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Elections en Thaïlande : le raz de marée de l'opposition

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 Elections en Thaïlande : le raz de marée de l'opposition
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Le parti d'opposition Phuea Thai (Pour la Thaïlande), mené par Yingluck, la sœur cadette de l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, vient de remporter les élections législatives du 3 juillet 2011, en obtenant la majorité absolue de 265 sièges sur 500 lors d'un scrutin où la participation a été forte : 35 millions d'électeurs ont voté, soit 75% des inscrits [1].

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Les démocrates, parti principal du gouvernement de coalition sortant, ont obtenu 159 sièges, 9 autres partis se partageant les 79 sièges restants. Le sud, et Bangkok, restent le bastion du parti Démocrate alors que le Parti Phuea Thai confirme son influence dans le Nord et le Nord-Est, régions stratégiques par leur nombre de sièges. Cette élection marque plus que jamais la polarisation géographique de la vie politique.

Un Parti Démocrate décevant

En dépit de l'instabilité politique et des troubles intérieurs, la croissance économique de la Thaïlande l'an passé a frôlé les 8 %, et l'argent a afflué dans les caisses de l'Etat. Cependant le mécontentement populaire alimenté par l'inflation galopante (plus de 4 %) due à la hausse des prix du pétrole et à l'incapacité du gouvernement à contrôler les spéculations - entraînant pénurie et envolée du prix des produits de première nécessité - a largement contribué à la chute du gouvernement d'Abhisit Vejjajiva. Si la volonté politique n'a pas fait défaut, la mise en œuvre des réformes, entravée par la lenteur et l'inertie de l'administration, n'a pas été à la hauteur des ambitions affichées. En outre, l'hostilité permanente du groupe des chemises rouges (membre du mouvement anti-dictature Nor Por Chor et soutien de Thaksin), a gêné l'action du gouvernement dès son entrée en fonction. Les soupçons de corruption ont touché plusieurs ministères, dont ceux de l'Intérieur, du Commerce, et des Transports. Ces dernières semaines, la chambre de Commerce et d'Industrie du pays a appelé les entreprises à cesser de verser des pots de vin dont le montant annuel est estimé à 200 milliards de baht (5 milliards d'euros), ce qui représente un cinquième du budget de l'Etat. Enfin, les dirigeants de l'ancien Pad (Alliance populaire pour la démocratie) - les chemises jaunes - qui à l'origine soutenaient l'administration Abhisit, ont appelé à voter blanc, accusant le gouvernement d'être trop complaisant sur le différend territorial autour du temple Khmer Preah Vihear, situé à la frontière Thaïlando-Cambodgienne.

L'efficacité de la campagne du Phuea Thai

La campagne électorale, qui a débuté dès la dissolution du parlement le 10 mai, s'est déroulée dans une atmosphère très tendue entre parti Démocrate et le parti Phuea Thai, dirigé de Dubai par Thaksin Shinawatra. La stratégie de Thaksin a consisté à susciter la radicalisation de ses partisans, comme en témoignent les multiples incidents et la violence inhabituelle de ces dernières semaines, alimentés par les discours et les slogans très agressifs de Phuea Thai, relayés par les chemises rouges. La stratégie de communication du Parti de Thaksin a incontestablement été la plus efficace. Grâce à son omniprésence dans les média (le parti a d'ailleurs été accusé d'avoir acheté certains journalistes), le Phuea Thai a mené une véritable guerre de l'information. Les militants ont par exemple répandu une rumeur selon laquelle l'armée avait imposé un choix de vote à son personnel. Peu avant la tenue du scrutin en effet, le Commandant en Chef de l'armée de terre a déclaré qu'il fallait élire des députés qui protègent la monarchie. Cela a ravivé les rancunes nourries suite au coup d'état de 2006 qui avait chassé Thaksin du pouvoir, et à l'intervention de l'armée qui avait mis fin aux désordres en 2010. La stratégie du Phuea Thai a donc consisté à maintenir l'éventualité d'une intervention de l'armée dans la vie politique à travers un nouveau coup d'état.

Au plan international, Thaksin a multiplié les entretiens dans la presse étrangère, affichant une position d'apaisement et de détachement. Mais son comportement dans la campagne électorale montre qu'il n'en est rien. L'homme continue à entretenir un double langage. Il a été au cœur de la campagne, apparaissant quotidiennement par vidéo transmission directe, haranguant la population depuis l'étranger lors de rassemblements électoraux, festifs ou funéraires, même dans les régions les plus reculées. Sa sœur, ou son " clone " tel qu'il l'a qualifiée, la candidate officielle Yingluck, a pour sa part évité tous les débats, se contentant de faire quelques apparitions médiatiques au cours desquelles il était formellement interdit aux journalistes de l'interroger hors des sujets prévus. Cela se comprend : il y a six mois elle était totalement inconnue du monde politique. Finalement, elle aura été élue sans s'être adressée réellement au grand public.

Et maintenant ?

La popularité de Thaksin, l'attrait irrésistible des promesses électorale populistes et le soutien de Nor Por Chor (Front national anti-dictature), organisation structurée, organe de propagande, de pression, et mouvement politique crypto communiste, ont réussi à faire revenir Thaksin au pouvoir à travers sa sœur. Thaksin va-t-il s'arrêter là ?

Pour consolider la nouvelle majorité, qui n'est d'ailleurs pas encore en poste, Yingluck a déjà annoncé la formation d'un gouvernement associant quatre partis dont trois proviennent de la coalition d'Abhisit. Le jeu de bascule recommence, suivant un dicton connu des politiciens Thaïs, " pas d'amitié réelle, ni d'hostilité éternelle". Toutefois, le futur gouvernement pourra-t-il tenir les promesses difficilement réalisables, voire irréalistes, qui ont suscité tant d'espoir ? Rien n'est moins sûr. Or la déconvenue pourrait être considérable, incontrôlable, et risquerait de se retourner contre lui. Par ailleurs, le retour de Thaksin en Thaïlande va-t-il être favorisé alors que ce dernier reste sous le coup de condamnations pour abus de pouvoir et corruption ? Une telle décision déclencherait immanquablement une très vive réaction et des risques d'affrontement violent. Pourtant le principal but de cette campagne n'a-t-il pas été de venir en aide à Thaksin alors qu'aucun sujet de fond n'a réellement fait l'objet de proposition ? Thaksin, comme par le passé, s'affranchit de la loi. Il a par exemple inclus sur la liste de son parti des membres de Nor Por Chor impliqués dans les événements tragiques de mars à mai 2010 (émeutes et incendies) et qui ont maille à partir avec la justice. Une dizaine d'entre eux ont été élus députés.

On peut craindre de nouveau que cette élection n'ait été qu'une lutte pour s'emparer du pouvoir. Les maux demeureront les mêmes en l'absence de projets crédibles et de réduction des disparités sociales. Cela étant, même si le clientélisme et le populisme ont triomphé, le peuple a indiqué avec fermeté sa préférence.


[1] 3% de votes blancs, et plus de 5% de bulletins nuls.

 

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