Gérard Hervouet, professeur au département de science politique de l’Université de Laval, à Québec, livre ici une réflexion sur les conséquences en Asie orientale de 'la guerre contre le terrorisme' menée par les Etats-Unis.
Les Etats-Unis ont identifié l’Asie orientale, et plus particulièrement l’Asie du Sud-Est, comme le 'second front' de la lutte contre le terrorisme. Ceci a contraint les pays de la région à accepter un réengagement très important des Etats-Unis dans la zone, l’obligation de choisir leur camp et de redéfinir leur politique étrangère en conséquence. Pour nombre d’observateurs, ce réinvestissement stratégique dans la région ne date pas du 11 septembre, mais s’inscrit au contraire dans une volonté de se réinsérer dans un espace négligé depuis la guerre du Vietnam. Paradoxalement, les Etats-Unis n’ont pas encore défini clairement leurs intérêts et objectifs en Asie orientale. C’est pourtant là que se situent pour eux les plus grands dangers (rivalité avec la Chine, prolifération nucléaire...). Pour cette raison, l’auteur souligne que, 'dans la recherche d’un modèle pour la sécurité mondiale du XXIe siècle, l’Asie de l’Est s’impose comme laboratoire incontournable'.
Le retour en force des Etats-Unis intervient dans un contexte de grande incertitude. Il déstabilise des sociétés à peine sorties de la crise économique et avides de reconquérir leur autonomie politique. La contrainte exercée par Washington pour que leurs priorités deviennent également celles de ces Etats les indisposent, faisant d’eux des suiveurs, et suscite une aggravation de l’antiaméricanisme. Ils ont le sentiment que la région est devenue un nouveau pré carré des Etats-Unis, ce qui n’est pas sans froisser des susceptibilités. Et d’abord celle de la Chine, dont la méfiance a été ravivée depuis l’arrivée de George W. Bush au pouvoir, et qui a été forcée d’accepter la présence américaine à proximité de ses marges de l’ouest. L’importance de leurs relations commerciales n’empêche pas que chacun des deux pays considère l’autre comme une menace.
L'actuelle démonstration de force des Etats-Unis n’empêche pas l’auteur de souligner la fragilité de leur position. Leur unilatéralisme ne peut s’inscrire dans la durée du fait de l’impossibilité pour eux de conserver la maîtrise d’un territoire englobant l’Asie orientale, l’Asie du Sud et l’Asie centrale. Les Etats-Unis exhortent la création d’un concert des nations face à la menace terroriste, mais leur unilatéralisme en nie pour l’instant les fondements même. De même, les Etats-Unis ne pourront pas mener seuls la guerre contre le terrorisme et répondre à tous leurs engagements. Pour cette raison, entre une politique préventive fondée sur une diplomatie agressive et l’émergence d’une multipolarité régionale, Gérard Hervouet semble penser que la deuxième option l’emportera. D’ailleurs, certains mouvements en ce sens voient déjà le jour. Les Etats-Unis appuient les modes pacifiques de règlement des différends, cherchent à développer les concertations en matière de défense et souhaiteraient l’élaboration d’une institution visant à garantir la sécurité régionale.
Le multilatéralisme poussé au bout de sa logique pourrait aller jusqu’à parrainer des structures sous-régionales qui n’incluraient pas les Etats-Unis. Ceux-ci auraient tout à gagner à ce que l’Asie soit plus autonome politiquement. Cela répondrait aussi aux souhaits des pays de la zone, qui ont besoin des Etats-Unis mais veulent en être moins dépendants.
Corps analyses
Comment citer cette étude ?
L'Asie menacée, de L'Ifri
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