Élections législatives fédérales : Le Canada va-t-il changer de politique étrangère ?
Les enjeux des élections législatives fédérales au Canada sont importants, y compris en matière extérieure : va-t-on assister à un virage de la politique étrangère, à un changement de stratégie à la veille de la COP21 ? par Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord, IFRI
Premier ministre du Canada depuis presque dix ans, le conservateur Stephen Harper remet son mandat en jeu lundi 19 octobre, avec les élections législatives fédérales. Les derniers sondages donnent son Parti au coude à coude avec le Parti libéral (centriste) de Justin Trudeau, autour de 32% des intentions de vote. Quoique donné en 3ème position, à 28%, le Nouveau Parti Démocratique (NPD), mené à gauche par Tom Mulcair a aussi ses chances d’accéder au pouvoir. Il pourrait en effet être avantagé par le système de suffrage uninominal à un tour que le Canada a hérité de la Grande-Bretagne.
Une politique étrangère qui a tranché avec les choix traditionnels
Les jeux sont donc très ouverts. Or, un changement de gouvernement aurait des effets sur la politique étrangère du Canada, que ce soit vis-à-vis des actions de la Coalition en Irak et en Syrie ou de la prochaine Conférence de Paris sur le Climat.
La politique étrangère de Stephen Harper a tranché avec les choix traditionnels du pays. Arrivé au pouvoir en 2006, le chef du Parti conservateur avait adopté la même attitude que les équipes de Bush alors à l’œuvre à Washington. S’efforçant de projeter l’image d’un homme fort, il avait confirmé la participation du pays aux opérations militaires en Afghanistan – dont le Canada s’est retiré en 2014. A l’heure actuelle, le Canada participe activement aux actions de la Coalition en Irak et en Syrie, que ce soit par des frappes aériennes ou par des opérations au sol de ses forces spéciales. De même, Harper a adopté une rhétorique ferme vis-à-vis de la Russie, renforcée par l’importante présence ukrainienne au Canada (1,3 millions de personnes). Au lendemain des attentats terroristes d’Ottawa en octobre 2014, son gouvernement a proposé l’adoption d’une loi anti-terroriste que l’opposition considère comme liberticide.
Un gouvernement peu préoccupé par l'environnement
Le premier ministre Harper est de manière générale moins préoccupé par l’environnement que par la production d’énergie : favorable à l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, il a vivement critiqué l’administration Obama pour ses hésitations sur le projet d’oléoduc Keystone XL, qui amènerait le pétrole et le gaz canadiens jusqu’au Golfe du Mexique. Se méfiant des approches multilatérales en matière de politique étrangère, il a retiré son pays du Protocole de Kyoto en 2011, adoptant des seuils de réduction des gaz à effet de serre très modestes.
Favorable aux traités de libre échange
Enfin, son gouvernement est favorable aux traités de libre-échange économique, qu’il s’agisse de l’AECG, en cours de ratification avec l’Union européenne, ou du Partenariat transatlantique (TPP), un vaste accord liant 12 nations des Amériques, d’Asie et du Pacifique, conclu le 5 octobre dernier.
Les principaux adversaires de S. Harper, Justin Trudeau et Tom Mulcair, dénoncent la politique étrangère du gouvernement actuel, qu’ils qualifient de néoconservatrice. Ils critiquent par exemple le soutien inconditionnel à Israël, qui est une constante de la politique étrangère du premier ministre. Ils dénoncent également le retrait presque total du Canada des opérations de maintien de la paix sous égide de l’ONU, pourtant une tradition canadienne reconnue. Celles-ci furent en effet créées par le diplomate canadien Lester Pearson (prix Nobel de la Paix 1957) au lendemain de la crise du canal de Suez.
Si l'opposition gagne...
L’arrivée au pouvoir de l’un des deux opposants modifierait donc la politique étrangère du pays. C’est surtout en cas de victoire du NPD que les choses changeraient, puisque Tom Mulcair s’oppose systématiquement aux initiatives Harper en matière de politique étrangère. Le leader de gauche promet ainsi le retrait des troupes canadiennes de la Coalition en Irak et en Syrie. Il est par ailleurs opposé à la loi anti-terroriste. Fidèle à la ligne protectionniste de son parti, il condamne les traités commerciaux récemment conclus, même si l’opinion canadienne y est plutôt favorable. Enfin, il s’est prononcé en faveur d’un retour du Canada dans les négociations multilatérales en général et sur le climat en particulier. Il s’oppose bien entendu au projet de d’oléoduc Keystone XL et annonce surtout un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre très ambitieux, de 80% d’ici 2050. Une victoire du NPD aux élections de lundi constituerait un développement crucial à la veille de la COP21.
Trudeau défend un juste milieu
Le libéral Justin Trudeau, dont le principal défaut semble être la jeunesse et le manque d’expérience, défend pour sa part un juste milieu sur l’ensemble des sujets. Ses adversaires n’hésitent donc pas à le taxer d’ambivalence. Trudeau souhaite par exemple le vote de la loi antiterroriste, tout en engageant de nouveaux débats sur ses points les plus sensibles. Il accepterait de maintenir des forces en Irak et en Syrie, à condition de limiter leur rôle à la formation des troupes locales. Il est favorable à la construction du pipeline Keystone XL, mais reproche à Harper d’avoir été trop ouvertement critique du « grand voisin du Sud » sur le sujet. Il est favorable aux accords de libre-échange –c’est un libéral, après tout- mais reproche à Harper d’avoir négocié le récent TPP de manière trop secrète. Enfin, s’il n’a pas fait d’annonce très précise en ce qui concerne la position d’un gouvernement libéral à la COP21, il a déclaré vouloir associer les provinces du pays à la délégation canadienne présente à Paris. Certaines d’entre elles, comme le Québec, sont très volontaires sur la question climatique, et la victoire-surprise du NPD de Mulcair en Alberta en mai dernier pourrait faire de cette province, première exploitante des sables bitumineux dans le pays, un nouvel acteur-clef de l’écologie canadienne.
Article paru dans La Tribune, 19 octobre 2015
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