Le débat s'échauffe : les enjeux climatiques et l'élection présidentielle américaine de 2020
Les enjeux environnementaux ont souvent bénéficié d’un soutien bipartisan au cours de l’histoire américaine.
Le Clean Air Act est ratifié en 1963 sous le président démocrate Johnson, et l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) est créée en 1970 sous le président républicain Nixon. Un changement s’opère à partir des années 1980 sous Reagan et le clivage politique sur cette question se confirme au cours des années 1990-2000, en partie à cause de la pression exercée par de puissants lobbies industriels. Ainsi, le président Bush Jr. refuse de ratifier le protocole de Kyoto en 2001, mène une politique de soutien aux énergies fossiles, et son administration tente de semer le doute sur la science du changement climatique. Les candidats McCain et Romney étant des républicains « modérés », le clivage politique sur le climat s’adoucit quelque peu lors des élections présidentielles de 2008 et 2012.
Les politiques climatiques d’Obama étaient vulnérables
Premier président à promulguer des politiques climatiques ambitieuses, Obama ne les concrétise que lors de son second mandat et perd ainsi l’opportunité de sa majorité au Congrès pour faire passer des lois en faveur du climat. Contraint de se servir de régulations et d’ordres exécutifs lors de son second mandat, Obama réussit tout de même à mettre en place « mille petits marteaux » pour lutter contre le changement climatique. Le Clean Power Plan (CPP) de 2015 contient les premières restrictions obligatoires au niveau national sur les émissions des centrales électriques. Toutefois, les régulations et les ordres exécutifs étant plus faciles à défaire que les lois, les politiques climatiques d’Obama sont vulnérables.
En effet, le clivage politique sur ces questions s’aiguise sous la présidence de Trump, qui qualifie le changement climatique de « canular ». Le démantèlement réglementaire caractérise sa présidence, avec la nomination de climato-sceptiques notables tels que Pruitt et Wheeler à la tête de l’EPA. Le déni du changement climatique s’impose, si bien qu’en juin 2017, Trump annonce sa décision de retirer les États-Unis de l’accord de Paris, que l’administration d’Obama avait facilité. En juin 2019, le CPP est remplacé par le Affordable Clean Energy rule, une régulation beaucoup plus faible qui libère largement les États des principales contraintes fédérales.
Les démocrates rivalisent pour le plan d’action climatique le plus ambitieux
La consternation face aux politiques de Trump, ainsi que l’accélération des phénomènes météorologiques extrêmes, contribuent à faire du changement climatique l’une des priorités absolues pour les électeurs progressistes. Les questions climatiques avaient déjà occupé une place importante dans plusieurs circonscriptions lors des élections de mi-mandat en 2018. La tendance s’est accentuée depuis, en partie grâce au consensus scientifique devenu irréfutable, comme le souligne le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Par exemple, un sondage conduit en avril dernier a indiqué que sur une liste de 29 sujets importants pour les électeurs inscrits, la protection environnementale était classée deuxième, et le changement climatique troisième en termes de priorité pour les démocrates progressistes, juste derrière les politiques de santé. Ces mêmes sujets sont classés en cinquième et huitième position respectivement pour les démocrates modérés, une progression importante par rapport aux années précédentes.
Afin de défier l’administration Trump, des États comme la Californie et New York ont récemment promulgué des législations climatiques parmi les plus ambitieuses au monde, et les démocrates au Congrès ont proposé en février 2019 une loi de grande envergure surnommée le Green New Deal, prévoyant une transition de l’économie américaine post-énergies fossiles. Cet élan se poursuit au sein de la primaire démocrate pour l’élection présidentielle de 2020, ce qui représente une situation sans précédent, puisque les questions climatiques n’ont jusqu'à présent jamais constitué un enjeu majeur dans aucune campagne présidentielle américaine. Obama avait prudemment avancé ses politiques climatiques comme un moyen de stimuler l’économie durant les campagnes de 2008 et 2012. De même, malgré quelques propositions innovantes dans le programme de Clinton, le changement climatique avait à peine été mentionné durant les débats présidentiels de 2016 face à Trump.
