Six mois avant les élections européennes, l'Allemagne et la France doivent forger le discours d'une Europe plus géopolitique
Bien que l’Union européenne soit considérée par les citoyens de l’UE comme l’entité politique responsable de domaines tels que l’environnement, la défense ou la politique migratoire, elle joue toujours un rôle secondaire au niveau national.
Cela devient particulièrement évident à travers le faible intérêt des médias nationaux. Cependant, un tel désintérêt est en contradiction avec la capacité d’action européenne, indispensable dans une époque secouée par des crises géopolitiques, où elle doit s’affirmer comme un acteur résilient à l’international.
Bien que la participation aux élections de l’UE ait augmenté ces dernières années, l’intérêt pour l’UE est relativement faible en France. Selon l’eurobaromètre de juin 2023, seulement 39% de la population française s’intéressent aux activités du Parlement européen, contre 56% en moyenne européenne et même 65% en Allemagne. La confiance dans l’UE n’est pas non plus meilleure, 55% des Français exprimant leur méfiance envers cette structure. Ainsi, la France se classe troisième après la Grèce et Chypre parmi les pays membres de l’UE les plus négatifs envers l’UE [eurobarometer 2023].
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La forte progression de l’extrême droite en Europe
Les victoires électorales des partis de l’extrême droite en Europe sont un phénomène croissant ces dernières années avec la percée de Geert Wilders aux Pays-Bas comme exemple le plus récent même si les résultats des élections en Pologne et en Espagne offrent des lueurs d’espoir. En Allemagne, l’AfD a dépassé le seuil symbolique des 20% ces derniers mois [le plaçant théoriquement dans les rangs des partis établis dit « du peuple »].
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Ce ne sont pas seulement les électeurs marginalisés sur le plan économique qui n’ont pas été socialisés de la même manière selon les standards démocratiques de l’Allemagne de l’Ouest qui sont enclins à soutenir l’AfD et à se détacher de l’UE.
Les craintes du déclassement ainsi que les conflits identitaires, qui s’enflamment autour de la question de la limite de la capacité d’accueil de davantage de réfugiés en Allemagne, représentent des luttes de répartition entre les « citoyens ordinaires » et « ceux d’en haut ». En période d’inflation et d’insécurité, accentué par un contexte géopolitique instable, ces craintes peuvent être particulièrement bien exploitées par les partis populistes, tant de l’extrême droite que de l’extrême gauche. Présenter l’UE non pas comme une chance, mais comme la cause de divers problèmes, est une formule simple qui trouve un écho de plus en plus vaste [Manow 2023].
Alliances politiques incertaines
Il conviendrait de suivre l’évolution de la position européenne de La France Insoumise, dont l’alliance électorale NUPES est actuellement en crise en raison de son positionnement sur le conflit entre l’Israël-et la Palestine. Cependant, la cheffe du parti, Manon Aubry, s’est récemment exprimée en faveur d’une alliance avec le groupe social-démocrate S&D, auquel appartiennent également le SPD allemand et le Parti Socialiste en France. Une campagne électorale commune semble toutefois peu probable.
La création opportune d’un nouveau parti à la gauche, voire l’extrême gauche de l’échiquier politique par Sahra Wagenknecht, juste avant le début de la campagne des élections européennes, témoigne de l’importance de ces élections pour le paysage politique national, bien qu’il reste à déterminer les positions exactes du parti sur l’Europe.
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Ces dynamiques en cours entre les forces politiques situées aux extrêmes du spectre, tant à gauche qu’à droite, mettent en lumière des signaux alarmants quant à la santé de la démocratie européenne. Elles révèlent un paysage politique de plus en plus polarisé et fragmenté, ce qui ne fait qu’entraver davantage la capacité de l’Union Européenne à agir efficacement.
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L’aspiration de transformer l’UE en un acteur géopolitique, propulsée par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors de son entrée en fonction, est l’impératif du moment. Face à de multiples conflits aux portes de l’UE, sa capacité d’action gagne en importance. Cependant, dans ce domaine hautement politique qui touche directement à la souveraineté des États-nations, le processus d’européanisation tarde à se concrétiser malgré d’importants progrès ces dernières années, accélérés par les crises successives.
Dans ce contexte, le débat sur la réforme institutionnelle de l’UE en tant qu’acteur géopolitique est essentiel et a été abordé au plus haut niveau politique par la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock lors de la Conférence sur l’Europe à Berlin début novembre 2023. Même si l’agenda établi par Ursula von der Leyen en 2019 témoignait d’une vision particulièrement avant-gardiste, peut-on véritablement considérer qu’il incombe aux présidents de la Commission européenne de sculpter activement une politique étrangère européenne ? Cette question soulève le débat sur l’étendue des responsabilités et des pouvoirs attribués à la présidence de la Commission, notamment en matière de diplomatie et de relations internationales. Elle interroge sur la balance entre leadership visionnaire et respect des prérogatives institutionnelles dans l’élaboration de la politique étrangère de l’Union. Ne faudrait-il pas plutôt valoriser le rôle du le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Pour faire face à la situation internationale de plus en plus tendue, l’action extérieure de l’UE devrait être conçue de manière plus indépendante de la Commission. Cette dernière devrait se limiter à définir l’agenda législatif européen. Cela concerne tous les services diplomatiques impliqués, qui devraient être soumis à un service diplomatique commun, initialement sous l’égide du Conseil européen. Le Haut représentant gagnerait ainsi en visibilité puisqu’ayant un rôle revalorisé. Cependant, ceci n’est qu’un des nombreux débats sur les réformes institutionnelles auxquels l’UE doit faire face dans les mois à venir.
