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Campagne 2020 : le débat d'idées au sein du Parti démocrate

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Dans la campagne électorale qui commence, les démocrates doivent choisir entre des projets politiques différents.

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La campagne électorale pour les élections présidentielles de novembre 2020 commence, du côté démocrate, par une primaire qui voit s’affronter pas moins de 23 candidats à la désignation officielle par le Parti. Si leur vive opposition au président Trump les réunit, ces candidats sont néanmoins en désaccord sur beaucoup de points.

Les raisons de la défaite d’Hillary Clinton en 2016 sont l’un des premiers sujets de dissension. Certains l’ont expliquée par la désaffection des électeurs blancs des régions industrielles, trahis par un Parti devenu trop élitiste ; d’autres ont mis en avant le genre de la candidate ou la médiocrité supposée de sa campagne ; certains, enfin, considèrent que son échec est dû à une interférence russe. Les partisans d’Hillary Clinton rappellent quant à eux que cette dernière n’a pas véritablement perdu, puisqu’elle a remporté près de 66 millions de voix contre 63 millions pour son adversaire.

Au-delà de ce sujet, les candidats de 2020 sont porteurs de projets politiques divers, notamment sur les aspects économiques et sociétaux.

Le projet économique de l’aile gauche du Parti

La crise financière et économique de 2007-2008 a apporté, pour beaucoup de citoyens américains, la preuve incontestable des excès de la dérégulation engagée dès les années 1980, dans le cadre de la vaste révolution libérale portée par le président Reagan. Cette crise s’ajoutait à la remontée des inégalités sociales constatée dans le pays : l’indice de Gini, qui mesure les inégalités, atteint 0,415 en 2016, l’un des plus élevés des pays développés. Un premier mouvement de contestation, porté par la jeunesse américaine sous le nom d’« Occupy Wall Street », réclamait en 2011 le retour d’un État fédéral assumant son rôle de régulation et de redistribution. Ces thèmes ont été repris avec un grand succès par le candidat Bernie Sanders dans la campagne de 2016. Sénateur du Vermont et indépendant, Sanders se présente comme un socialiste[i] et propose des mesures économiques et sociales aux antipodes de la pensée économique libérale dominante depuis les années 1980. Il est encore présent dans la campagne pour 2020, aux côtés d’autres candidats aux propositions économiques comparables, tels que la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren.

En dehors de la campagne, il existe désormais un certain nombre de « bébés Sanders » souvent plus radicaux que l’original, tels que Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib, élues respectivement représentantes des États de New York et du Michigan, et toutes deux membres des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA)[1]. Alexandria Ocasio-Cortez a ainsi présenté cette année un ambitieux projet de Green New Deal. La référence au New Deal, programme de relance économique et de protection sociale des années 1930, est importante dans ce projet de refonte écologique. Ce projet de Green New Deal à 3 000 milliards de dollars est porté dans la campagne 2020 par Jay Inslee, le gouverneur de l’État de Washington.

Ces idées économiques radicales sont particulièrement populaires auprès de certains segments pro-démocrates de l’électorat, principalement les jeunes, les blancs diplômés et les minorités latino, asiatique ou d’origine métissée (dites « nouvelles minorités »)[2]. Or, le taux de participation de ces groupes a considérablement augmenté lors des élections de mi-mandat de novembre 2018. Par contraste, les électeurs blancs non diplômés du supérieur, qui constituent l’une des bases électorales du président Trump, représentent moins de 40 % des électeurs. Cette dynamique peut donc favoriser les candidats les plus ambitieux sur le plan économique.

Les sondages de la fin juin indiquent qu’Elizabeth Warren semble réduire son écart vis-à-vis de Bernie Sanders. Il est vrai que les idées de la sénatrice du Massachussetts semblent plus fraîches et plus convaincantes que celle de Sanders, qui sont largement restées les mêmes depuis 2016. Finalement, c’est elle qui pourrait porter le plus loin le projet d’un État fort aux États-Unis.

À cette aile gauche du Parti démocrate, portée par le dynamisme des jeunes militants millenials, s’oppose une aile plus modérée.

Joe Biden, le candidat de l’establishment

Jusqu’à présent, celui que les sondages placent en tête dans la course à l’investiture démocrate est l’ancien vice-président d’Obama, Joe Biden. Surnommé « sleepy Joe[3] » par Trump, il endosse le rôle du candidat modéré, incarnant l’establishment gestionnaire. En tant que favori, il est la cible des attaques des autres candidats.

Le processus des primaires, qui conduit les militants les plus engagés à désigner le candidat de leur parti, tend à provoquer le choix d’un candidat extrême : très à gauche pour un parti de gauche, très à droite pour un parti de droite. Cela avantage les candidats tels que Sanders ou Warren dans la séquence actuelle. Cependant, les électeurs démocrates dans leur ensemble ne sont sans doute pas aussi radicaux que les militants impliqués dans les primaires. Il en va de même pour les swing voters (les indécis qui peuvent changer d’allégeance d’une élection à l’autre). C’est là un atout important pour les modérés comme Joe Biden ou la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar.

Toutefois, Joe Biden n’a pas forcément les ressources personnelles pour accomplir une bonne campagne. Sa prestation lors des débats télévisés de la fin juin n’a pas convaincu tous les observateurs. Ainsi, Kamala Harris, sénatrice de Californie, l’a facilement attaqué sur de récentes déclarations, dans lesquelles il faisait l’éloge du travail bipartisan qu’avait su mener le Congrès au cours des décennies passées, citant deux élus notoirement ségrégationnistes. Harris a enchaîné sur l’opposition que Biden aurait eue au début des années 1970 envers les politiques de ramassage scolaire intégré. Dans les semaines qui viennent, Biden sera sans doute attaqué pour d’autres déclarations et comportement anciens devenus aujourd'hui inacceptables, notamment envers les femmes. Le favori actuel est donc un candidat relativement fragile.