La plupart des candidats démocrates proposent cette fois-ci des programmes ambitieux et détaillés. Rejoindre l’accord de Paris le plus rapidement possible et soutenir le Green New Deal sont devenus le strict minimum. Plusieurs candidats tels que Sanders, Warren et Steyer ont officiellement déclaré que la lutte contre le changement climatique était l’une de leurs priorités absolues. Encore plus surprenant, Jay Inslee, un ex-candidat à la primaire, a choisi de construire sa campagne entièrement sur cette question, dévoilant le programme climatique le plus approfondi jamais proposé dans l’histoire politique américaine. Tous ces éléments ont contribué à créer une situation inédite au sein de la primaire démocrate, où une concurrence accrue est engagée pour le plan d’action climatique le plus audacieux, mettant la pression sur tous les candidats pour augmenter leur niveau d’ambition.
Afin de faire face à ses rivaux au sein de la primaire, l’ancien vice-président Biden a ainsi été contraint de faire marche arrière sur sa position initiale de « compromis » sur le changement climatique, annonçant par la suite un nouveau plan beaucoup plus approfondi qui prévoit en outre 1,7 trilliard de dollars de dépenses pour des projets écologiques. De plus, une majorité de candidats a participé à une collecte de fonds pour le climat et la plupart, y compris Biden, ont signé un engagement à ne pas accepter de dons provenant de groupes d’intérêts issus des énergies fossiles.
Même si la plupart des démocrates ont certaines propositions en commun telles que de porter la part des énergies propres à 100 % et d’atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle au plus tard avec plus de réglementations et une tarification du carbone, les candidats tentent aussi de se distinguer les uns des autres dans ce domaine. L’entrée tardive de Bloomberg dans la primaire démocrate contribue à renforcer ces tendances, en raison de son engagement de longue date sur les questions environnementales et de son leadership pour soutenir les initiatives climatiques des acteurs non fédéraux face à Trump.
Chez les républicains : innover plutôt que réguler et promouvoir des combustibles fossiles « propres »
L’un des changements les plus notables dans l’élection présidentielle américaine de 2020, cependant, vient du côté républicain. Plusieurs sondages indiquent que les opinions sur le changement climatique évoluent aussi au sein de l’électorat républicain modéré, dont le vote sera essentiel si Trump veut parvenir à convaincre au-delà de sa base électorale et augmenter ses chances de réélection. En effet, un certain nombre d’États à majorité républicaine ont récemment été touchés par des catastrophes climatiques, tels que le Texas, la Floride ou dans le Midwest. Ainsi, 68 % des électeurs républicains modérés inscrits croient maintenant que le changement climatique est réel, 55 % pensent que l’activité humaine en est la principale responsable, et 58 % s’en disent inquiets, une progression importante par rapport aux années précédentes. Par conséquent, le Parti républicain, et Trump lui-même, se trouvent contraints de reformuler leur discours afin de séduire les conservateurs modérés, ainsi que les jeunes électeurs. Plusieurs républicains éminents, y compris des alliés majeurs de Trump tels que le sénateur Graham, encouragent le parti Républicain à adopter une nouvelle position sur le climat afin de contrer le Green New Deal des démocrates. Le sénateur Barrasso préconise une politique pour « innover plutôt que réguler », incluant la promotion d’énergies fossiles « propres ».
Cependant, ces déclarations ne constituent en réalité qu’un écran de fumée. Bien que les émissions de CO2 américaines aient légèrement reculé durant la première année du mandant de Trump, elles ont ensuite fortement augmenté pendant l’année 2018 (2,8 %), inversant ainsi la tendance baissière des dernières années. En outre, une majorité claire au sein du Parti républicain, sous l’influence de lobbies issus des énergies fossiles, demeure sceptique sur le changement climatique. Même s’il prétend maintenant se soucier de certaines questions environnementales, Trump continue de renier la science du changement climatique, et fustige les propositions des démocrates, y compris sur les énergies renouvelables, comme étant irréalistes et néfastes pour l’économie. De plus, les politiques climatiques que certains républicains prétendent maintenant soutenir en anticipation du cycle électoral de 2020 ne constituent pas une alternative crédible par rapport à celles proposées par les démocrates, et conduisent même souvent à des reculs importants.
