Élections à Taïwan : victoire mais pas de blanc-seing pour William Lai
Le 13 janvier 2024, le Parti démocrate progressiste (PDP) a été reconduit pour un troisième mandat consécutif, phénomène inédit depuis la première élection en 1996.
Cette victoire n’est toutefois pas un blanc-seing offert par les électeurs au PDP. Le président élu, William Lai (Lai Ching-te), remporte l’élection avec 40 % des voix, soit un million de plus que le numéro deux sur le podium, Hou Yu-ih du Kuomintang (KMT). Une avance confortable mais très en dessous des scores de sa prédécesseure Tsai Ing-wen en 2016 et 2020 (56 % et 57 %). En outre, les électeurs taïwanais n’ont pas offert au parti au pouvoir la majorité au Parlement, le Yuan législatif. La nouvelle assemblée sera tripartisane et très équilibrée entre le PDP et le KMT qui remporte une courte majorité. Le Parti populaire taïwanais (PPT), avec seulement huit députés, acquiert un rôle déterminant dans le jeu démocratique.
De ce fait, la première leçon à tirer de l’élection présidentielle et législative taïwanaise, outre la bonne tenue des débats et de l’organisation du scrutin ainsi qu’une participation honorable (près de 72 % contre 75 % en 2020), c’est le jugement pondéré des électeurs dans les urnes, en dépit des pressions et interférences venues de Chine populaire. En effet, les électeurs taïwanais ont jugé sur pièce le bilan des uns et les propositions des autres, sans céder aux sirènes du populisme. Ils ont également imposé le débat, la négociation et le compromis comme unique mode de fonctionnement au Parlement.
Présidentielle : les sources de la victoire… et de la défaite
On peut interpréter la victoire PDP de façon positive et négative. Positivement, le PDP a bénéficié du bilan globalement favorable des huit années de présidence de Tsai Ing-wen. En particulier, elle a proposé une nouvelle approche sur la question de l’indépendance considérant que c’était un objectif inutile de poursuivre car déjà un état de fait. En dépit de la perte de plusieurs alliés diplomatiques (dont le dernier en date Nauru, au lendemain de l’élection), elle a significativement renforcé l’image et le rôle de Taïwan sur la scène internationale, ainsi que les relations économiques, scientifiques et culturelles avec de nombreuses démocraties. Dans le domaine de la défense, elle a poursuivi les grands programmes d’armement indigènes (sous-marins, destroyers et drones par exemple), promu le développement de capacités de défense asymétriques et étendu le service militaire de quatre à douze mois. Elle a également donné une nouvelle impulsion au programme spatial en créant une nouvelle agence (Taiwan Space Agency, TASA) visant à stimuler l’industrie. Toutes ces mesures ont peu – ou pas – été remises en cause par ses adversaires durant la campagne. Son bilan économique est plus controversé, mais sa gestion de la crise du Covid-19 et de la coercition économique chinoise est globalement positive également, en particulier sa politique de relocalisation et de diversification du commerce et des investissements vers l’Asie du Sud-Est.
En négatif, le PDP a aussi été élu grâce à l’absence de propositions ambitieuses et innovantes permettant de susciter un regain d’intérêt de la société et rassembler une majorité d’électeurs.
Le KMT demeure un parti vieillissant (leurs candidats pour la présidence et la vice-présidence étaient les plus âgés), qui peine à se renouveler et à s’adapter aux évolutions de la société. Il ne parvient pas non plus à proposer des innovations politiques. Concernant la relation avec Pékin, par exemple, sur laquelle il était attendu, le KMT n’a pas pu – ou voulu – clarifier sa méthode pour coopérer avec la Chine, ni sa position à l’égard du « consensus de 1992 ». En outre, trois jours avant l’élection, l’ancien président Ma Ying-jeou (issu du KMT) a déclaré au média allemand Deutsche Welle qu’il fallait « faire confiance » à Xi Jinping sur la relation inter-détroit et qu’il ne pensait pas que ce dernier « poussait à l’unification ». Cette déclaration, du pain béni pour le PDP, a vraisemblablement été l’estocade portée aux candidats KMT, bien qu’ils se soient désolidarisés de l’ancien président.
