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Comment assurer la paix en Europe ? Entretien avec la chancelière fédérale Angela Merkel

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La chancelière allemande Angela Merkel brigue un quatrième mandat aux élections générales du 24 septembre 2017. Barbara Kunz, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri, a eu l’occasion de s’entretenir avec elle lors d’un récent séjour en Allemagne. L’Ifri vous propose ici la transcription de cette interview qui a eu lieu peu après l’annonce de la participation d’Angela Merkel à la Rencontre internationale de la communauté de Sant’Egidio.

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Barbara Kunz : Madame la chancelière, le 10 septembre vous participez pour la deuxième fois à la Rencontre internationale de la communauté de Sant’Egidio, à Münster. Qu’en attendez-vous ? Par ailleurs, l’ordre de sécurité européen ne pouvant fonctionner qu’avec la Russie, et non contre la Russie, comment peut-on envisager à l’avenir un ordre de paix européen avec la Russie, sans devoir transiger sur les principes de la Charte de Paris ?

Angela Merkel : Tout d’abord, je me réjouis de pouvoir participer à cette rencontre internationale de Sant’Egidio. J’entretiens des relations très étroites avec la communauté de Sant’Egidio, et c’est pour cela que j’y participe pour la deuxième fois. J’éprouve beaucoup de respect pour leur travail et je tiens en très haute estime leur engagement pour le développement, la réconciliation et la paix. Leur démarche, leur choix de rester toujours fidèles au dialogue et de s’engager pour la paix, notamment en apportant de l’aide localement, mérite la plus grande considération. C’est la raison pour laquelle je me rends là-bas, avec conviction, pour soutenir leur travail. Et le fait que de nombreux jeunes s’enthousiasment pour cela me remplit de joie.

Sur le deuxième point, vous avez raison, nous ne pouvons établir un ordre de paix européen qu’avec la Russie. C’est la raison pour laquelle je me suis toujours engagée à ce que, malgré les graves conflits liés à l’Ukraine et à l’inviolabilité de l’intégrité territoriale, nous n’arrêtions pas le dialogue OTAN-Russie, que nous respections l’acte fondateur OTAN-Russie. Et aussi du côté de la politique européenne de sécurité et de défense, nous devrions naturellement tout faire pour revenir à un meilleur contact et un meilleur dialogue. Mais cela implique aussi la mise en œuvre des accords de Minsk. Si nous y parvenons, nous aurions un point de départ pour renouer un dialogue plus soutenu et plus intense. Et il est aussi très important de respecter tous les accords de désarmement conclus – et notamment entre les États-Unis d’Amérique et la Russie – car leur non-respect pourrait aussi peser.

Barbara Kunz : La paix pour l’Allemagne en Europe ne passe que par la coopération. Si l’on considère la France et l’Allemagne comme deux États entretenant une relation amicale particulièrement étroite, on observe, dans les grandes lignes, une grande unité. Si l’on s’attache cependant aux détails, on constate que ce n’est pas toujours le cas. Si l’on souhaite désormais renforcer la coopération, ce qui, selon toutes les déclarations, constitue l’objectif ultime, comment peut-on gérer ces divergences ?

Angela Merkel : Nous sommes effectivement des pays différents avec des traditions très différentes. Et cela mène donc à des approches variées. Il ne faut naturellement pas oublier que la France est membre du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) et qu’elle dispose, à ce titre, d’un pouvoir de véto. Historiquement, la France est donc très ambitieuse, sur le plan international. En même temps, nous savons que les choses en Europe ne fonctionnent que si la France et l’Allemagne travaillent ensemble. Cela signifie que nous devons nous entendre. Je crois que nous avons réussi – grâce à une initiative franco-allemande – à faire évoluer la politique de sécurité et de défense européenne vers une véritable coopération structurée. Il s’agit d’un grand progrès, même s’il y a des différences considérables en matière de législation sur les exportations d’armes ou sur d’autres questions. Les différences concernent aussi la Bundeswehr, qui est une armée « parlementaire », et l’engagement de l’armée française. Toutefois, grâce à la coopération européenne, nous disposons désormais d’un noyau qui nous permet d’avoir une approche communautaire en réseau, permettant d’intégrer tous les aspects – militaires, sécuritaires, développement. Il s’agit selon moi d’une très grande avancée. C’est précisément sur cette base que nous pourrons certainement faire beaucoup d’actions communes, notamment en Afrique. Certes, cela implique parfois de longues discussions, mais les résultats sont toujours satisfaisants.

Barbara Kunz : Les diverses opérations militaires internationales des dernières années et la tentative d’apporter de la stabilité, voire la paix, dans certaines autres régions du monde n’ont pas toujours été une réussite. On sait par ailleurs que la guerre et la violation des droits de l’homme constituent le premier motif d’exode. Nous ne pouvons donc pas ignorer les problèmes qui affectent d’autres régions. Mais comment peut-on les résoudre si les approches actuelles semblent infructueuses ?

