le théâtre d'ombres, d'autres approches et regards sont possibles, voire recommandés.
La genèse d'une nomination
Le Docteur M. - Mahathir - cède le poste de Premier ministre à Abdullah Ahmad Badawi en 2003. Ce discret et inoffensif ministre des Affaires étrangères ne doit alors être qu'un " pape de transition " pour des Malaysiens qui souhaitent une " pause " après " deux décennies essoufflantes " sur le plan économique[5]. Mais au niveau politique, les attentes sont fortes. Si Badawi ose prendre quelques initiatives en matière de lutte contre la corruption, quitte à égratigner le système autocratique mis en place par Mahathir, les électeurs deviennent exigeants et penchent de plus en plus en faveur d'Anwar Ibrahim, le charismatique opposant, enfin sorti de prison où l'avait envoyé Mahathir. Badawi doit par ailleurs faire face à un difficile contexte économique ainsi qu'aux critiques de son prédécesseur. Au fil des mois, celui-ci a de plus en plus souvent marqué son désaccord avec les décisions prises dans différents domaines. Surtout, il fut irrité par la prise de distance des dirigeants avec son bilan et sa pratique du pouvoir. Agacé, il est allé jusqu'à quitter l'UMNO par dépit[6].
La défaite historique du Barisan Nasional lors des élections générales[7] de mars 2008 est un coup dur pour le Premier ministre Badawi. Cinq mois plus tard, Anwar est élu député lors d'un scrutin local et prend formellement les rênes de la coalition regroupant les partis d'opposition. Sans doute lassé car sous pression et critiqué de toutes parts suite au fiasco électoral, Badawi s'efface au profit de l'intriguant Najib, qui est nommé Premier ministre en avril 2009.
Quelles différences ?
Comme pour son père Tun Abdul Razak, Premier ministre de 1970 à 1976, la mission de Najib est de répondre au signal lancé par le peuple et de contrer la poussée de l'opposition. Mais en tant que fils spirituel de Mahathir, l'objectif est aussi de rétablir l'ordre et de resserrer les rangs parmi l'UMNO.
Certes, pour répondre aux aspirations de la population, un nouvel élan a semblé se dessiner comme en témoignent le ton plus agressif et le style plus mordant de Najib. Ce dernier a pris pour vice-Premier ministre une personnalité politique expérimentée et semble s'engager vers un assouplissement du volet économique de la politique de discrimination positive fondée sur l'article 153 de la Constitution. Aussi quelques commentateurs ont-ils voulu voir se dessiner une " nouvelle ère " en Malaysia[8].
Néanmoins, les pratiques népotistes subsistent. Le fils de Mahathir, Mukhriz, a ainsi intégré le gouvernement en tant que vice-ministre du Commerce. De même, Hishammudin Hussein, cousin de Najib, a été nommé ministre de l'Intérieur. Mahathir lui-même a finalement réintégré l'UMNO en 2009.
Ces manœuvres politiciennes se doublent d'un durcissement policier vis-à-vis de l'opposition et des mouvements pro-démocratiques. Des vagues d'arrestations ont touché les militants de la Coalition pour des élections libres et transparentes (Bersih, ce qui signifie " propre " en malais) ainsi que du Parti islamique panmalaysien (PAS ou Parti Islam SeMalaysia)[9]. D'autres activistes ont été inculpés puis libérés, parfois sous caution comme Karpal Sing, président du DAP (Democratic Action Party). Beaucoup de ces arrestations sont liées aux contestations faisant suite à la mise en place arbitraire, à leurs yeux, d'un nouvel exécutif à la tête de l'Etat du Perak.
L'atmosphère est tendue et le climat trouble. En parallèle à ces événements, de lourds soupçons liés à de vieilles pratiques pèsent toujours sur Najib et son entourage, que ce soit à propos d'achats de voix lors de son élection à la tête de l'UMNO - passage obligé pour devenir Premier ministre -[10] ou bien à cause de malversations lors de précédents contrats d'armement.
Des défis de taille à relever
Dans ces conditions Najib n'a pu profiter d'un état de grâce de début de mandat. Pour preuve, deux des trois élections partielles tenues le 7 avril (élection législative et élections pour les assemblées de deux Etats fédérés), peu après sa nomination, ont été perdues par l'UMNO. L'électorat a ainsi une nouvelle fois marqué son rejet d'une politique s'inscrivant dans le sillage de Mahathir. Pour la cohésion nationale, Najib doit donc reprendre la main. Aussi développe-t-il aujourd'hui son concept de 1Malaysia (One Malaysia) autour de trois piliers ou notions : l'acceptation (Acceptance), la construction nationale (Nationhood) et la justice sociale[11]. De son côté, après une première tentative avortée en septembre 2008, la coalition du Pakatan Rakyat œuvre quotidiennement pour espérer prendre la majorité au Parlement sous l'impulsion d'Anwar Ibrahim. Dans ce contexte, et suite au départ de Badawi, les modérés ou modernes de l'UMNO se voient à présent de plus en plus contraints de choisir entre le parti au pouvoir ou l'opposition.
