Les crises et le XXIème siècle
Compte-rendu réalisé par Charlotte Teisseire, stagiaire, Ifri Bruxelles.
Afin de nous faire entrer immédiatement dans le vif du sujet, Jacques Lesourne dresse d'emblée un portrait du XXIème siècle. Bien que certaines caractéristiques soient banales à rappeler comme l'explosion des télécommunications, de la télévision, des transports aériens, l'avènement de la mondialisation ou encore l'émergence de superpuissances comme l'Asie, toutes restent fondamentales pour dépeindre le paysage de ce siècle. Le fait de souligner ces banalités rend évidente l'intensité du développement. Elle est sans précédent.Ce caractère de " jamais vu " a bouleversé la vision du monde de l'homme occidental. Sa manière de percevoir les notions de temps et d'espace a évolué. Avec une démographie croissante, estimée à un passage de 6 à 9 milliards d'individus, l'espace ne peut plus être conçu comme aux siècles passés. Cette prise de conscience récente pousse l'homme à être attentif dans son discernement entre quantités et ordres de grandeur. Les confusions sont immenses. Le changement dans la vision du monde réside également en cette position paradoxale que l'homme adopte : il est partagé entre conservatisme et utopie.Jacques Lesourne introduit l'idée originale de trois regards possibles à porter sur le monde aujourd'hui. Le premier est celui du cosmonaute qui pose un œil de manière globale sur l'orange bleue. Le regard de l'anthropologue est le second possible, celui-ci observe à la loupe le monde des humains tel une fourmilière. Quant au dernier regard, il s'agit de celui du géographe lorsqu'il étudie le glissement des plaques tectoniques, ici politiques.
A chaque regard correspond un type de crise à l'origine des problèmes de ce monde.
- Le regard du cosmonaute a la capacité de cerner un premier type de crise : celle du changement climatique et ses conséquences sur les ressources, dont l'eau. Des pronostics ont été émis sur ces manques à venir. Peu se sont vérifiés exacts jusqu'à maintenant. Pour 2000, le Club de Rome avait prévu un manque dramatique des ressources, or cette année s'est avérée être un pic de croissance. La réelle question à résoudre et c'est en cela que se trouve la crise, est la durée que nécessitera la gestion du changement climatique. En d'autres termes : combien de temps faudra t-il pour maîtriser l'émission des gaz à effets de serre, pour installer des systèmes à bases d'énergies renouvelables et de nucléaire, etc. ? Une certitude : cela sera long, cela sera cher.
- Le second regard, celui de l'anthropologue, est porté sur l'organisation des civilisations, le rôle de l'Etat par rapport aux sociétés civiles, les accords et autres relations complexes entre Etats ou entre Etats et marchés. Jacques Lesourne s'attarde alors sur les marchés et leur régulation problématique. Il note que les marchés sont fondés sur deux notions complexes, à savoir les anticipations et le mimétisme. Fondés sur de tels concepts, ces marchés deviennent instables. Or, ce phénomène n'a jamais été aussi important et cela a donc des répercussions notables sur les marchés. Il devient nécessaire, voire indispensable, de les réguler. A la fin de sa présentation, Jacques Lesourne revient sur la notion de mimétisme de façon à l'expliciter. A l'échelle mondiale, il faut prendre conscience du danger que représente le mimétisme. L'exemple des médias est parlant : un sujet choc va toujours provoquer une ruée de l'ensemble des médias mondiaux, soit un véritable mouvement d'opinion. Une façon finalement de se monter ainsi les uns contre les autres, et c'est en cela que le danger et l'instabilité des marchés, des Etats et des relations internationales sont à craindre.
- Le regard du géographe observe l'évolution des pôles d'influence, un type de changement comparable à la tectonique des plaques. Il constate que le monde est passé d'un système bipolaire (régi par l'URSS et les Etats-Unis) à un système unipolaire, pour aujourd'hui devenir multipolaire (avec les Etats-Unis, l'UE, la Russie, l'Inde, la Chine et le Brésil en tant qu'acteurs majeurs). Le 18ème siècle avait déjà connu une telle multipolarité : celle-ci avait été menée par la Prusse, l'Autriche, la France, l'Espagne, l'Angleterre et la Russie et prit fin avec la Révolution française. Suite au Traité de Vienne, un autre système multipolaire vit le jour. Son bon fonctionnement le fit tenir jusqu'en 1914. Le monde multipolaire actuel se met lentement et difficilement en place. Les négociations sont en cours, et des avancées sont à noter: l'entrée de la Chine dans l'OMC, sa signature du protocole de Kyoto, l'avènement du G20 réunissant tous les grands de ce monde, dont l'Inde, l'Arabie Saoudite, le Brésil et la Chine. Cette multipolarité nécessite une organisation importante et rigoureuse, et c'est cette gestion qui constitue le troisième type de crise du 21ème siècle.Jacques Lesourne conclut en disant qu'il faut continuer aujourd'hui à se méfier des idéologies telles que le fascisme ou les extrémismes religieux, que nous n'en sommes jamais à l'abri. " Ne pas rêver d'un monde parfait " aura été son ultime remarque.
Questions / Réponses :
- Que penser des graves problèmes de l'immigration qui constituent également à elles seules une crise à gérer au 21ème siècle ?
L'immigration existe aujourd'hui selon deux formes : vers l'Europe et vers les Etats-Unis. L'approche des migrations a changé : auparavant, les migrants italiens en France avaient dérangé…aujourd'hui ce n'est plus cette migration-ci qui dérange ! Il faut aborder cette question dans une optique à long terme.
- Quelle est la place de l'Union européenne au sein de cette multipolarité et face à la croissance démographique ? Son influence risque-t-elle de diminuer ?
L'un des problèmes majeurs de l'Union à 27 est que certains Etats membres sont dans une problématique mondiale, d'autres restent dans une problématique régionale. Cependant, l'UE, aux côtés des Etats-Unis joue un rôle fondamental dans l'émergence d'un monde multipolaire. Mais il faudra peut-être dix ans pour " digérer " l'élargissement.
- Quelle est la situation de la France par rapport à ses voisins européens et notamment allemand ?
La France se porte mieux que l'Allemagne en 2009. Cependant cette tendance risque de se renverser à l'issue de la crise vers 2010-2011. Lorsque l'on est face à une crise structurelle, le secteur le plus touché est celui des entreprises d'équipement (comme l'automobile par exemple). On constate aujourd'hui en Allemagne une forte diminution dans ses exportations, une décroissance plus importante qu'en France. Or, l'Allemagne a toujours plus exporté, il est donc logique d'envisager que l'Allemagne reparte en tête de course après la crise.
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