It's the economy, stupid!
" It's the economy, stupid ! " - que l'on pourrait traduire par " L'économie, il n'y a que cela qui compte ! " - est une phrase culte de la politique américaine. Elle est faussement attribuée à Bill Clinton. La formule appartient, en fait, à l'un de ses conseillers, James Carville, qui en avait fait le mot d'ordre de l'élection présidentielle de 1992. Il l'inscrivait tous les matins sur un tableau, dans tous les locaux où travaillait le personnel de la campagne, pour être sûr qu'il soit pénétré de l'importance du message.
Ce slogan est censé avoir largement contribué à la victoire de Bill Clinton sur le premier président Bush. Seize ans plus tard, il est tentant de constater que l'histoire se répète, surtout lorsque l'on entend une autre Clinton - Hillary - déclarer : " Nous entrons dans la deuxième récession Bush ". Les économistes considèrent que si les récessions se suivent et ne se ressemblent pas, leurs conséquences sont, en revanche, toujours désastreuses pour le parti politique en place.
Un état des lieux inquiétant…
Pendant l'été 2007, au moment même où la campagne électorale montait en puissance, les mauvaises nouvelles ont commencé à s'accumuler sur le front de l'économie. Il y a d'abord eu l'explosion des subprimes. Ce mot, maintenant mondialement connu, désigne un type de crédit qui s'est popularisé sur le marché immobilier à partir de 2003. Il s'agit de prêts consentis à des personnes qui, normalement, ne seraient pas considérées comme solvables au regard de l'achat auquel elles prétendent. L'apport initial est souvent inexistant, les premières mensualités très basses. Les problèmes commencent au bout de deux ou cinq ans, lorsque les taux d'intérêts sont réajustés, les remboursements pouvant alors passer du simple au double.
Le phénomène des subprimes a été alimenté par l'envolée du marché immobilier. Entre 2000 et 2005, le prix moyen d'une maison ou d'un appartement est passé de 147 000 à 219 000 dollars. Le mirage d'un placement éminemment rentable est venu se greffer sur ce que l'on appelle " le rêve américain " : être propriétaire de sa résidence principale - rêve qu'environ 70 % des Américains ont réalisé.
Être propriétaire de sa maison est un symbole social, mais c'est aussi la base de l‘économie domestique. Aux États-Unis, la maison est une sorte de tirelire, elle constitue ce que l'on appelle l'" equity " d'un ménage, qui peut emprunter en gageant la valeur de ses biens immobiliers.
Ce phénomène - bien plus que les subprimes, qui ne touchent que 20 % des prêts - a alimenté la crise du crédit engendrée par la baisse des prix de l'immobilier. Les Américains avaient l'habitude de se servir de leur maison pour dégager de l'argent liquide. Cet argent servait généralement de revenu d'appoint ou finançait des dépenses exceptionnelles, comme les vacances ou un mariage. Lorsque la valeur des biens immobiliers a baissé, la source d'emprunt s'est tarie et certains se sont retrouvés endettés au-delà de la valeur de leur maison. Lorsqu'ils n'ont pas perdu la maison elle-même, les Américains ont perdu l'heureuse certitude qu'elle constituait le support financier solide sur lequel ils pouvaient s'appuyer. Cet effet psychologique a été renforcé par la situation financière souvent instable des ménages. Selon une enquête de la FED, 43 % d'entre eux dépensent plus qu'ils ne gagnent.
Depuis 2005, le taux d'épargne des Américains est négatif. Au cours des seize dernières années, le taux de dépense des ménages a augmenté de trimestre en trimestre. Si l'on additionne les dettes accumulées sur les cartes de crédit des ménages américains, on arrive au chiffre stupéfiant de 944 milliards de dollars (Md $).
Ces statistiques recouvrent des réalités diverses. Par exemple, selon une étude de la FED publiée en 2006 (les chiffres sont actualisés tous les trois ans), un quart des foyers américains ne possèdent pas de carte de crédit et, parmi ceux qui en utilisent, 42 % remboursent intégralement leurs dépenses mensuelles. Si 16 % des crédits immobiliers de type subprime sont en défaut de paiement, cela veut dire a contrario que 84 % ne le sont pas.