Trump a encouragé la révolution du gaz de schiste démarrée sous Obama, puisque le gaz naturel émet seulement la moitié des émissions de CO2 comparé au charbon pour la production d’électricité. Trump a choisi de supprimer certaines règles sur les émissions de méthane, prétendument par souci de compétitivité. En conséquence, les niveaux de fuites de méthane ont atteint des nouveaux sommets sous Trump. Deuxièmement, l’ancien secrétaire à l'Énergie Rick Perry avait présenté son « véritable » Green New Deal, incluant la promotion de l’énergie nucléaire, qui ne génère pratiquement pas d’émissions. En 2018, Trump signa le Nuclear Energy Innovation Capabilities Act afin de soutenir le secteur nucléaire civil en difficulté. Néanmoins, cela fut accompagné une nouvelle fois par le démantèlement de régulations et mises à niveau qui avaient été promulguées suite à l’accident de Fukushima en 2011. Des études récentes ont indiqué que la majorité des centrales nucléaires américaines sont actuellement mal équipées pour faire face aux inondations et aux conditions météorologiques extrêmes.
Enfin, Trump a voulu peaufiner son discours en ventant la « renaissance du charbon propre » qu’il a tenté de mettre en œuvre. Plusieurs technologies innovantes telles que le captage et stockage du carbone (CSC) permettent de rendre le charbon plus propre. Même si l’administration Trump a dans un premier temps supprimé certaines règles mises en place sous Obama obligeant les nouvelles centrales au charbon à utiliser des techniques de captage du carbone, elle a ensuite changé sa position en 2019 et commencé à officiellement soutenir le financement et la recherche pour développer ces technologies. Bien que cela représente une évolution positive qui a suscité un intérêt bipartisan, la réalité est que les techniques CSC sont actuellement trop chères, pas assez efficaces et difficiles à déployer à l’échelle requise. Par conséquent, les démocrates ont souligné à plusieurs reprises pendant les débats que Trump a échoué dans sa tentative de mettre en œuvre une « renaissance du charbon propre ». Le déclin du charbon s’est en réalité accéléré sous sa présidence en raison de la concurrence du gaz de schiste et des énergies renouvelables qui sont devenues plus compétitives. Le charbon a même été dépassé par les énergies renouvelables comme source d’énergie aux États-Unis pour la première fois au mois d’avril 2019. Selon les dernières données, cela semble avoir contribué à une légère baisse des émissions américaines de CO2 de 1,7 % cette année (insuffisant néanmoins pour compenser l’augmentation de 2,8 % en 2018).
Quel que soit son résultat, l’élection présidentielle de 2020 sera pour la première fois marquée par l’irruption des sujets liés au changement climatique. Les démocrates vont probablement continuer à critiquer Trump afin de séduire les conservateurs modérés ; en parallèle, les républicains vont vraisemblablement maintenir leurs attaques sur les propositions climatiques des démocrates. L’élection sénatoriale de 2020 semblant favoriser les conservateurs sortants, une victoire des démocrates à la présidentielle ne transformerait pas nécessairement la situation politique, du moins pas immédiatement, puisque les progressistes auront besoin d’une majorité dans les deux Chambres pour promulguer leur législation climatique ambitieuse. Par contraste, malgré un léger changement dans la rhétorique, il est peu probable que Trump change sa politique s’il était réélu, et son soutien modeste pour l’énergie nucléaire et les technologies CSC demeurerait insuffisant. Ainsi, son second mandat serait probablement marqué par la poursuite du démantèlement réglementaire afin de consolider la domination américaine dans les énergies fossiles.
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