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Les ambitions de la République islamique d’Iran dans le Pacifique

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Au mois de janvier 2023, la démonstration de force de la marine de guerre iranienne à proximité de la zone économique exclusive (ZEE) australienne s’inscrit dans un contexte de tensions bilatérales croissantes entre Téhéran et Canberra.

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IRIS Makran
IRIS Makran
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Partis d’Iran en septembre 2022, le navire IRIS Makran et la frégate IRIS Dena, qui appartiennent à la 86e flottille de la marine iranienne, ont fait escale en Indonésie en novembre. En décembre, les deux bâtiments ont été identifiés au large de la Polynésie française en route vers le sud des iles Marquises[1]. Ce déplacement vers l’Australie a coïncidé avec le soutien affiché par les autorités de Canberra au soulèvement national iranien qui a débuté au mois de septembre 2022. Le 10 décembre, l’Australie a notamment adopté des sanctions « Magnitsky »[2] ciblant les autorités iraniennes pour dénoncer la répression de la République islamique contre les manifestants et la livraison de drones iraniens à la Russie.

La présence navale iranienne dans l’Indopacifique (une terminologie non usitée par le régime) vise à réaffirmer la stratégie asiatique de Téhéran[3]. Il s’agit aussi pour l’Iran de défier la puissance américaine, perçue comme « hégémonique », en recherchant des partenariats « multipolaires » sur la scène internationale[4].

Depuis le milieu des années 2000, la République islamique s’efforce en effet de développer une politique étrangère tous azimuts aussi bien vers l’Afrique ou l’Amérique latine, pour sa dimension tiers-mondiste, que vers l’Asie, afin de renforcer ses liens avec des puissances non-occidentales membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, comme la Russie et la Chine. Ce « Regard vers l’Est »[5] s’est renforcé à l’époque de la présidence Ahmadinejad (2005-2013), pendant laquelle la Chine devient le premier partenaire commercial de l’Iran, devant l’Union européenne.

Rappel historique : les ambitions régionales de l’Iran, de l’océan Indien au Pacifique

Dès l’année 1974, lors d’une visite d’État en Australie, le Shah d’Iran Mohammad-Reza Pahlavi propose la création d’un « marché commun des pays riverains de l’océan Indien »[6], comprenant l’Iran, le Pakistan, l’Inde, Ceylan, le Bangladesh, la Birmanie, la Malaisie, la Thaïlande, Singapour, l’Indonésie, l’Australie, et tous les pays d’Afrique de l’Est. L’objectif, à terme, est d’assurer leur « sécurité collective » au sein d’une zone dont seraient exclues les influences américaine et soviétique. L’Inde rejette le projet car elle craint la prépondérance de l’Australie dans une telle organisation. Le Shah réitère sa proposition lors d’une visite à New Delhi en 1978, en évinçant l’Australie du projet. Cette fois c’est le Pakistan qui refuse la proposition, arguant de différences de nature entre les économies des pays pressentis par le régime impérial pour former cette nouvelle organisation régionale.

À l’époque impériale, la marine de la monarchie iranienne est à la fois un motif de fierté pour le Shah et un moyen d’affirmer des ambitions régionales en particulier à partir de la fin des années 1960. On remarque aussi la participation des forces navales impériales aux opérations militaires iraniennes telles que la prise de trois îles contestées dans le golfe Persique (1971)[7], ou la guerre à Oman (1973-1976)[8].

Après la Révolution de 1979, la volonté d’être présent à l’échelle globale s’explique en premier lieu par l’ambition idéologique du nouveau régime de promouvoir son modèle révolutionnaire non seulement au niveau régional, mais aussi vers l’ensemble des pays musulmans avec une attention particulière accordée à la Malaisie et à l’Indonésie. L’objectif de construire des capacités navales modestes s’est développé en parallèle d’ambitions maximalistes sur la scène maritime internationale de la part des autorités de la République islamique[9].

Depuis 1979, la stratégie maritime s’inscrit bien dans la doctrine militaire iranienne, qui met en avant une réponse du faible au fort face au défi militaire posé par la présence militaire américaine dans le voisinage de l’Iran. Il s’agit aussi de remplir un objectif de prestige et d’autorité dans des zones perçues comme étant prioritaires pour les intérêts américains, qu’il soit question de l’Amérique latine ou du Pacifique Sud.

Le Guide suprême Ali Khamenei, chef des forces militaires iraniennes, a donc fixé pour objectif à la Marine de la République islamique d’Iran d’être présente dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique. Cette stratégie s’appuie sur une présence maritime des forces navales iraniennes dans les détroits stratégiques comme Ormuz ou le canal de Panama. Les deux navires iraniens précédemment mentionnés sont par ailleurs, en février 2023, en route vers le canal de Panama[10]. Des centres de commandements ont également été mis en place par la Marine iranienne pour les océans Indien, Atlantique et Pacifique.

Le rapprochement sino-iranien

Les coopérations militaires avec les États occidentaux sont interrompues par la Révolution islamique de 1979. Depuis, les principaux partenaires de l’Iran dans le domaine militaire sont la Chine et la Russie post-soviétique d’après 1991.

La mise en place d’une coopération maritime sino-iranienne est tardive. Pékin et Téhéran conduisent leur tout premier exercice naval en septembre 2014, un deuxième en juin 2017, puis un troisième, dans un format trilatéral avec la Russie dans l’océan Indien et la mer d’Oman en décembre 2019[11]. Un nouvel exercice trilatéral similaire se tient fin janvier 2022. Alors que la Chine poursuit des ambitions maritimes mondiales, et compte tenu de la fréquence des exercices militaires conjoints sino-iraniens au cours des huit dernières années[12], Pékin pourrait, selon certaines sources, envisager d’établir une base navale sur les côtes iraniennes du golfe Persique[13].

