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Méditerranée : mutations économiques sur fond de blocages

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Méditerranée : mutations économiques sur fond de blocages
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Compte-rendu écrit par Christian Schülke, assistant de recherche, Ifri Bruxelles

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Responsable du programme Maghreb de l’Ifri, Khadija Mohsen-Finan a introduit la conférence en dressant les grandes lignes du débat sur les mutations économiques dans les pays arabes méditerranéens. Selon une vision répandue, leurs systèmes politiques figés freinent leur dynamisme économique et empêchent leur développement. Néanmoins, depuis ces cinq dernières années, on peut observer une évolution sensible vers un développement plus durable pour lequel il reste à évaluer l’impact de la crise financière et économique.

Fondant son analyse du développement économique de la région sur une approche pluridisciplinaire, empirique et à long terme, Jacques Ould-Aoudia rappelle que les pays arabes méditerranéens sont des pays en transition, ce qu’il souligne d’ailleurs dans son récent ouvrage intitulé Croissance et réformes dans les pays arabes méditerranéens (Karthala, 2008). Comparée à d’autres régions du monde et au regard du revenu moyen par tête, la région ne souffre pas d’une pauvreté excessive – en termes monétaires et en capacités –, et la gouvernance n’y est pas particulièrement mauvaise. Tandis que certains pays asiatiques connaissent un véritable décollage économique, les pays arabes méditerranéens peinent encore à se développer. Malgré l’embellie économique des cinq dernières années, la croissance récente n’amorcera probablement pas de développement durable.

Pour comprendre les tendances longues du développement de la région, la grille d’analyse classique des économistes n’est pas appropriée, estime Jacques Ould-Aoudia. Une autre approche, fondée sur les institutions et l’économie politique, s’impose alors. Leur fuite de cerveaux et de capitaux révèle les problèmes institutionnels caractéristiques de ces pays pour lesquels la stratégie classique de développement fondée sur un équilibre macro-économique - une réduction du rôle de l’Etat et un système financier dynamique - ne fonctionne pas. Seule la Tunisie fait figure d’exception : sa croissance est plus élevée que celle des pays européens, ce qui lui permet de rattraper le retard de développement.

Enfin, le fait que les pays de la région se trouvent entre deux schèmes économiques, constitue un véritable problème de fond. D’un côté, le système traditionnel de loyauté et de réseaux personnels ne suffit plus parce que les sociétés sont devenues trop complexes, de l’autre, les sociétés ne font pas encore confiance au système moderne, fondé sur la légalité et le droit. Ceci pose des problèmes très concrets, par exemple en termes de comptabilité. De même, l’utilisation des rentes pose un défi important : la richesse dont profitent certains acteurs proches du pouvoir politique n’est pas investie de manière durable dans les pays arabes méditerranéens. Contrairement aux pays asiatiques, les élites de la région n’ont pas confiance en leurs sociétés et n’injectent pas suffisamment d’argent pour les besoins des populations (en ce qui concerne, par exemple, l’éducation). Les élites ne s’identifient pas à leurs pays et se désintéressent de leur développement économique. Paradoxalement, la politique d’aide menée par les pays européens renforce ce problème et contribue à la déconnexion des élites de leurs sociétés.

La période actuelle montre toutefois très clairement que la source principale du développement est endogène. Ainsi, c’est surtout la situation à l’intérieur des pays qui doit changer. L’aide par des tiers comme l’UE ne peut pas être une solution durable : maintenir une aide permanente asphyxie le principe de réciprocité.

Revenant sur les propos de Jacques Ould-Aoudia, Pierre Deusy a souligné l’importance des facteurs endogènes pour le développement économique. Selon lui, ce sont la position des élites et la façon dont elles utilisent les rentes qui déterminent le développement de la région. Néanmoins, Pierre Deusy note que l’évolution plutôt positive des dix dernières années donne de l’espoir pour les années à venir. Plusieurs pays de la zone ont actuellement des taux de croissance plus élevés que les pays européens et l’Economist Intelligence Unit prévoit même que la région profitera des taux de croissance les plus élevés dans le monde entre 2007 et 2013. Citant l’exemple de l’Egypte, Pierre Deusy rappelle que des réformes supposées impossibles il y a dix ans y ont eu lieu ces dernières années. Aussi si les pays restent politiquement et sociologiquement fragiles, les réformes engagées récemment marquent une évolution surprenante, surtout dans le contexte difficile de l’après 11 septembre 2001.

Dans le contexte actuel, les pays de la région dont les marchés financiers sont moins développés et les économies fortement contrôlées par l’État semblent, du moins à première vue, moins concernées par la crise financière et économique. Toutefois, le contre-choc pétrolier – la très rapide chute du prix de pétrole après sa fabuleuse hausse – constitue un défi considérable pour ces pays qui détiennent des réserves importantes de pétrole et gaz : aussi les pays exportateurs doivent-ils adapter leurs budgets à la baisse des recettes de leurs exportations. Comme le pétrole constitue un facteur économique primordial, la chute des recettes pétrolières réduira par la suite le niveau des investissements dans toute la région. De même, la baisse de la demande en Europe aura des conséquences importantes, et ceci dans tous les secteurs économiques, puisque l’Europe est de loin le premier partenaire commercial des pays arabes méditerranéens. La récession en Europe réduira également les transferts d’argent des immigrés, ce qui pourrait particulièrement affecter des pays comme le Liban et l’Egypte, où ces transferts constituent environ 20% du PIB. Selon M. Deusy, les défis actuels constituent un processus darwinien : les réponses apportées à la crise détermineront quels pays sont dotés d’une mauvaise ou d’une bonne gouvernance économique. Ces derniers sortiront sans doute mieux de la crise.

Face aux risques qui se présentent aujourd’hui, les pays arabes méditerranéens possèdent toutefois quatre atouts :

  • Ils ont des réserves monétaires très importantes puisque la chute des prix des matières premières a considérablement réduit le niveau des subventions normalement consacrées à ces produits.
  • Leur potentiel fiscal est sous-utilisé et des réformes du système fiscal pourraient apporter des recettes significatives (notamment de la part des couches les plus aisées).
  • Les possibilités d’investissement sont bonnes. L’exemple de Tanger montre que des investissements intelligents dans la région peuvent avoir des effets très positifs.
  • La situation démographique est très favorable : comme dans les années 1960 en Europe, il y a relativement peu de jeunes et peu de vieux, ce qui fait que la part de la population active est très élevée.


La dynamique politique créée par l’Union pour la Méditerranée (UPM) ainsi que plusieurs avancées concrètes, comme l’introduction, cette année, du « benchmarking » entre les pays et la récente réalisation des interconnexions électriques entre le Maroc et l’Algérie, renforcent la tendance positive. Tous les acteurs, et surtout les élites, doivent saisir l’importance des enjeux actuels et prendre les décisions nécessaires afin de réaliser les réformes de fond indispensables. Ainsi, la région pourra profiter de l’opportunité qui se présente aujourd’hui.
 

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