Avec plus d’un quart des suffrages, le candidat du PPT Ko Wen-je poursuit sa trajectoire ascendante sur la scène politique taïwanaise. Mettant en avant son expérience de médecin, il a proposé une approche scientifique et non idéologique de la politique qui a beaucoup séduit les ingénieurs, médecins et professionnels des sciences exactes, tandis qu’elle a contrarié un électorat formé aux sciences sociales, pour lequel la politique ne fonctionne pas comme un corps humain. En dépit de sa vision scientifique de la politique, il a échoué à présenter une véritable vision politique et des propositions concrètes, avec des positions souvent changeantes. Enfin, la coalition avortée avec le KMT en novembre et certaines déclarations misogynes ont égratigné son image. Se poser comme une alternative au-dessus des partis traditionnels n’a pas suffi à constituer un programme et ne lui a pas permis d’être suffisamment crédible aux yeux de la majorité de l’opinion.
Cela étant posé, il faut mettre au crédit de Ko d’avoir su parler et mobiliser un électorat jeune, d’avoir répondu aux attentes d’une population qui ne se retrouve plus dans les partis traditionnels. Il pousse ainsi le PDP et le KMT à une saine introspection qui ne peut que tirer l’ensemble de la scène politique vers le haut.
Face à une opposition divisée et peu convaincante, le PDP a passé l’obstacle de la présidentielle sans encombre. Toutefois, sa victoire n’est pas un raz-de-marée, et l’absence de majorité au Yuan législatif doit commander au futur gouvernement une certaine humilité, de mieux prendre en compte les questions intérieures prioritaires pour la population (logement, salaires, emplois), de travailler sur sa capacité à parler à la jeunesse et de trouver des compromis avec l’opposition.
Le PPT au centre du jeu démocratique au Yuan législatif
Surtout, l’élément le plus important de cette élection est le nouveau rôle central du PPT au Yuan législatif. Le KMT a obtenu la majorité (52), mais d’un siège seulement sur le PDP (51). Il bénéficiera probablement du soutien des deux députés indépendants qui s’apparentent au camp bleu, sans toutefois atteindre la majorité absolue (à 57 voix). Ainsi, avec seulement huit législateurs élus (soit trois de plus que dans la dernière législature), le PPT devient l’épicentre du Parlement et va peser lourd dans les débats. Désormais faiseurs de roi, députés PPT seront décisifs pour voter les textes, les budgets, valider les membres du gouvernement (le Yuan exécutif) et élire le président du Yuan législatif, un poste clé.
La 11e législature du Parlement qui débutera son mandat le 1er février constituera un test grandeur nature pour le PPT qui devra faire preuve d’unité et de responsabilité. L’attention sera focalisée sur ses huit législateurs ; leur rôle dans le débat et leurs votes seront scrutés. Ko Wen-je, qui n’a plus de mandat politique autre que celui de président de son parti, devra confirmer son rôle de leader de la troisième force politique du pays, fidéliser et élargir sa base électorale dans la perspective des élections locales de 2026, et générales de 2028.
Ainsi, les quatre prochaines années représentent pour le PPT l’opportunité de progresser, de se professionnaliser et de recruter, en même temps que le risque de mettre à jour ses dissensions internes et indécisions. Autrement dit, ce mandat pourra s’avérer pour le PPT et pour Ko Wen-je un tremplin ou une trappe sur le chemin de la prochaine présidentielle.
La première grande épreuve est la nomination du président du Yuan législatif. Le KMT propose comme candidat Han Kuo-yu, le candidat malheureux à la présidentielle de 2020, connu pour son tempérament clivant et provocateur. Le PDP propose de reconduire l’actuel président de la Chambre, You Si-kun, mais, étant en minorité, il ne part pas favori. Ce sont donc les voix des huit députés PPT qui seront décisives en faveur du candidat du KMT ou de celui du PDP, en parvenant sans doute au passage à obtenir pour eux-mêmes le poste de vice-président. Autre alternative audacieuse mais tout à fait réaliste : le PPT et le PDP pourraient passer un accord contre Han Kuo-yu en élisant la cheffe de file du PPT, Huang Shan-shan, au poste de présidente du Yuan législatif. Ce serait un moindre mal pour le PDP, un tour de force pour le PPT et la première femme de l’histoire à ce poste.
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