Mais un simple pourcentage de la population en difficulté se répercute sur la locomotive de l'économie américaine : la consommation. En janvier, le commerce de détail de haute moyenne gamme et les activités liées à la construction ont traversé une période noire. Ce même mois, l'économie américaine a, pour la première fois, commencé à perdre des emplois au lieu d'en fabriquer.
Le spectre de la récession
Le 24 janvier 2008, George W. Bush a annoncé un vaste plan de relance de l'économie. Le même jour, la FED a décidé, par surprise, une baisse des taux d'intérêt de 0,75 %, un mouvement d'une ampleur que l'on n'avait pas vue depuis 25 ans. Ceux qui doutaient de la gravité de la situation en ont été immédiatement convaincus. Un sondage réalisé pour l'agence Associated Press (AP) dans les premiers jours de février montre que 61 % des personnes interrogées estimaient le pays déjà en récession. Selon certaines analyses, cette perception est renforcée par l'entrée du pays en campagne électorale. La question " récession ou pas récession ? " est posée à chaque fois qu'un candidat apparaît à la télévision - et ils y paraissent continuellement. Lorsque Barack Obama déclare : " Nous pourrions être en train de glisser dans une récession hors du commun ", les électeurs n'ont pas lieu d'être rassurés.
L'une des lois immuables de la politique américaine est que la situation économique, bonne ou mauvaise, est attribuée à ceux qui sont au pouvoir au moment où un phénomène négatif ou positif est ressenti, même s'ils n'en sont pas responsables. Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 1992, la situation économique s'est redressée avant l'élection de novembre, mais la population n'avait pas encore intégré les effets de ce redressement : la conséquence la plus douloureuse d'une récession, le chômage, met plus longtemps à s'améliorer que les autres facteurs. C'est en fait Bill Clinton qui a bénéficié de la relance économique générée par son prédécesseur. Pour l'anecdote, les statisticiens ont aussi constaté que la popularité du président est inversement proportionnelle au prix de l'essence … L'action de George W. Bush pour relancer l'économie ne lui a valu aucune reconnaissance de l'opinion publique. Tandis qu'il annonçait au pays l'arrivée de chèques du Trésor public pour relancer la consommation, sa cote de popularité est tombée au plus bas : 29 %. De la même façon, George W. Bush n'a jamais été crédité dans les sondages de la bonne marche de l'économie à l'époque où les indicateurs économiques étaient favorables. Sa réélection de 2004 a reposé sur ses performances dans la lutte contre le terrorisme. Alors que le chômage était bas, la consommation forte et la bourse au zénith, la population manifestait déjà sa méfiance à l'égard de la situation économique, comme si elle pressentait que la bulle de prospérité était artificielle.
Lors de l'élection de 2004, les démocrates - à l'exception de John Edwards - n'ont pas exploité à fond le thème de l'économie, pour se concentrer sur l'Irak, ce qui devait être considéré à posteriori comme une erreur stratégique. C'est un reproche que l'on ne pourra pas leur faire cette fois-ci. L'économie est devenue la préoccupation prioritaire des électeurs, avant la guerre en Irak. L'opposition à la guerre est d'ailleurs appuyée sur un argument économique : elle coûte au pays plus de 10 Md $ par mois. Une enquête de l'institut de recherche Pew montre que même les hispaniques font passer l'économie devant ce qui est pourtant leur cheval de bataille préféré : l'immigration. Un gestionnaire ou un leader ? Face à cette situation, on pourrait s'attendre à ce que les électeurs choisissent le candidat qu'ils considèrent comme le plus compétent dans le domaine économique. Cependant, ce n'est pas du tout ce qui se produit !
Le républicain Mitt Romney en sait quelque chose. Il s'est présenté comme le seul candidat ayant une réelle expérience de la gestion, à la fois privée et publique. Il a été gouverneur du Massachusetts. Les gouverneurs sont aux États-Unis de véritables petits chefs d'État. Et le Massachusetts a une population et des revenus comparables à ceux du Danemark. Il a également réussi sa carrière dans les affaires, où il a amassé une fortune personnelle évaluée à 250 ou 300 millions de dollars. Appelé à la rescousse par les organisateurs des Jeux olympiques d'hiver de Salt Lake City en 2002, il a spectaculairement redressé une situation au bord de l'effondrement, ce qui lui a inspiré un livre sur la façon de tirer le meilleur parti d'une crise .
