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Crise économique et stabilité sociale en Chine

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Crise économique et stabilité sociale en Chine
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Afin de conserver le niveau d"occupation actuel de la population active, la Chine aurait besoin de maintenir son taux de croissance économique à 8%. Ceci ne semble pas avoir été le cas pour le dernier semestre 2008 et le pays est confronté à une augmentation rapide du nombre de chômeurs. Les chiffres officiels avançaient un taux de chômage de 4,2% à la fin de l"année 2008, soit 0,2% de plus que l"année précédente à la même période. En réalité, selon des estimations émanant de la Chinese Academy of Social Sciences, le taux de chômage urbain aurait déjà atteint 9,4% à la fin 2008 et pourrait s"élever à 11% aux lendemains de la Fête du printemps [1]. Toutes les catégories de travailleurs sont touchées. Parmi les diplômés de l"université en 2008, 12% seraient encore sans emploi. Toutefois, le groupe social le plus fortement affecté par le ralentissement économique est celui des travailleurs migrants, un groupe né de l"exode rural et dont le nombre varie entre 130 millions et plus de 200 millions de personnes selon les estimations. Ces migrants semblent jouer le rôle de tampon face aux ajustements économiques et leur inactivité semble tout particulièrement inquiéter les autorités chinoises.

Remise en question du fragile équilibre villes-campagnes

Les chiffres officiels, avancés au cours d"une conférence de presse donnée par Chen Xiwen, directeur du Central rural work leading group du Comité central du Parti communiste (中 共 中 央 农 村 工 作 领 导 小 组), annoncent que 15,3% des 130 millions de travailleurs migrants seraient rentrés dans les campagnes [2]. Ces ruraux de retour viennent ainsi alourdir encore le poids de la surpopulation dont souffrent les campagnes et qui est une des raisons premières de la pauvreté rurale.

Leur retour dans des zones souvent peu dynamiques a confirmé l"importance des réformes en cours sur les questions rurales. La nécessité de passer à une nouvelle étape dans la réforme rurale et de répondre aux inégalités de développement et de richesses entre les villes et les campagnes chinoises a été au centre des débats du 3ème plénum du 17ème congrès du PCC en octobre dernier. Au cœur de ces réformes se trouve la question de la propriété de la terre, ou plus précisément, puisque les terres agricoles sont toujours propriété collective, du droit d"exploitation des terres. L"évolution attendue par la population, et en partie accordée par le gouvernement central, était de légitimer et d"institutionnaliser le système de transfert des droits d"utilisation des terres arables [3]. Parmi les arguments des opposants à cette réforme, le principal est certainement la crainte de voir diminuer la superficie des terres consacrées à l"agriculture et se renforcer les incertitudes en termes de sécurité alimentaire. Un autre argument avait également émergé : celui de l"ultime sécurité que représente la terre pour les millions de migrants ruraux. Une grande partie de cette population réside en ville dans des situations instables. En cas de difficultés, la terre peut représenter une ultime garantie. Depuis le dernier trimestre 2008, cette population doit en effet faire face au retournement économique et beaucoup ont alors cherché à récupérer les droits d"exploitation de terres qu"ils avaient soit cédés, soit abandonnés. Toutefois, nombreux sont aussi ceux qui ne souhaitent de toute façon pas retourner vivre dans les campagnes et travailler la terre.

En outre, les retours massifs de travailleurs migrants vers leur région d"origine ou vers les campagnes souligne une fois de plus combien le système de hukou, ou de permis de résidence, qui distingue la population agricole et non-agricole, a besoin d"être réformé. Ainsi la crise actuelle illustre et nourrit le débat, aujourd"hui central, sur la réforme rurale.

L"incertitude quant aux transferts des droits d"exploitation de la terre, la précarité dans laquelle les migrants ruraux sont cantonnés dans les villes, le flou qui entoure leurs droits et leur statut aussi bien dans leur lieu d"origine que dans leur lieu de résidence est de moins en moins tenable. Les autorités sont tout à fait conscientes qu"il s"agit là d"une source d"instabilité importante. Ainsi, bien que continuant de ne prendre que des demi-mesures concernant les réformes structurelles, les autorités se sont montrées actives au cours des deux derniers mois afin de proposer une aide concrète aux nombreux travailleurs migrants au chômage.

Les autorités chinoises prennent des mesures

Certaines mesures ne concernent pas seulement les travailleurs migrants mais l"ensemble des personnes victimes de la baisse de l"activité économique. Ainsi plusieurs localités telles Canton ou Shenzhen tentent de combler les salaires impayés par les usines en faillite. Le gouvernement central a également engagé d"importants investissements dans le secteur des infrastructures afin de créer des emplois.

Toutefois aujourd"hui, les mesures les plus médiatisées sont celles qui concernent spécifiquement les travailleurs migrants. Même si, pour reprendre une remarque avancée par un professeur de l"université de Boston, la population de migrants ruraux risque moins de se mobiliser que les ouvriers d"Etat lors des grandes vagues de licenciements dans les années 1990 [4], les autorités sont devenues de plus en plus préventives en termes des gestion du mécontentement public.