La diplomatie navale sino-iranienne est un message envoyé aux Américains : en coopérant avec un État rival des Etats-Unis, Pékin se donne des marges de manœuvre dans ses relations avec Washington. Autrement dit, les autorités chinoises peuvent jouer la carte iranienne pour obtenir des concessions américaines en monnayant leur coopération avec Téhéran. Malgré la nature asymétrique de la relation sino-iranienne, les exercices militaires conjoints sont aussi dans l’intérêt de Téhéran, qui voit favorablement une détérioration des relations sino-américaines, qui renforce par ricochet la volonté de Pékin de travailler avec la République islamique. En développant ses relations militaires avec la Chine, la République islamique travaille ainsi à la formation d’un axe « indépendant » de « l’hégémonie américaine » selon la terminologie utilisée par les élites politiques iraniennes.

Démonstration de force, diplomatie navale et stratégie de communication

La présence maritime iranienne dans le Pacifique est un outil de promotion du régime iranien sur la scène internationale. Les forces militaires iraniennes peuvent dès lors développer une diplomatie navale non seulement avec la Russie et la Chine mais aussi avec d’autres États comme l’Indonésie[14]. Cette diplomatie navale permet de soutenir la candidature de l’Iran pour rejoindre les BRICS et de mettre en place une stratégie de contournement des sanctions occidentales visant à l’isoler. De même, en janvier 2023, l’annonce de l’élargissement des opérations des forces navales de la République islamique dans le canal de Panama s’inscrit dans un contexte de tensions bilatérales accrues entre Téhéran et Washington.

Sa présence maritime dans le Pacifique est aussi un moyen pour Téhéran de réaffirmer son ambition de voir émerger un ordre international post-occidental[15] et de démontrer l’inefficacité des sanctions occidentales pour limiter ses progrès militaires. La communication officielle insiste sur l’excellence des capacités des forces navales. L’objectif est de renforcer le récit officiel de la réussite du régime en termes d’auto-suffisance (khod-kafai) sur le plan militaire et d’une présence mondiale des forces navales de l’armée iranienne.

Les autorités militaires iraniennes présentent la projection de leurs forces loin de leurs frontières comme une réponse à la présence des forces armées occidentales dans l’environnement régional immédiat de l’Iran. Cette rhétorique ne doit néanmoins pas masquer un décalage croissant entre des ambitions militaires démesurées et des capacités qui demeurent très limitées. Les déploiements des forces navales de la République islamique participent in fine plus d’un signalement stratégique que d’une réelle capacité militaire à combattre en mer aussi loin des frontières nationales.


[1]. A. Feertchak, « Un Falcon de la Marine nationale survole deux navires militaires iraniens au large de la Polynésie », Le Figaro, 25 décembre 2022, disponible sur : www.lefigaro.fr.

[2]. A. Maguire, « Australia Announces “Magnitsky” Sanctions Against Targets in Russia and Iran. What Are They and Will They Work? », The Conversation, 11 décembre 2022, disponible sur : www.theconversation.com.

[3]. H. Fan, « China–Iran Relations from the Perspective of Tehran’s Look East Approach », Asian Affairs, 2022, 53:1, 51-67, DOI: 10.1080/03068374.2022.2029053.

[4]. T. Kellner, C. Therme, « Les ententes multipolaires de l'Iran. Aspects russe et asiatiques de la politique étrangère de Téhéran », Politique étrangère, vol. 72, n° 4, 2007,
pp. 875-887.

[5]. M.-R. Djalili et T. Kellner, « Iran : regard vers l'Est : la politique asiatique de la République islamique », Bruxelles, GRIP, 2005, disponible sur : www.grip.org.

[6]. M.-R. Pahlavi, Réponse à l’Histoire, Paris, Albin Michel, 1981, p. 195.

[7]. J. Salmon, « Le conflit de souveraineté sur Abou-Moussa et les Petite et Grande Tomb », Le Monde diplomatique, novembre 1980, disponible sur : www.monde-diplomatique.fr.

[8]. M. Pellas, « Oman. Comment le chah d’Iran a sauvé le régime », Orient XXI, 5 mars 2020, disponible sur : www.orientxxi.info.

[9]. F. Nadimi, « New Iranian Warship Signals Longer Maritime Reach, More Aggressive Strategy », Brief Analysis, The Washington Institute for Near East Policy, 16 septembre 2022, disponible sur : www.washingtoninstitute.org.

[10]. F. Montaruli, « In “Warning Sign” For US, Iranian Warships Are Reportedly Sailing Toward Panama Canal », Iran Wire, 8 février 2023, disponible sur : www.iranwire.com.

[11]. « Iran, Russia, China Hold Joint Naval Drill Amid Growing Ties », RFE/RL, 21 janvier 2022, disponible sur : www.rferl.org.

[12]. « Iran Seeks to Expand Its Military Cooperation With China », Associated Press, 27 avril 2022, disponible sur : www.voanews.com.

[13]. A. Rafat, « ANALYSIS: Iran and China’s Controversial 25-Year Deal », Kayhan Life, 9 avril 2021, disponible sur : www.kayhanlife.com.

[14]. P. Dupont, « Why Was the Iranian Navy in Jakarta? », The Diplomat, 18 novembre 2022, disponible sur : www.thediplomat.com.

[15]. D. Saraswat, « Why Tehran Is Talking About A Post-West World Order », Lobelog, 26 février 2019, disponible sur : www.lobelog.com.

 

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979-10-373-0693-7

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Les ambitions de la République islamique d’Iran dans le Pacifique

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L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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