Le Maghreb et le projet d'Union pour la Méditerranée

Lorsqu’au cours de sa campagne électorale, le candidat Sarkozy formulait son projet de bâtir un espace politique visant à donner ' un second souffle au processus de Barcelone ', nombre d’observateurs y décelaient une volonté française d’instaurer de nouvelles relations avec les pays du sud de la Méditerranée.
Derrière l’union de l’Europe et de l’Afrique, il s’agissait aussi de réduire l’immense écart de développement qui ne cesse de se creuser entre les deux rives du bassin Méditerranéen. Après la chute du mur de Berlin, l’Europe a beaucoup fait à l’Est pour les pays de l’ex-Union soviétique, négligeant son Sud. Le projet d’Union méditerranéenne avait donc vocation à corriger ce déséquilibre.
Mais en renouvelant l’esprit même de la coopération et de la relation entre le Nord et le Sud, la France voulait également empêcher un conflit des civilisations. Pour réaliser ces deux objectifs, il fallait néanmoins aller plus loin que le processus engagé en 1995 à Barcelone et en corriger les principales carences : lourdeur administrative, peu de considération pour le volet politique, absence d’engagement dans la recherche d’une issue aux conflits, faible circulation des personnes et des produits agricoles au sein de cet espace.
Le souhait de restreindre la liste des participants aux pays riverains de la Méditerranée a été perçu comme une volonté d’instituer un leadership français sur cette union. Toutefois, compte tenu de la protestation allemande alertant sur ce qui pouvait diviser l’Union européenne (UE), le projet prit un caractère communautaire et fut rebaptisé : Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée (UM).
Il fallait encore convaincre les pays du sud de la Méditerranée de la plus-value de cette nouvelle proposition par rapport au processus en cours depuis 13 ans. Le principal changement entre les deux projets devrait résider dans une plus grande symétrie entre les partenaires du Nord et du Sud. Ces derniers sont invités à définir le contenu du partenariat et deux nouvelles instances ont même été pensées pour matérialiser leur participation : la présidence et le secrétariat.
Bien sûr, tous ces pays n’ont pas les mêmes attentes face à ce projet. Pour la Turquie, l’aspect positif réside dans la volonté de créer une zone de solidarité régionale alors que le Maroc souhaite au contraire s’émanciper de la négociation régionale pour approfondir son intégration au marché européen. Rabat souligne à l’envi sa longueur d’avance sur les autres pays du Sud, que ce soit pour sa participation au projet Galiléo, pour avoir ouvert son espace aérien aux compagnies européennes, ou encore pour avoir été le seul pays arabe et musulman à avoir engagé un vrai dialogue avec l’UE sur les questions de gouvernance ou des droits de l’homme. Ce particularisme est tout à fait apprécié par l’Union européenne qui lui a octroyé 1,6 milliard d’euros pour la décennie 1996-2006, soit près du quart du total de l’enveloppe accordée aux pays de la rive sud de la Méditerranée.
En revanche, les pays producteurs de gaz et de pétrole, comme l’Algérie ou encore la Libye, se considèrent déjà ancrés dans la mondialisation et montrent un désintérêt qui s’exprime différemment selon les États. Tandis que le colonel Muammar Khadafi met en avant le risque de fracturer la Ligue arabe et l’Union africaine (UA), le président Abdelaziz Bouteflika évoque les difficultés à financer un tel projet. Sa réserve n’est pas seulement justifiée par la nature de son économie ; elle se nourrit également de susceptibilités mises à vif par le traitement réservé dans le cadre de ce projet aux deux grands États du Maghreb. Le président français n’a-t-il pas communiqué son idée sur l’Union à Tanger et à Rabat avant de s’en entretenir avec les Algériens ? Le choix de la coprésidence n’est-il pas allé vers le chef de l’État égyptien ? N’a-t-on pas fait miroiter de l’Union à Tunis ou à Rabat l’accueil du secrétariat ? En outre, Alger a bien noté que Nicolas Sarkozy a rompu avec le discours sur le Sahara occidental de ses prédécesseurs en soutenant le plan d’autonomie proposé par Rabat. Pour autant, en faisant le déplacement à Paris, le 13 juillet 2008, Bouteflika a affirmé sa volonté de ne pas rester en marge de ce grand dessein régional.
Mais si ces motifs constituent bien la raison du scepticisme algérien, ils restent de l’ordre de l’implicite. L’exécutif algérien continue de mettre en avant des arguments qui demeurent très populaires : les visas et la libre circulation des hommes et des femmes de la rive Sud, et la participation de l’État hébreu à cette Union.
En réalité, par-delà les réticences et les réserves de façade, les pays du sud de la Méditerranée ont du mal à se positionner en tant que partenaires à part entière, susceptibles de peser sur la décision et de définir, avec les pays européens, le contenu de ce projet qui reste à bâtir. Ce rôle inédit suppose qu’ils soient à la fois cofinanceurs, producteurs d’idées, voire de contre-projets, de prendre en compte leurs opinions et de réformer leur mode de gouvernance politique et économique.
Bien plus qu’à la non-résolution du conflit moyen-oriental, l’échec du processus de Barcelone est dû à l’incapacité de ces pays à mettre en place de véritables stratégies de développement et à l’incapacité de l’Europe d’accepter une ouverture des marchés et des frontières. Tant que les États en négociation continueront de fuir cette réalité qui finit par gripper toute initiative, aucune avancée réelle ne verra le jour.
La dynamique est pourtant nécessaire pour les pays des deux rives : le Sud n’a pas d’autres projets pour s’inscrire dans la mondialisation et rattraper le retard qu’il enregistre par rapport aux autres régions du monde, et l’UE doit faire avec les États de son flanc Sud ce que l’Allemagne a fait avec l’Europe de l’Est et les États-Unis avec l’Amérique latine. Il est donc nécessaire de mettre en place une intégration économique renforcée, ne serait-ce que pour pallier le déséquilibre démographique (en 2025, la rive Nord comptera 200 millions d’habitants, la rive Sud 325 millions).
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