Le soutien aux minorités

Les droits des minorités ethniques et sexuelles constituent une autre possibilité de désaccord entre les candidats aux primaires. Les partisans du multiculturalisme à l’américaine (dit identity politics) tendent à définir chaque sous-groupe de la population américaine comme victime de la collectivité et cherchent à lui apporter à la fois des protections (pour l’avenir) et des réparations (pour le passé). La plupart des candidats se sont ainsi exprimés sur la question épineuse des réparations à la communauté afro-américaine, médiatisée par l’écrivain Ta-Nehisi Coates.

Le soutien aux minorités est en effet repris par l’ensemble des candidats démocrates à l’heure actuelle, ce qui montre une évolution générale sur le sujet. En effet, dans la campagne de 2016, si la défense des minorités était centrale dans le programme d’Hillary Clinton, cela semblait être pour apporter un contrepoids progressiste aux politiques économique libérales que proposait par ailleurs la candidate – faisant naître des soupçons de visées électoralistes. À l’époque, son adversaire dans la primaire, Bernie Sanders, ne cherchait pas à séduire la coalition arc-en-ciel qui avait porté Barack Obama au pouvoir en 2008 et en 2012. Aujourd’hui en revanche, si des candidats comme Joe Biden ou Amy Klobuchar cherchent explicitement à récupérer le vote des classes moyennes blanches peu ou pas diplômées qui ont voté Trump en 2016, ils n’en oublient pas pour autant le reste de la population.

Économie et intégration : décloisonner les stratégies

En effet, les candidats démocrates n’ont pas forcément à choisir entre un programme économique radical et un programme de soutien aux minorités ambitieux. Selon le professeur à l’université Roosevelt de Chicago et spécialiste de la working class américaine, Jack Metzgar, ces deux stratégies ne sont pas incompatibles[4].

Ainsi, certaines politiques sociales sont souvent décrites dans les médias et par les politiques comme étant quasi exclusivement tournées vers les Latinos et les Afro-Américains. Medicare pour tous ou le salaire minimum à 15 dollars, sont autant de mesures qui bénéficient plus aux minorités, puisque ces dernières sont proportionnellement plus pauvres. Cependant, numériquement, elles concernent une majorité de Blancs puisque ces derniers forment le plus grand groupe de pauvres[5] et de personnes non assurées[6] du pays. En effet, les Blancs américains représentent toujours 67 %[7] de la population et 72 %, des électeurs en 2017[8]. Metzgar montre que si une hausse du salaire minimum à 15 dollars bénéficie à une majorité des Afro-Américains et des Hispaniques, et seulement à un tiers des Blancs, cela concerne cependant plus de 33 millions de Blancs sur 60 millions de personnes bénéficiaires. Mener une politique sociale forte, a priori favorable aux minorités, bénéficierait en réalité à l’ensemble de la population.

De même, à l’inverse, si récupérer le vote des classes moyennes blanche peu ou pas diplômées implique de lancer une véritable politique industrielle dans les régions sinistrées, le retour de la confiance et de la prospérité dans ces régions profiterait sans doute à tout le pays.

La campagne de 2020 semble marquer une nouvelle époque pour les démocrates. En effet, un programme économique et social aussi à gauche n’avait pas été proposé à un tel niveau avec autant de sérieux depuis la conversion du Parti démocrate aux idées libérales dans les années 1980.

 

[1]. G. Vyse, « Democratic Socialists Rack Up Wins in States », Governing, 9 novembre 2018.

[2]. W. H. Frey, « 2018 Voter Turnout Rose Dramatically for Groups Favoring Democrats, Census Confirms », Brookings Institution, 2 mai 2019.

[3]. K. K. Rebecca Lay et K. Yourish, « The Insults Trump Has Hurled at 2020 Democrats », The New York Times, 26 mai 2019.

[4]. J. Metzgar, « Talking Class and Race at the Same Time », The Labor and Working Class History Association (Lawcha), 17 juin 2019.

[5]. K. Fontenot, J. Semega et M. Kollar, « Income and Poverty in the United States: 2017 », United States Census Bureau, septembre 2018.

[6]. « Key Facts about the Uninsured Population », Kaiser Family Foundation, 7 décembre 2018.

[7]. K. Fontenot, J. Semega et M. Kollar, « Income and Poverty in the United States: 2017 », op. cit.

[8]. « Exit Polls », CNN, disponible sur : https://edition.cnn.com.

[9]. S. Sullivan, « Sen. Bernie Sanders Defends Democratic Socialism, Reflecting Internal Democratic Battle over the Party’s Philosophy», The Washington Post, 12 juin 2019.

 

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979-10-373-0046-1

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Laurence NARDON

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Responsable du Programme Amériques de l'Ifri

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Les travaux de l’Ifri sur la région des Amériques concernent principalement les États-Unis, fournissant des clés de compréhension sur la politique intérieure et la société américaines afin de mieux appréhender les évolutions de la politique étrangère et de défense du pays ainsi les questions transatlantiques et commerciales. Un axe spécifique sur l’Amérique latine créé en 2023 permet de structurer une recherche plus active sur cette région. Un axe de recherche sur le Canada a été actif en 2015 et en 2016, dont les archives restent accessibles.

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