États-Unis : Un leadership international affaibli
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C'est entre lassitude et incrédulité que le monde assiste au dernier psychodrame américain. Or, le "shutdown" n'est que la dernière manifestation de dysfonctionnements auxquels sont confrontés les Etats-Unis et par ricochet le monde entier.
Il y a tout d'abord des répercussions sur la politique étrangère. En fin de semaine dernière, le département d'Etat annonçait le report du deuxième round de négociations sur le commerce et l'investissement (TTIP) et l'annulation du voyage du président Obama en Asie. D'un côté, ce sont les fonctionnaires fédéraux nécessaires à la préparation du sommet qui manquent à l'appel. De l'autre, on estime que la présence du président à Washington est indispensable pour régler la crise. Beaucoup de contrats publics passés avec l'étranger sont suspendus. A l'instar des shutdowns de 1995 et 1996, on peut espérer que le retour à la normale permettra un rapide redémarrage de l'Etat américain.
Mais la fermeture du gouvernement fédéral n'est qu'un élément de la crise liée à la situation budgétaire désastreuse du pays. Derrière le shutdown, il y a les coupes budgétaires automatiques en place depuis le 1er mars, et qui touchent les budgets du département d'Etat et du Pentagone. La semaine prochaine, il faudra aussi remonter le plafond de la dette fédérale, fixé à 16 400 milliards de dollars. Ce plafond ne peut être modifié que par la loi, ce qui, dans le contexte d'hystérie sur les sujets budgétaires, ne se fera pas sans un nouvel affrontement entre les partisans du Tea Party, minorité radicale, et les autres membres du Congrès.
L'ÉCONOMIE MONDIALE FRAGILISÉE
Le risque d'abaissement de la note du pays par les agences de notation et de perte de confiance des marchés financiers n'est pas nul, ainsi que celui d'une nouvelle récession, avec les conséquences sur le reste du monde. L'économie mondiale est donc fragilisée.
Les importantes coupes budgétaires imposées par la séquestration pourraient en outre avoir des effets en réalité plus graves que le shutdown en imposant des inflexions de long terme de la politique étrangère du pays. C'est le cas, par exemple, du "pivot vers l'Asie". Cette politique annoncée par le président lors de son premier mandat devait être l'héritage principal de sa politique étrangère : les Etats-Unis allaient se dégager enfin du Moyen-Orient et de ses mille difficultés pour s'orienter vers la région Asie-Pacifique. Des relations fortes avec les pays d'Asie du Sud-Est devaient se matérialiser par un redéploiement des forces américaines. Or, à la tendance baissière du budget de défense engagée depuis 2010, la séquestration ajoute une coupe de 37 milliards de dollars en 2013 et de 52 milliards en 2014 : ces éléments ont déjà fait comprendre aux observateurs que le pivot vers l'Asie ne pourra se réaliser comme prévu.
Prenant le relais de la crise syrienne, le shutdown contribue enfin à l'affaiblissement de l'image des Etats-Unis. Dans son dernier ouvrage Presidential Leadership and the Creation of the American Era (Princeton University Press, 2013), le professeur à Harvard Joseph Nye insiste sur le rôle personnel des présidents en matière de politique étrangère.
Si M. Obama a été traité par les républicains de président faible, ses partisans voyaient en lui un président sage et réfléchi. Or les semaines qui ont suivi le massacre chimique du 21 août en Syrie ont plongé les plus fidèles dans le doute. Ses atermoiements ont en tout cas achevé de ternir son image dans le monde arabe. Au-delà de sa personne, c'est la capacité de leadership américain dans le monde qui est mise en doute. L'incapacité de M. Obama à faire plier les élus pro-Tea Party et à créer un climat propice au compromis avec le Congrès renforce l'impression de faiblesse.
Si la personnalité du président est un élément décisif dans la définition de la politique étrangère, il est bien possible que le prochain hôte de la Maison Blanche soit en mesure de redresser l'image de son pays. La question est donc de savoir quel genre d'homme, ou de femme, sera le prochain président américain.
Article paru dans Le Monde le 11 octobre 2013
Laurence Nardon est responsable du programme États-Unis de l'Ifri
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