L’OPEP existe-t-elle encore ?
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A la Conférence des Parties (COP21) du Bourget, de nouvelles coalitions (l’Alliance Internationale du Solaire ou la « Breakthrough Energy Coalition ») sont apparues en marge des négociations climatiques. Concentrées autour de projets de recherche et de développement, ces initiatives permettront d’avancer vers de nouveaux modes de consommation énergétique.
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La COP21 était certes au cœur des préoccupations de la presse internationale, mais la raison de ce manque d’intérêt médiatique est ailleurs. Le 4 décembre, l’OPEP a décidé de ne rien décider : « Etant donné la situation économique actuelle des pays consommateurs et de l’économie mondiale, nous allons maintenir la production à ses niveaux actuels » a déclaré le président en titre de l’OPEP. L’organisation n’a même pas pris la peine de fixer un objectif de production comme elle le faisait auparavant. Pourtant avant cette réunion, divers pays producteurs ont une nouvelle fois appelé à une réduction de la production pour soutenir les prix. L’Arabie Saoudite avait même annoncé qu’elle était disposée à réduire sa production, tout en ajoutant qu’elle ne le ferait que si les Etats-Unis et la Russie faisaient de même !... Résultat, les prix du pétrole ont baissé sur les marchés.
Pourtant ce n’est pas la première fois que les prix du pétrole dégringolent. Ainsi lors de la crise des subprimes, l’OPEP a annoncé fermement en décembre 2008 sa décision de réduire ses quotas de production. Et les prix se sont redressés progressivement courant 2009. En fait, l’OPEP à l’initiative des monarchies du Golfe, refuse depuis 18 mois de jouer son rôle de « swing producer », le producteur d’appoint qui augmente sa production lorsque le marché est tendu et la réduit lorsque les prix baissent et donc de facto régule les prix.
Aujourd’hui, le paradigme du marché pétrolier a fondamentalement changé. Les monarchies du Golfe veulent préserver leur part de marché, alors que l’offre mondiale de brut excède la demande de 1 à 2 millions de barils par jour. Cette situation nouvelle est la conséquence directe de l’explosion des pétroles de schiste aux Etats Unis. Ces dernières années, l’équivalent d’une nouvelle Norvège a été mis en production aux Etats-Unis tous les deux ans ! Le Ministre du pétrole saoudien a résumé sa position lors de la réunion de l’OPEP du 24 novembre 2014 : « si l’OPEP décide de réduire sa production, les prix augmenteront et les russes, les brésiliens et les producteurs américains de pétrole de schiste prendront notre part de marché ».
L’équilibre du marché se rétablit progressivement. La baisse du prix du pétrole favorise la demande, mais l’impact reste à ce jour limité notamment compte tenu du ralentissement de la croissance économique mondiale. Les compagnies pétrolières ont réduit fortement leurs investissements. Cependant, les incidences sur l’offre de pétrole conventionnel sont très limitées à court terme : l’exploration a été certes immédiatement affectée et les nouveaux projets reportés, mais la production existante se maintient dès lors que les coûts d’exploitation sont inférieurs au niveau des prix, ce qui est le cas pour la quasi-totalité des gisements. L’effet de la baisse des prix du pétrole sur le pétrole conventionnel commencera à être sensible d’ici la fin de la décennie.
On s’attendait par ailleurs à un déclin rapide de la production de pétrole de schiste aux Etats Unis car on estimait en 2014 qu’ils n’étaient pas rentables en dessous de 50 dollars par baril. Or grâce au progrès technique et à l’« industrialisation » des processus de production, les coûts ont baissé de façon importante. Bien que le nombre d’appareils de forage ait été réduit de plus de 60% en un an en Amérique du Nord, la production n’a diminué que faiblement. Mais les opérateurs sont dans une situation financière fragile et la production devrait décroitre plus significativement à partir de l’année prochaine.
Dans ce contexte, l’OPEP laisse les forces du marché jouer et abandonne sa volonté de réguler les prix. En quelque sorte, ce sont les producteurs de pétrole de schiste qui jouent le rôle de « swing producers ». Le prix s’établit au niveau du coût du producteur marginal qui assure l’équilibre entre l’offre et la demande. Après le paradigme des Sept Sœurs qui a prévalu de 1928 à 1973, suivi de celui de l’OPEP entre 1974 et 2014, le marché pétrolier entre aujourd’hui dans un nouveau paradigme. Mais pour combien de temps ?
Lors des précédents épisodes de baisse des prix, le marché s’était rééquilibré en environ quatre ans, le prix retrouvant à cette échéance son niveau initial. Mais le retour à l’équilibre risque d’être plus long compte tenu des incertitudes sur la croissance économique mondiale et sur la résilience des pétroles de schiste aux Etats Unis. De même, l’Iran devrait revenir sur le marché avec la levée de l’embargo. Si le marché se rééquilibre, on ne retrouvera pas les niveaux de prix d’avant la crise avec la pression opérée par les pétroles non conventionnels.
D’ici la fin de la décennie, l’Arabie Saoudite sera probablement en mesure de retrouver un certain contrôle du marché pétrolier : son pari pourrait donc être couronné de succès. Mais cela aura été au prix de sacrifices importants qu’elle est en mesure de supporter, mais qui laissera exsangue de nombreux pays producteurs. Que restera-t-il à ce moment-là de l’OPEP ? A moins qu’entretemps la déstabilisation actuelle du Moyen Orient ne rebatte toutes les cartes…
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