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La guerre en Ukraine affaiblit-elle ou renforce-t-elle la puissance russe ?

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Interviewée par Pierre Verluise et Emilie Bourgoin pour

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La guerre en Ukraine affaiblit-elle ou renforce-t-elle la puissance russe ? Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/Eurasie à l'Ifri, répond à cette question. 

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Tatiana Kastouéva-Jean
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Pierre Verluise/Diploweb.com
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La Russie a pris l’initiative d’une guerre contre l’Ukraine en février 2014, en annexant illégalement la Crimée. Le 24 février 2022, le dirigeant russe Vladimir Poutine relance la guerre contre l’Ukraine, avec semble-t-il l’espoir de faire rapidement tomber sa capitale et son président Volodimir Zelensky. A la surprise générale, l’Ukraine résiste. L’Ukraine est même devenue officiellement candidate à l’Union européenne. Pourtant le soutien de l’UE et plus largement des Occidentaux n’est pas sans limites et contraintes. Cette guerre dure et pèse sur les pays concernés mais aussi sur la situation internationale. Après les humiliations de la décennie 1990, Poutine aspirait à restaurer la puissance russe. La guerre en Ukraine affaiblit-elle ou renforce-t-elle la puissance russe ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la question de savoir si ce conflit affaiblit ou renforce la puissance russe reste controversée. Alors que de nombreux analystes considèrent que ce conflit affaiblit la puissance russe en raison des sanctions économiques sans précédent et de l’isolement diplomatique qu’elle subit, d’autres soutiennent que le régime de Vladimir Poutine a su faire preuve de résilience et conserver le soutien de la population et des élites. La guerre a affaibli l’économie russe et a polarisé la société, mais elle a aussi mis en lumière la capacité du Kremlin à s’adapter aux contraintes imposées par l’Occident.

L'illusion d'une paix durable

L’idée selon laquelle l’Ukraine pourrait céder des territoires pour obtenir la paix est parfois avancée, mais elle reste illusoire. Accepter de tels compromis légitimerait l’usage de la force et la violation du droit international, créant un précédent dangereux. Au-delà des enjeux territoriaux, Poutine vise un changement de régime à Kiev, afin d’instaurer un gouvernement soumis capable d’orienter la politique ukrainienne dans le sens des intérêts russes. Pour l’Union européenne, un accord de paix basé sur des concessions territoriales ne garantirait qu’une trêve temporaire et ne mettrait pas fin aux ambitions de la Russie. L’Ukraine, de son côté, ne peut envisager de signer un tel accord sans compromettre sa souveraineté et la sécurité de son État.

Résilience de l'économie russe

La Russie a réussi à faire face aux sanctions économiques grâce à une série de mesures stratégiques. Malgré son statut de pays le plus sanctionné de l’histoire moderne, l’économie russe a enregistré une croissance de 3,6 % l’année dernière, surpassant même certains pays occidentaux. La clé de cette résilience réside dans la réorientation de ses exportations énergétiques vers l’Asie, réduisant sa dépendance envers les marchés européens. En outre, le pays a utilisé des circuits de contournement, tels que la « flotte fantôme », pour maintenir ses revenus. Ces initiatives ont permis à la Russie de desserrer l’étau des sanctions et de continuer à financer des investissements publics importants, en particulier dans l’industrie de la défense, tout en soutenant la consommation par des augmentations salariales et des paiements sociaux.

Signes de fragilités économiques

Cette apparente résilience économique masque cependant des faiblesses profondes. Le rouble a perdu plus d’un tiers de sa valeur depuis le début de la guerre, et l’inflation avoisine les 9 %, entraînant une réduction du pouvoir d’achat de la population russe. Pour contrôler l’inflation, la Banque centrale de Russie a augmenté le taux directeur, rendant les crédits plus coûteux et limitant ainsi les investissements dans l’économie. Le Fonds de bien-être national, utilisé pour financer l’effort de guerre, s’amenuise rapidement et pourrait atteindre un niveau critique d’ici 2025. Ces signaux montrent que l’économie russe est loin d’être robuste et souffre de distorsions structurelles qui pourraient devenir plus problématiques à long terme.

Un soutien populaire nuancé

Malgré des sondages montrant un soutien élevé à Poutine et à la guerre, cette adhésion doit être relativisée. Une partie significative de la population en désaccord avec le conflit a choisi l’exil, faussant ainsi les résultats des enquêtes. La culture du sacrifice et de l’effort, profondément enracinée dans la mémoire collective depuis la Seconde Guerre mondiale, joue un rôle dans le soutien apparent. Les vétérans de la guerre en Ukraine visitent même les écoles pour transmettre un message patriotique, bien que cela soit critiqué par certains parents qui dénoncent une forme d’endoctrinement.

Quel avenir après Poutine ? 

La disparition de Poutine poserait des questions cruciales quant à l’avenir du pays. Les élites, jusqu’ici loyales au régime, le sont avant tout par opportunisme. Elles pourraient soutenir un nouveau dirigeant sans grande résistance, à condition que leur pouvoir et leurs privilèges soient préservés. Si la politique de contrôle de la mémoire historique se poursuit sous un nouveau leadership, le schéma actuel pourrait se maintenir. Toutefois, des changements politiques plus profonds pourraient émerger si des factions au sein des élites voient leur intérêt dans une réorientation.

Dans le passé, des réformes ont été initiées par les élites russes. Aujourd’hui, bien qu’elles soutiennent principalement le statu quo pour sécuriser leur position et s’enrichir sur les actifs laissés par les entreprises occidentales, elles pourraient devenir des vecteurs de changement après le départ de Poutine. Cependant, tant que l’appareil sécuritaire reste entre ses mains, une transformation significative demeure improbable.

La démographie, un talon d'Achille

La démographie constitue l’une des faiblesses structurelles de la Russie, et la guerre en Ukraine n’a fait qu’aggraver cette situation. Depuis des décennies, la Russie est confrontée à un déclin démographique marqué par une faible natalité et un vieillissement de la population. Cette tendance s’est accentuée avec l’exode des jeunes Russes fuyant la conscription et les conséquences économiques de la guerre. Des centaines de milliers de Russes qualifiés ont quitté le pays, privant l’économie d’une partie de sa main-d’œuvre la plus dynamique et innovante. L’impact de la guerre se fait également ressentir au niveau des énormes pertes humaines sur le champ de bataille.

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Tatiana KASTOUÉVA-JEAN

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Tatiana Kastouéva-Jean
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