Tels sont les rapports de force. En outre, les dirigeants malaysiens doivent toujours prendre en compte les questions économiques et religieuses. La Banque mondiale a récemment souligné que la trop forte dépendance à l'égard des exportations devrait plomber la croissance de 1 % en 2009 après que celle-ci a baissé de 6,3 à 4,6 % entre 2007 et 2008. Les exportations ont encore chuté de 15,1 % au premier trimestre 2009. De plus, la Banque mondiale craint une baisse des revenus par habitant et l'augmentation subséquente de la pauvreté dans le pays[12]. Najib sera également attendu sur le terrain religieux, lui qui affirmait en 2007 que la Malaysia avait toujours été un Etat islamique[13]. La question est sensible et plusieurs polémiques ont ravivé le débat en 2008[14]. Les tensions socio-religieuses mettant notamment en scène la minorité indienne, particulièrement défavorisée, et des musulmans regroupés au sein de l'ACCIN (Allied Coordinating Committee of Islamic NGOs) qui demandent à pouvoir " vivre selon leurs principes et leurs lois "[15] nuisent encore au fragile équilibre national.
Conclusion : la jeunesse décidera
Dans cet environnement complexe et incertain, la jeunesse constitue une force importante - 31,4% de la population a aujourd'hui moins de 15 ans[16] - qui pourrait faire basculer les choix politiques. Suivra-t-elle l'exemple des manifestants birmans et indonésiens de 1988 et 1998 ? Ou bien rêvera-t-elle davantage de business et d'Internet que de politique et de manifestes comme c'est le cas à Singapour, au Laos ou en Birmanie[17] aujourd'hui ? Lors des prochains scrutins, cette nouvelle génération de votants constituera 40% du corps électoral[18].
Eric Frécon est chercheur associé au Centre Asie et post-doctorant au sein du programme Indonésie de la S. Rajaratnam School of International Studies (Singapour).
[1] " La toponymie de l'ensemble malaysien est complexe. Pendant la période coloniale, on nomme Malaya le territoire de la péninsule malaise sous contrôle britannique ; Malaya se traduit par Malaisie et ne se réfère qu'à la péninsule. A l'indépendance, le nom officiel du pays devient : fédération de Malaya. La fédération change de nom en 1963 (…). Le nom officiel devient alors : fédération de Malaysia. " (BEAULIEU, Isabelle, L'Etat rentier : le cas de la Malaysia, Ottawa : Presses de l'université d'Ottawa, 2008, p. 53. Notons que la diplomatie française préfère utiliser " Malaisie ".
[2] La Malaysia est éclatée entre la péninsule sud-est asiatique et Bornéo où se situent le Sabah et le Sarawak, deux composantes de la fédération.
[3] Le Parti Perakatan (ou Alliance Party) est devenu Barisan Nasional en 1973. Il s'agit d'une coalition au pouvoir en Malaysia depuis 1957. Cette coalition rassemble quatorze partis dont une composante malaise, l'UMNO, toujours majoritaire, le MIC (Malaysian Indian Congress) et le MCA (Malaysian Chinese Association).
[4] Le Pakatan Rakyat a été formé en avril 2008. Cette alliance rassemble le Parti Keadilan Rakyat (ou People's Justice Party), le DAP (Democratic Action Party) et le Parti islamique panmalaysien (PAS ou Parti Islam SeMalaysia).
[5] POMONTI, Jean-Claude, " Sclérose et changement : réflexions sur une gestion ", Eglises d'Asie : la Malaisie à la croisée des chemins, n°6, janvier 2009, p. 19
[6] Blog de Mahathir (consulté et réactualisé le 27/5/2009)
[7] Il s'agissait d'élire les assemblées de douze des treize Etats fédérés ainsi que les députés de la Chambre des représentants à Kuala Lumpur ; résultats complets sur (actualisé le 10/3/2008, consulté le 3/6/2009).
[8] Yang Razali Kassim, "Najib's UMNO: Enter a New Era", RSIS Commentaries, 32/2009, 30/3/2009, 3 p.
[9] GUILLITTE, Françoise, " Malaisie : le gouvernement réprime la liberté d'expression ", Amnesty international, 6/5/2009
[10] POMONTI, Jean-Claude, op. cit., p. 18
[11] "Najib Wants Malaysians to Imbibe Three Pillars for National Unity", Bernama, 24/5/2009
[12] World Bank, Battling the Forces of Global Recession, April 2009, p. 48-50; RODIER, Arnaud, " L'Asie cherche un autre modèle de croissance ", Le Figaro, 11-12/4/2009, p. 22 ; "Latest data & forecasts: Malaysia", AsiaInt Weekly Alert, 29/5/2009. Voir également Missions économiques, Malaisie, Kuala Lumpur: DREE, 5/11/2008 (consulté en mai 2009).
[13] "Malaysia Not Secular State, Says Najib", Bernama, 17/7/2007
[14] DUBUS, Arnaud, " La Malaisie à la recherche d'un nouveau modèle ", Eglises d'Asie : la Malaisie à la croisée des chemins, n°6, janvier 2009, p. 33-34
[15] LEMIERE, Sophie, " La société civile islamique en Malaisie ", Eglises d'Asie : la Malaisie à la croisée des chemins, n°6, janvier 2009, p. 51
[16] CIA, op. cit.
[17] FAVRE, Anaïs, " Avoir vingt ans en Birmanie et rêver de business ", Le Monde, 26/03/2009
[18] Yang Razali Kassim, op. cit., p. 3
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