Logiquement un tel homme devrait avoir les faveurs des électeurs lorsqu'une crise économique se profile. Pourtant, deux jours après la grande vague des primaires du " super Tuesday ", Mitt Romney a dû se rendre à l'évidence : il n'avait aucune chance d'obtenir le nombre de délégués nécessaires à son investiture. Il a donc suspendu sa campagne. Ce n'est pas faute d'y avoir mis les moyens : il a englouti au moins 40 millions de dollars de sa fortune personnelle dans cette campagne.
Il faut cependant dire que l'échec de Mitt Romney tient à des facteurs qui n'ont rien à voir avec ses compétences économiques. Son appartenance étroite à l'Église mormone a réveillé les préjugés contre une communauté perçue comme une secte par une partie des Américains. Il a également mené une campagne d'attaques brutales, qui ne lui a pas attiré la sympathie de l'opinion publique. Son profil aurait pourtant pu transcender ses handicaps : cela n'a pas été le cas. Le lendemain de son départ, le Wall Street Journal soulignait que, malgré leur admiration pour les businessmen, les Américains ne les élisent pas à la présidence - peut-être parce qu'ils considèrent que les deux domaines ne relèvent pas des mêmes compétences.
Les républicains ont mis sur la voie de l'investiture John McCain qui, dans un embarrassant moment de candeur, a déclaré un jour que l'économie n'était pas son fort. Il a plus tard habillé cette déclaration en expliquant que le président doit diriger et laisser les questions techniques aux spécialistes.
Les électeurs semblent d'accord avec lui puisque, tout en indiquant dans les sondages que l'économie est le défi le plus important à relever, ils mettent en tête des qualités qu'ils recherchent chez leurs dirigeants, non la compétence en la matière mais le " leadership ", autrement dit la capacité à diriger.
Chez les démocrates se produit un phénomène similaire. Le candidat qui avait fait de la situation économique le point central de sa campagne, John Edwards, n'a pas décollé de la troisième place et a dû abandonner sa campagne au bout de quatre semaines de compétition électorale. Dans le même temps, on a assisté à l'envolée de Barack Obama, sur le thème du changement pris dans une acception très large. Son discours lyrique gagne inlassablement du terrain sur le discours pratique et chiffré d'Hillary Clinton.
Le point fort de la candidature Clinton est un programme d'assurance-maladie beaucoup plus complet et argumenté que celui de son adversaire. Cela devrait être un atout majeur dans un pays où 47 millions de personnes n'ont pas d'assurance-maladie et où les factures d'hôpital sont la première cause de faillite personnelle. Il semble que lorsque Hillary Clinton dit : " On peut rêver du changement, mais il ne peut s'appuyer que sur des réalités économiques ", elle n'est pas tout à fait entendue par les électeurs.
Cette apparente irrationalité des électeurs tient peut-être à la nature même des élections primaires, auxquelles participent les partisans politiques les plus passionnés. Lors de l'élection générale, où un tiers des votants n'appartient à aucun des deux grands partis, le débat se recentre sur les problèmes pratiques et les électeurs sont plus exigeants sur le contenu des programmes. C'est à ce moment que s'applique vraiment la formule " voter avec son portefeuille ". Les candidats, quels qu'ils soient, devront alors avoir des arguments d'autant mieux verrouillés que l'économie est le vrai terrain d'affrontement idéologique entre démocrates et républicains. Une marge de manœuvre limitée Dans le domaine de l'économie, les républicains sont en train de perdre l'avantage. Jusqu'à ces dernières années, ils étaient considérés comme les plus capables d'assurer une économie forte. Un sondage réalisé par le New York Times à la fin de l'année 2007 montre que cette tendance s'est inversée : ceux qui leur font confiance ne sont plus que 31 % contre 49 % aux démocrates, ce qui laisse 20 % des personnes interrogées à ne faire confiance ni à l'un ni à l'autre !
