Corée du Nord: de la crise nucléaire à la crise alimentaire
En dépit du retard de cinq mois de la Corée du Nord dans la remise d'un premier document, au demeurant incomplet, faisant état de ses programmes nucléaires, l'administration américaine se réjouit officiellement, depuis la fourniture le 26 juin dernier, d'une nouvelle déclaration nord-coréenne de soixante pages, censée faire enfin le point sur ses activités nucléaires. Le document sera-t-il 'complet et correct ' selon les attentes exprimées par les cercles diplomatiques américains et va-t-on se donner les moyens d'une vérification sérieuse ?
1- De déclaration en déclaration : le parti pris du flou
L'annonce par le Président Bush de la levée des restrictions envers la Corée du Nord (retrait de la liste des Etats terroristes et du Trading with the Ennemy Act) dans les 45 jours et la très médiatique destruction de la tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Yongbyon le 27 juin, semblent avoir pour vocation, du moins symboliquement, de marquer la fin d'une crise qui aura duré cinq ans. Nous sommes cependant loin de la 'dénucléarisation complète et vérifiable' de la péninsule coréenne telle que le stipulait l'accord de septembre 2005 signé dans le cadre multilatéral des Pourparlers à Six[1].
La bilatéralisation des négociations, observée depuis le début de l'année 2007 où l'essentiel des avancées est intervenu à la faveur de discussions entre Pyongyang et Washington et le principe de 'donnant-donnant' mis en place par l'administration républicaine, a débouché sur une situation des plus ambiguës. La stratégie nord-coréenne a été de s'en tenir à un minimum de concession tandis que la partie américaine a fait montre d'une plasticité dont l'évolution tient de la fuite en avant. En effet, jusqu'à présent Pyongyang n'a que partiellement répondu aux exigences américaines et continue à s'en tenir à une ligne élusive : le nombre d'armes atomiques dont le régime est doté n'est pas mentionné dans la déclaration pas plus que le programme d'enrichissement d'uranium à l'origine de la crise actuelle.
De la même façon, aucune lumière n'a été faite sur les activités proliférantes, présentes et passées du régime nord-coréen. Des révélations israéliennes, abondamment reprises par la presse japonaise, tendraient à accréditer l'idée d'une coopération nucléaire entre la Corée du Nord et la Syrie, autre Rogue State, inscrit sur la liste des Etats terroristes et en quête de respectabilité. Par le passé, Pyongyang avait facilité l'accès de ce même pays à la technologie missile balistique.
2- Un régime en sursis ?
Par ailleurs, des informations d'ONG, reprenant les mises en garde du Programme Alimentaire Mondial, PAM, d'avril dernier, alertant sur un possible risque de famine, font état de la situation de grave pénurie alimentaire dans laquelle s'enfonce la Corée du Nord. Sans se leurrer sur l'aspect dramatique de la situation, et sans évoquer le spectre des famines de 1996/1998, la question qui se pose est bien celle de la capacité de résistance de la population du pays. Celle-ci, déjà éprouvée par les restrictions imposées par un régime en faillite, fait face depuis des années à une dégradation de ses conditions de vie (alimentation, soin médicaux, électricité, accès à l'eau) dont témoigne l'augmentation du phénomène des réfugiés. On estime qu'environ 50 000 Nord-Coréens vivent dans la clandestinité en Chine. Pour sa part, la Corée du Sud aurait accordé la nationalité sud-coréenne à au moins 10 000 réfugiés du Nord.
Le fait que la fourniture de la liste de ses programmes nucléaires par Pyongyang ait eu pour conséquence directe une reprise de l'aide alimentaire américaine, ne laisse pas d'intriguer, celle-ci ayant été suspendue depuis plus de deux ans. L'autre élément qui fait débat est que le régime ait apparemment accepté une présence assez nombreuse de représentants du PAM. Cette attitude est quelque peu inhabituelle pour un pouvoir qui souhaite tout contrôler afin de dispenser l'aide en fonction de ses critères propres qui demeurent avant tout la loyauté au 'Cher Leader'. Les ressorts du pouvoir de Kim Jong-il seraient-ils entamés ? Le régime se sentirait-il acculé ou tout simplement menacé en raison de la gravité de la situation alimentaire qui pourrait conduire une population, qui n'a plus rien à perdre - et dont une partie risque déjà sa vie en traversant la frontière vers la Chine poussée par la faim - à se révolter ? On sait Kim Jong-il hanté par les évènements de décembre 1989 en Roumanie et la fin brutale des époux Ceausescu.
Si à la lumière de ces éléments, et de ce que l'on peut deviner de ses fragilités internes, on comprend mieux les raisons qui poussent Pyongyang à jouer le jeu apparent des négociations, la position américaine apparaît davantage sujette à caution. Une nouvelle fois, après avoir brandi la carotte et le bâton, attitude d'ailleurs commune aux administrations démocrate et républicaine, l'action de Washington n'aboutira qu'à consolider un système dictatorial qui se fissure en lui octroyant une substantielle aide alimentaire et énergétique. Le dilemme n'est pas nouveau et le régime excelle au chantage, notamment au détriment de sa propre population. Mais aujourd'hui plus que jamais, donner les moyens à Kim Jong-il d'assurer la survie d'un régime répressif et incontrôlable apparaît incompréhensible si on lui laisse, de surcroît, ses capacités nucléaires.
Il semblerait qu'enfermée dans son obsession iranienne, l'administration républicaine ne perçoive plus que le danger nucléaire puisse venir d'ailleurs…
Marianne Peron-Doise est chargée de cours à l'INALCO
[1]Regroupant l'ensemble des pays riverains de l'Asie du Nord (Russie, Chine, Japon, Corée du Sud, Corée du Nord et Etats-Unis).
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