Le 1er février 2009, l"agence de presse officielle Xinhua a rendu public le premier document de travail officiel du PCC et du Conseil d"Etat (中共中央国务院关于2009年促进农业稳定发展农民持续增收的若干意/Document de travail du Conseil d"Etat du comité central de la RPC sur la promotion d"un développement stable de l"agriculture et sur la poursuite de la hausse des revenus agricoles en 2009). Le fait que le premier document de travail de l"année soit dédié à la question des " sannong " ou des problèmes ruraux est symboliquement important et confirme qu"il s"agit aujourd"hui d"une priorité pour les autorités centrales [5].

Ce document de travail fait en partie écho à une circulaire du Conseil d"Etat promulguée au cours du mois de décembre à l"ensemble des autorités locales et des ministères (国务院办公厅关于切实做好当前农民工工作的通知). Cette circulaire appelait les provinces à mettre en place des structures pour favoriser l"emploi des travailleurs migrants, pour développer l"offre de formation à ces migrants (à la fois pour que leur qualifications puissent mieux répondre aux besoins du marché du travail en ville et aider à leur retour dans le monde agricole) ; pour favoriser la création d"entreprises par ces migrants dans leur campagne d"origine, c"est-à-dire favoriser l"auto-emploi [6].

Faisant suite à cette circulaire, plusieurs provinces ont déjà pris des mesures d"exception (fortement médiatisées) en faveur de l"emploi des migrants. Ainsi le 28 janvier dernier, la province du Sichuan annonçait que sur 1,49 millions de travailleurs migrants de retour, 1,03 million d"entre eux avaient trouvé un nouvel emploi grâce aux formations et aux foires à l"emploi organisées par les autorités. Selon le même article 38% étaient de nouveau engagés dans des activités agricoles, 43% dans les villes du Sichuan et le reste étaient repartis travailler dans d"autres provinces. Etait encore précisé que le Sichuan avait déjà organisé des formations pour 250000 migrants ruraux et 53 foires à l"emploi et qu"il envisageait de dépenser 80 millions de yens en 2009 pour la formation de ce groupe social [7].

Le gouvernement chinois va injecter 200 milliards de renmenbi dans la dernière grande banque d"Etat agricole : la Zhongguo Nongye Yinhang. Cette recapitalisation n"est pas le fruit d"un traitement privilégié, les autres grandes banques d"Etat en ont déjà profité depuis 2003 dans le cadre d"un large programme s"assainissement et de modernisation du secteur bancaire. Dans le cas de la Banque Agricole de Chine, la recapitalisation intervient finalement assez tard mais correspond à l"urgence aujourd"hui renforcée par le retour des migrants internes et le besoin de dynamiser l"activité économique des régions rurales. Les autorités chinoises explorent également d"autres moyens de stimuler la création d"activité par exemple en légalisant des banques souterraines qui pourraient prêter plus aux entreprises rurales [8].


Malgré tous les signes évoqués ci-dessus de la volonté des autorités d"amortir les difficultés rencontrées par les travailleurs licenciés, des craintes sont énoncées quant au risque que cette crise soit l"occasion de limiter les droits des travailleurs. Plusieurs médias, en particulier le China Labour Bulletin basé à Hong Kong, relatent la confusion des mesures et des messages diffusés par les autorités locales. Pendant que certaines prennent des mesures concrètes pour protéger les droits des travailleurs migrants, d"autres ont déjà demandé à leurs fonctionnaires de fermer les yeux pendant un temps sur les violations des droits des travailleurs tant qu"une entreprise ne licencie pas [9]. Alors que ces droits du travailleurs faisaient l"objet d"une réelle avancée depuis la mise en pratique de la Loi sur le contrat de travail au 1er janvier 2008, il est à craindre que la crise actuelle n"entraîne un retour en arrière.


Hélène Le Bail est chercheur pour le Programme Chine du Centre Asie Ifri.

[1] " The challenges and opportunities for China"s workers in the Year of the Ox ", China Labour Bulletin, http://www.clb.org.hk/en/node/100371.

[2] " 20m jobless migrant workers return home ", China Daily, 02/02/2009, http://www.chinadaily.com.cn/china/2009-02/02/content_7437998.htm.

[3] La pratique de liuzhuan, transfert des contrats d"exploitation familial, 家庭承包经营体制, est, un système instauré en 1982 qui assurait aux familles un droit d"exploitation libre. Il a été renouvelé en 1998 pour 30 ans.

[4] Joseph Fewsmith cité dans Carol Huang : " Migrant workers struggle as China"s factories slow ", The Christian Sciences Monitor, 28 janvier 2009.

[5] Voir l"annonce sur le site officiel du gouvernement central chinois: http://www.gov.cn/jrzg/2009-02/02/content_1219794.htm.

[6] Le texte complet est disponible sur le site de l"agence de presse Xinhua en ligne : http://news.xinhuanet.com/newscenter/2008-12/20/content_10531293_1.htm

[7] " 1 million migrant workers find new jobs in Sichuan ", China daily, 28 janvier 2009, http://www.chinadaily.com.cn/china/2009-01/28/content_7430274.htm.

[8] " Beijing to pump $30bn into rural bank ", Financial Times.com, 01/02/2009, http://www.ft.com/cms/s/0/2ee7098e-f091-11dd-972c-0000779fd2ac,dwp_uuid=9c33700c-4c86-11da-89df-0000779e2340.html.

[9]" The challenges and opportunities for China"s workers in the Year of the Ox ", China Labour Bulletin, http://www.clb.org.hk/en/node/100371.

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