Quelle feuille de route pour les réformes institutionnelles ?
Les suggestions pour réformer les institutions européennes ne manquent pas : le Comité des affaires constitutionnelles du Parlement européen, un groupe d’experts franco-allemands ainsi qu’un rassemblement de personnalités européennes éminentes ont présenté dans un « manifeste » leurs recommandations pour modifier les traités de l’UE. Après que le groupe d’experts ai présenté ses propositions à Bruxelles au Conseil des affaires générales, les chefs d’Etat et de gouvernement devront s’accorder sur une ligne directrice commune lors du Conseil européen qui aura lieu le 14 et le 15 décembre.
Dans une optique d’harmonisation des positions, la conférence sur l’Europe, organisée par le ministère allemand des Affaires étrangères le 2 novembre dernier, visait notamment à éviter l’impression d’un entre-soi franco-allemand du débat actuel. Preuve en est la participation de 17 ministres des affaires étrangères d’autres États membres de l’UE et des Balkans occidentaux. Néanmoins, il incombera principalement à l’Allemagne et à la France de forger de manière décisive ce débat.
Dans ce contexte, un rapport d’un groupe de travail au sein de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) est en cours d’élaboration. Ce rapport, ayant un caractère contraignant, devrait servir de guide pour les deux gouvernements. Outre les questions concrètes (élargissement des décisions à la majorité au Conseil, principe de rotation de la Commission, valorisation du principe de l’État de droit, réforme de la politique étrangère et de sécurité, listes transnationales, pour ne citer que quelques sujets), un alignement franco-allemand devrait surtout viser à établir une offre aux pays candidats à l’élargissement des Balkans occidentaux, de la Moldavie et de l’Ukraine. Pour ce faire, s’accorder sur une approche d’intégration plus graduelle est la prochaine étape à suivre.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la position française par rapport à un futur élargissement s’est nettement rapprochée de la position allemande.
Après l’opposition de la France en 2019 quant à l’ouverture des négociations d’adhésion pour l’Albanie et la Macédoine du Nord, l’élargissement de l’Union Européenne est désormais perçu comme une nécessité géopolitique au sein de la classe politique française.
Avec sa proposition de la Communauté Politique Européenne, Emmanuel Macron a agi de façon disruptive en redéfinissant le débat sur l’idée d’une Europe à géométrie variable. En revanche, la position allemande reste très attachée au concept d’une Europe fédérale et donc d’une union politique sans différentiation en son sein.
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Concrètement, cela suppose de définir des garanties de sécurité, donner un accès au moins partiel au marché intérieur ou bien octroyer le statut d’observateur au sein du Conseil pour un pays candidat. A condition qu’il s’aligne sur la politique étrangère comme l’a récemment proposé le ministre des Affaires étrangères de la Macédoine du Nord, Bujar Osmani. Outre l’offre politique à apporter aux pays candidats, frustrés par la longueur du processus, une approche graduelle de l’intégration permettrait également d’assurer l’acceptabilité d’un élargissement pour les citoyens des pays membres de l’Union européenne.
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En tout cas, il est impératif de définir une feuille de route commune aux États membres de l’Union européenne. En effet, les idées sur ce qui est compris par « graduel » en termes d’octroi de droits et de dispositifs proposés varient considérablement [Macek 2023]. L’UE ne peut tout simplement pas se permettre de se perdre dans des débats institutionnels la concernant, face à une situation géopolitique semée de conflits et d’ingérence étrangère [Krpata 2023]. Cependant, les élections européennes entraîneront inévitablement un réajustement du pouvoir politique, avec le risque d’une capacité de réponse limitée aux crises et conflits mondiaux, tandis que l’UE sera principalement accaparée par ses propres affaires en interne.
Quel nouvel équilibre des pouvoirs après les élections européennes ?
Le processus de sélection pour le poste à la tête de l’Union européenne, connu sous le principe des Spitzenkandidaten, est déterminant pour la nouvelle orientation de la politique européenne suite aux élections en juin 2024 [Crum 2022]. Les partis européens doivent désigner leurs candidats pour ces postes avant les élections, les discussions internes sont déjà bien avancées mais loin d’être terminées.
Lors des dernières élections de 2019, ce principe a été négligé, en grande partie sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, qui ne voyait pas en Manfred Weber un candidat suffisamment compétent. Président Macron souhaitait assurer le soutien des positions françaises à travers Ursula von der Leyen, pour la présidence de la Commission européenne.
Il reste à voir si von der Leyen envisagera de se représenter, bien que sa réputation au sein de la Commission soit controversée en raison de son style de leadership perçu comme trop vertical. Sa présidence a été marquée par des succès indéniables, comme son engagement pour les relations franco-allemandes ou son ambition de transformer l’UE en un acteur géopolitique. On peut notamment lui attribuer un rôle clé dans la mise en œuvre des nombreux paquets de sanctions contre la Russie à la suite de sa guerre menée en Ukraine.
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Jeanette Süß est chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle travaille en particulier sur l’Union européenne et les relations franco-allemandes.
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