Le vieillissement au Japon : un défi bien géré

Pays jeune en 1970 avec seulement 7 % de sa population âgée de plus de 65 ans, le Japon est devenu le doyen des pays industrialisés. Le processus de vieillissement, qui s'est accéléré depuis le milieu des années 1990, a de multiples répercussions sur l'économie tant au niveau du marché du travail et de la demande des ménages que de l'équilibre des finances publiques. Les pouvoirs publics se sont donc fixé l'objectif d'amortir les chocs liés à ce bouleversement démographique.
Le vieillissement japonais se distingue de celui des autres pays industrialisés par deux caractéristiques : c'est un phénomène récent et très rapide. Ainsi, les plus de 65 ans ont passé le seuil de 14 % de la population 22 ans après l'Allemagne et 15 ans après la France. De même, le passage des plus de 65 ans de 7 à 14 % de la population s'est effectué en 24 ans au Japon, 41 ans en Allemagne et 115 ans en France.
Ce phénomène résulte d'un baby boom particulièrement court (1947-1949) et intense (4,32 enfants par femme), auquel a succédé une chute brutale du taux de fécondité entre 1949 et 1957, année à partir de laquelle ce taux a oscillé autour de 2 enfants par femme jusqu'au milieu des années 1970. Il a ensuite diminué de façon continue pour atteindre 1,29 enfant par femme en 2004. L'allongement de l'espérance de vie (35 ans pour les femmes et 28 ans pour les hommes entre 1947 et 2004) a également contribué à accélérer le processus de vieillissement. La population japonaise, qui a atteint un pic de 127,7 millions en 2005, ne devrait plus compter que 100 millions d'individus en 2050 si les tendances actuelles se poursuivent. De nombreux problèmes économiques en résulteront.
Tout d'abord le marché du travail va poursuivre sa contraction (-1,5 million d'actifs entre 1998 et 2004) et comporter une proportion d'actifs âgés de plus en plus importante. Le Japon dispose toutefois de deux atouts par rapport aux pays européens pour amortir le choc du vieillissement : d'une part, les seniors sont très actifs (62 % d'actifs chez les personnes âgées entre 55 et 64 ans, contre 37 % en France), même jusqu'à un âge avancé (20 % d'actifs chez les plus de 65 ans contre moins de 2 % en France) et, d'autre part, le taux d'activité des femmes est nettement inférieur à celui des Européennes.
La diminution de la taille de la population pèsera néanmoins sur le volume de consommation et sur la demande de logement. L'augmentation du poids des personnes âgées posera également le problème de la soutenabilité des dépenses de santé et de retraites alors que l'endettement public japonais est très élevé (environ 160 % du produit intérieur brut [PIB] en 2005). Ces incertitudes sur la couverture sociale et sur l'évolution future de la fiscalité pourraient également provoquer un repli des ménages sur l'épargne et freiner la consommation.
Cependant le vieillissement de la population n'a pas que des aspects négatifs. Les seniors actuels sont fortunés (quatre fois plus d'actifs que parmi les moins de 60 ans). Ils sont également de gros consommateurs qui vont générer une forte demande de produits et de services nouveaux dans les 20 prochaines années. Comme ces consommateurs se sentent jeunes, sont ouverts aux technologies de l'information et sont difficiles à séduire, les firmes sont incitées à innover pour développer ces marchés potentiels.
Pour atténuer le choc du vieillissement, les pouvoirs publics ont pris des mesures dans trois directions : maîtrise des dépenses budgétaires, élargissement du marché du travail et politique active de recherche et développement (R&D). La soutenabilité des dépenses de santé et de retraite (respectivement, 32,7 et 52,3 % des dépenses de prestations sociales en 2001) a constitué un objectif prioritaire pour préserver l'équilibre des différentes caisses tout en maintenant les cotisations des actifs à un niveau acceptable. Des mesures fiscales favorables à l'activité des seniors (embauche, création d'entreprises, âge minimum légal de retraite repoussé à 65 ans) et à l'insertion égalitaire des femmes sur le marché du travail ont été mises place. Enfin, l'État a encouragé l'effort de recherche des entreprises (plus de 3 % du PIB par an consacré à la R&D depuis 15 ans).
Depuis plus de 20 ans, le secteur public a enclenché un processus graduel de réforme des institutions (protection sociale, marché du travail, etc.). L'originalité du Japon semble résider dans le fait que le fardeau du vieillissement est en passe de se transformer en dynamique d'innovation et de consommation grâce aux adaptations positives du secteur public et du secteur privé.
Évelyne Dourille-Feer est docteur en économie et chargée de mission au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII).
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