Les menaces de récession donnent un avantage aux démocrates. Ils offrent un élargissement de la protection sociale, auquel les électeurs sont plus sensibles lorsqu'ils se sentent vulnérables ; mais dans le même temps cette protection a un prix que beaucoup d'Américains ne veulent pas payer. Dans un pays fondé sur la méfiance à l'égard du gouvernement central, le citoyen a toujours une réticence à confier à l'État la charge de prendre soin de lui. L'un des arguments récurrents des campagnes électorales est : " Vous êtes mieux placés que le gouvernement pour savoir comment utiliser votre argent ! ".
Lors des élections précédentes, les républicains ont réussi avec succès à présenter les démocrates comme des agents du fisc, ne pensant qu'à vider les poches des citoyens pour remplir les caisses de l'État. Les impôts sont très impopulaires chez les conservateurs, au point que deux candidats, Ron Paul et Mike Huckabee, proposent purement et simplement de supprimer l'impôt sur le revenu. Les démocrates eux-mêmes restent très circonspects, et aucun projet concret de réforme fiscale n'est sorti du Congrès où ils ont la majorité depuis un an.
John McCain lui-même se trouve actuellement en difficulté avec l'aile conservatrice du parti républicain pour s'être opposé aux réductions d'impôts décrétées par George W. Bush.
Le débat porte actuellement sur le maintien ou la réforme des baisses d'impôts qui ont été la marque de la présidence Bush. En arrivant à la Maison-Blanche il a lancé un programme de 1,35 milliard de dollars de réductions fiscales, connu sous le nom EGTRRA (Economic Growth Tax Cut Relief Reconciliation Act), qui doit courir jusqu'en 2010. Ce qui était à l'origine une promesse électorale s'est avéré un mouvement judicieux lorsque l'économie, déjà affaiblie en 2001, a accusé le coup des attentats du 11 septembre. Mais avec les dépenses militaires entraînées par la guerre contre le terrorisme, les États-Unis ont accumulé une dette de 9 trillions de dollars.
Au début du mois de février, un accord entre George W. Bush et le Congrès à majorité démocrate a abouti à un plan de 170 milliards de dollars pour stimuler l'économie.
De cette démarche on peut tirer deux enseignements. D'abord un président républicain, idéologiquement hostile à l'intervention de l'État peut, sous la pression des événements, aller exactement dans le sens contraire. Ensuite quoi qu'il fasse, il doit le faire avec l'accord du pouvoir législatif, ce qui limite considérablement sa marge de manœuvre ou peut, au contraire, lui ouvrir des horizons. George W. Bush a gouverné 5 ans avec un Congrès républicain, ce qui est une exception ; depuis Dwight Eisenhower, tous les présidents républicains ont dû s'accommoder d'une cohabitation. Bill Clinton a connu l'expérience inverse : deux ans après le début de son premier mandat, une vague républicaine a déferlé au Congrès. Cela a été une période faste pour l'économie, le président a, contre son propre parti, fait passer des réformes majeures comme celle du " Welfare ", le système d'assistance de l'État, et il a conclu le traité NAFTA (Accord de libre-échange nord-américain, ALENA). Cet accord de libre-échange avec le Mexique et le Canada, très impopulaire chez une partie des démocrates et des républicains, est néanmoins considéré comme une des grandes réussites économiques de la présidence Clinton. Cette époque a également été faste en raison de circonstances extérieures à la politique, comme le faible coût du pétrole et l'explosion des " start-up " et de toutes les activités liées au développement de nouvelles technologies.
Dans leur grande sagesse, les électeurs pressentent donc peut-être que, quel que soit son programme, le futur président n'aura sans doute que des chances limitées de l'appliquer. Il devra non seulement composer avec le pouvoir législatif, mais également avec le pouvoir judiciaire qui, par le biais des lois antitrust ou de la réglementation du travail, peut aussi avoir une influence notable sur l'économie. Et le nouveau président devra surtout se plier à des circonstances que nul ne peut prévoir au moment du vote.
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