Angela Merkel : Tout d’abord, l’ONU dispose d’un vaste éventail de possibilités pour la stabilisation. Ensuite, et nous l’avons vu en Afghanistan mais aussi partout ailleurs, une intervention militaire ne doit constituer qu’un ultime recours ; seule, elle ne permettra jamais d’aboutir à la paix. Dans les pays concernés, elle doit donc impérativement être associée à des mesures de stabilisation politique, d’aide au développement et de sécurité intérieure. C’est précisément la conception d’une approche en réseau que je viens de décrire. Son renforcement et sa mise en œuvre effective constituent le seul moyen de sortir les pays de situations difficiles, même si cela est parfois très, très long. Nous devons adopter par ailleurs une approche qui consiste à former les forces de sécurité des pays concernés, en Afrique par exemple, afin de pouvoir nous assurer que nous n’aurons pas besoin d’intervenir de l’extérieur sur tous ces théâtres. Quand il s’agit par exemple de lutter contre Boko Haram ou le terrorisme originaire du Mali ou du Niger, il faut que ces pays soient en mesure de pouvoir engager les mesures nécessaires dans leur propre région. Là encore, l’approche doit être en réseau, et nous pouvons naturellement apporter notre soutien. La voie la plus prometteuse passe donc selon moi par la formation, l’équipement et, en parallèle, cette approche en réseau intégrant politique de développement, stabilisation intérieure et parfois aussi réconciliation des parties en conflit.

Barbara Kunz : Parlons maintenant de la Corée du Nord. Pour la première fois depuis peut-être des décennies, la crainte d’une guerre nucléaire est à nouveau d’actualité. Il s’agit d’un type de menace dont l’Allemagne est protégée depuis des décennies par le parapluie nucléaire américain. Vous-même avez récemment affirmé qu’il est temps que l’Europe prenne davantage en main sa sécurité. Qu’est-ce que cela signifie en termes de dissuasion nucléaire ? L’Allemagne – ou peut-être aussi l’Europe – doit-elle disposer de l’arme nucléaire ?

Angela Merkel : Non, ce n’est pas ainsi que je vois les choses. L’Allemagne s’est par ailleurs engagée à n’utiliser l’arme nucléaire en aucun cas, le plus récemment dans le traité 2+4 dans le contexte de l’unification allemande. Ce que nous voulons, au fond, c’est le désarmement. J’ai soutenu, ainsi que l’ensemble du gouvernement fédéral, toutes les initiatives de Barack Obama visant à évoluer vers un monde sans armes nucléaires. Vous avez raison : les essais en Corée du Nord nous placent à nouveau dans une situation très difficile. Néanmoins, je suis profondément convaincue que cette crise doit être résolue de manière diplomatique. Et qu’elle doit nous inciter davantage encore à mettre en route des efforts de désarmement. Dans ce contexte, l’OTAN doit naturellement parler d’une seule voix. La Russie joue, là encore, un rôle décisif. Nous l’avons vu dans le cas iranien : après des années de discussion, nous sommes finalement parvenus à un accord avec ce pays, grâce à une diplomatie commune. C’est ce type d’approche que nous devons désormais adopter avec la Corée du Nord.

 

Retrouvez l’entretien du 2 septembre 2017 « Video-Podcast der Bundeskanzlerin » sur le site de la Chancellerie fédérale : www.bundeskanzlerin.de.

 

 

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ISBN / ISSN

978-2-36567-760-8

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Barbara KUNZ

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Ancienne chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri

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Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa)
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Le Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) a été créé en 1954 par un accord intergouvernemental entre la République fédérale d’Allemagne et la France, afin de mieux faire connaître l'Allemagne en France et analyser les relations franco-allemandes y compris dans leurs dimensions européennes et internationales. Dans ses conférences et séminaires, qui réunissent experts, responsables politiques, hauts décideurs et représentants de la société civile des deux pays, le Cerfa développe le débat franco-allemand et suscite les propositions politiques. Il publie régulièrement des études à travers deux collections : les « Notes du Cerfa » et les « Visions franco-allemandes ». 

Le Cerfa entretient des relations étroites avec le réseau des fondations et des think tanks allemands. En plus de ses activités de recherche et de débat, le Cerfa promeut l’émergence d’une nouvelle génération franco-allemande à travers des programmes de coopération originaux. C'est ainsi qu'en 2021-2022, le Cerfa a conduit un programme sur le multilatéralisme avec la Fondation Konrad Adenauer de Paris. Ce programme s'adresse à des jeunes professionnels des deux pays intéressés par les enjeux du multilatéralisme dans le contexte de leurs activités. Il a couvert une large gamme de thèmes relatifs au multilatéralisme, tel que le commerce international, la santé, les droits de l’homme et la migration, la non-prolifération et le désarmement. Auparavant, le Cerfa avait participé au dialogue d’avenir franco-allemand, co-piloté de 2007 à 2020 avec la Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik (DGAP) et soutenu par la Fondation Robert Bosch, ou encore le groupe Daniel Vernet (anciennement Groupe de réflexion franco-allemand) qui avait été fondé en 2014 à l’initiative de la Fondation Genshagen.

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