L’après Poutine est-il possible ?
Compte-rendu réalisé par Pierre Bouygues, stagiaire, Ifri Bruxelles.
Dominique David, directeur exécutif de l’Ifri et spécialiste des questions de sécurité internationale a analysé non pas la question « l’après Poutine est-il possible ?» mais la question « qu’est ce que le poutinisme?». Répondre à ces interrogations exige de considérer ce « poutinisme » à la fois dans sa dimension externe ( de production de politique extérieure) et dans sa dimension interne de gestion de la transition politique, économique et sociale qu’a connu la Russie depuis l’implosion de l’URSS.
Un renouveau de l’Etat
Le « poutinisme », s’il n’est pas l a démocratie, peut être vu comme un « démocratisme », c'est-à-dire une tension contradictoire vers la démocratie. En matière de politique intérieure, il est identifiable au sein de deux sphères.
• La première est économique. Suite à l’implosion de l’URSS, on assista à un affaissement du système économique puis à son effondrement (crise financière de 1997 – 1998). La production locale russe avait pratiquement disparu, les capitaux fuyaient en masse, et le niveau de vie des populations connaissait une baisse dramatique.
La nouvelle donne économique a permis le règlement de la dette russe auprès des institutions internationales, la reprise de la production locale, une croissance économique soutenue par la hausse du prix des matières premières et l’accumulation de réserves de change très importantes. Selon l’orateur, le point noir du modèle économique actuel reste une dépendance excessive vis-à-vis des exportations de matières premières, dont les produits fiscaux financent à hauteur de 40% le budget de l’Etat. A ce point noir, s’ajoute le faible niveau d’investissements étrangers, nécessaires au maintien des infrastructures, en particulier concernant le gaz.
• La seconde est politique. Depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999, celui-ci n’a eu de cesse de restaurer le pouvoir de l’Etat sur différents lobbies. Les mandats de Vladimir Poutine ont été caractérisés par la tentative de ramener les oligarques à leur seule sphère économique sous risques de sanctions (Mikhaïl Khodorkovski en est un bon exemple) et par des réformes de stabilisation, notamment au niveau de la fiscalité. Cependant, il n’existe pour l’instant aucune dictature du droit : le « poutinisme » est simplement l’état actuel de la démocratie en Russie. A ce titre, on peut préciser que son multipartisme est largement un trompe l’œil, puisque les partis représentés à la Douma ne sont pour l’essentiel que des sensibilités de la mouvance poutinienne, et que l’Etat poutinien n’a jamais tenté de soutenir l’apparition d’une vraie société civile et politique russe. Il existe néanmoins en Russie d’indéniables acquis démocratiques : liberté d’expression, d’information, en particulier grâce aux nouvelles technologies, de circulation et d’élection (bien qu’inutilement manipulées).
Une nouvelle voix russe sur la scène internationale
Afin de bien comprendre la position actuelle de la Russie sur la scène internationale, il faut en revenir au passé proche :
• Suite à l’implosion de l’URSS, trois discours ont été structurants quant à l’attitude à adopter envers la Russie. Le premier discours suggérait qu’il était nécessaire de détruire toutes les structures économiques, politiques et administratives de l’URSS afin de permettre l’essor d’une démocratie libérale. Le deuxième expliquait que la Russie ne comptait plus à l’international, ou plutôt qu’elle ne compterait que par son alignement sur les grandes puissances occidentales. Enfin, le troisième discours soutenait que la Russie devait être contenue dans son arrière-cour (containment) puis repoussée à l’intérieur de ses frontières, les plus étroites possibles (roll back).
• Les premiers discours de Vladimir Poutine lors de son arrivée au pouvoir furent marqués par leur ouverture à l’égard de l’Union Européenne. Suite au 11 Septembre 2001, il s’est engagé dans une coopération avec les Etats-Unis. La Russie a en retour reçu le Conseil OTAN - Russie – une coquille vide -, et l’Accord de Partenariat et de Coopération Union Européenne - Russie – très décevant en raison même de la nature de l’Union européenne et de ses incertitudes tant politiques qu’institutionnelles. Par contre, ces dernières années, la Russie pense avoir reçu de nombreux affronts : le bombardement unilatéral de l’OTAN en Serbie, la reconnaissance unilatérale de la souveraineté du Kosovo, l’envoi par les Etats-Unis de forces militaire en Irak hors mandat des Nations Unies, l’élargissement incessant de l’OTAN associé à une modification des déploiements militaires, et l’installation par les Etats-Unis en Europe d’éléments d’un bouclier anti-missile qui pourrait ne pas concerner le seul Iran. Dès lors, deux phénomènes se conjuguent - la déception de ne rien recevoir en retour des efforts faits et le rétablissement de l’économie russe – pour déboucher sur une nouvelle voix ruesse en matière diplomatique.
• La Russie a donc décidé de revoir sa politique étrangère, afin d’être considérée, au moins dans les espaces qui lui importent d’abord, en Europe et dans ses alentours proches. Elle le fait à un moment opportun pour elle, et sans risque – et c’est le fond de la crise géorgienne. Il ne peut y avoir de réponse militaire occidentale ; la situation économique pourrait être moins brillante demain, et des difficultés structurelles surgior après demain (la question démographique, par exemple). La Russie resurgit donc partout, mais surtout dans des espaces proches, avec lesquels elle a des liens historiques et culturels incontestables (Ukraine, Géorgie), qui constituent, dans un sens ou un autre, une partie du problème à résoudre.
La crise géorgienne constitue à cet égard un cas d’école : un régime « démocratique » mal défendable, doté d’un soutien américain aussi bruyant, provocateur, qu’en trompe l’œil.L’actuel débat concerne la stratégie de la Russie dans son pourtour proche. Celle-ci marque-t-elle le retour à une stratégie impériale classique ou le difficile accouchement d’une posture post-impériale, c’est à dire la structuration d’une zone d’influence dans un nouveau cadre de long terme qui reste encore à définir ? La réponse à cette question viendra en partie des solutions proposées par la communauté internationale à la Russie. Deux réponses sont possibles. La première est l’imposition d’un isolement qui aurait pour conséquence d’encourager les pires tendances nationalistes et peut-être d’entraîner un risque de déstabilisation de la Russie et de son pourtour. La seconde solution est de proposer une stratégie d’intégration à la Russie. Au niveau interne, il s’agit d’aider sur le long terme à l’émergence d’une société politique, et là les échanges avec les pays occidentaux et européens en particulier sont essentiels. Au niveau externe, l’Europe et les Etats-Unis devraient intégrer la Russie au processus global de sécurité européen (un Helsinki II ?) Dans le choix entre ces stratégies, les Européens peuvent avoir un poids décisif, si toutefois ils se décident à adopter une posture commune.
Suite à l’intervention de l’orateur, un débat s’est amorcé avec l’auditoire. Les questions développées ont eu trait à la proximité stratégique de la Géorgie avec les Etats-Unis, à l’éventualité d’une nouvelle course à l’armement entre la Russie et les Etats-Unis et à la possibilité d’un Helsinki II.
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