Les défis majeurs de l’administration nigériane d’Ahmed Bola Tinubu
La faiblesse de la participation électorale lors du scrutin présidentiel au Nigeria en février-mars 2023 n’a jamais été aussi marquée depuis le retour du pays à la démocratie en 1999. Le nouveau président nigérian Ahmed Bola Tinubu doit désormais rassurer sur la capacité de la première économie d’Afrique à faire mentir une image tenace d’un pays en déclassement.
La croissance économique qui se situe à 3,3 % en 2022 (contre 3,6 % en 2021 et - 1,8 % en 2020) ne profite qu’à une minorité alors qu’une majorité croissante de la population (63 % en 2023) se trouve dans la catégorie de la pauvreté[1]. Ce climat économique et social difficile se fait sur fond de décrue régulière de la production pétrolière (passé de 2,3 millions de barils par jour à 1,3 million de barils par jour de 2003 à 2022[2]). La vente de pétrole finançant près des deux tiers du budget de la fédération, cette décrue réduit d’autant plus les marges de manœuvre de l’État fédéral à investir et limite les transferts financiers vers les 36 États fédérés et les 774 gouvernements locaux.
Concernant la sécurité, une grande partie du territoire nigérian reste touchée par différentes formes de violence. Dans le delta du Niger, les mafias continuent de piller le brut et font régner la terreur notamment en multipliant les enlèvements ; dans la région centre[3], les violences entre éleveurs et agriculteurs n’ont pas cessé. Quant au nord-ouest, le gangstérisme prend des proportions critiques dans les États de Sokoto (le plus pauvre du pays avec 91 % de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté[4]), Katsina et Zamfara. Enfin, la région nord-est continue de subir les convulsions des groupes issus de la scission de Boko Haram[5].
Le président Ahmed Bola Tinubu, issu de l’All Progressive Congress (APC) – victorieux en février 2023 face au People’s Democratic Party (PDP) d’Atiku Abubakar et au Labour Party (LP) de Peter Obi[6] –, est conscient qu’il est particulièrement attendu sur les volets économiques et sécuritaires par l’immense majorité de la population, très déçue par les deux mandats de Muhammadu Buhari (2015-2023). Ces huit années ont été perçues comme une période de dégradation du niveau de vie d’une très large partie de la population[7], conséquence notamment d’une politique monétaire illisible et d’une insécurité s’étendant désormais sur la plupart des 36 États de la fédération.
[1]. Statistiques de l’indice de la pauvreté multidimensionnelle (IPM), mis en place par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et l’université d’Oxford, se basant sur dix critères. Les données ont été recueillies entre 2021 et 2022 auprès de 56 000 foyers nigérians par le National Bureau of Statistics, disponibles sur : https://nigerianstat.gov.ng. Ces statistiques montrent notamment que 65 % des personnes pauvres vivent dans le nord du pays et seulement 35 % dans le sud.
[2]. Statistical Review of World Energy, 2023.
[3]. À ce sujet, lire : « Stopping Nigeria’s Spiralling Farmer-Herder Violence », Rapport Afrique, n° 262, International Crisis Group, 20 juillet 2018 ; « Nigeria: Livestock Reform Is Key to Solving Farmer-herder Conflict », Rapport Afrique, n° 302, International Crisis Group, mai 2020.
[4]. « Nigeria Launches Its Most Extensive National Measure of Multidimensional Poverty », National Bureau of Statistics, 17 novembre 2022.
[5]. En 2016, l’Islamic State’s West Africa Province (ISWAP), reconnu par l’État islamique, a fait scission avec Boko Haram, fondé quant à lui par Mohamed Yusuf en 2002 dans l’État de Borno et dirigé de 2010 jusqu’à sa mort (en 2021) par Abubakar Shekau. Lire « Q/A, Fighting among Boko Haram Splinters Rages On », International Crisis Group, 30 mai 2023.
[6]. S. Husaini, « Nigeria’s 2023 Election: Democratic Development and Political Fragmentation », Notes de l’Ifri, Ifri, février 2023.
[7]. Durant la présidence de Muhummadu Buhari (2015-2023), en dehors de 2015 et ses 9 %, le taux d’inflation annuel a toujours été supérieur à 10 % : 15,7 % en 2016 ; 16,5 % en 2017 ; 12,1 % en 2018 ; 11,4 % en 2019 ; 13,25 % en 2020 ; 16,95 % en 2021 ; 18,85 % en 2022. D’autre part, la monnaie locale, le naira s’est fortement déprécié face au dollar : de 182 nairas pour 1 dollar en 2015 à 461 nairas pour 1 dollar en mai 2023 lors du départ de Buhari du pouvoir. Son successeur n’a pas fait beaucoup mieux puisqu’en février 2024, il fallait 1 497 nairas pour 1 dollar.
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