L’essor de l’éolien offshore en mer du Nord : un enjeu stratégique pour l’Europe
La mer du Nord a offert un cadre propice à la conception des premières éoliennes offshore du monde. Sa partie méridionale jouit en effet d’un excellent régime des vents et d’une faible profondeur des eaux. Les politiques publiques ont progressivement encouragé le développement de cette filière dans les cinq pays les mieux situés : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Fin 2017, ces pays cumulaient 15,5 gigawatts (GW) de capacités installées, soit 82 % de la puissance éolienne offshore mondiale. En dehors de l’Europe, seule la Chine détenait un parc significatif à cette date, avec 2,8 GW en service (15 % de la capacité mondiale).
Les acteurs industriels européens ont su préserver ce marché pour leurs produits et services, au prix parfois d’une forte concentration, deux constructeurs ayant par exemple fourni 84 % des turbines installées. Le savoir-faire acquis place les opérateurs européens en bonne position pour pénétrer le marché mondial de l’offshore, dont le potentiel paraît immense. Ils ont déjà enregistré quelques succès, tout particulièrement à Taïwan. La compétition ne fait cependant que débuter et de nombreux groupes extra-européens, notamment chinois, ont pris des participations dans les projets de mer du Nord, acquérant à leur tour les compétences nécessaires pour essaimer vers d’autres rivages. La faible profondeur du plateau continental, spécifique à la mer du Nord, a amené les développeurs de projets à privilégier les installations posées sur divers types de fondations. Or celles-ci ne sont guère adaptées à de nombreuses zones océaniques, beaucoup plus abruptes au voisinage des côtes ; la technologie de l’éolien flottant y répondrait mieux. Les régions européennes confrontées à cette situation s’efforcent de la mettre au point (en Écosse, France, Norvège, Portugal) avant leurs concurrents éventuels (Chine, États-Unis, Japon…).
Autour de la mer du Nord, les politiques de soutien à l’éolien offshore ont évolué, en partie sous l’influence de la Commission européenne (CE), vers des procédures concurrentielles, par le biais d’appels d’offres. Jointe à la maîtrise technologique grandissante, cette démarche a conduit à une remarquable baisse des coûts annoncés, pour les projets susceptibles d’être achevés après 2018 dans les pays déjà équipés. La plupart de ces pays ont accordé une rémunération autour de 150 euros par mégawattheure (€/MWh) pour leurs premières unités, de 2009 à 2017 (la France se situera encore à ce niveau pour ses premières réalisations, vers 2022) ; les lauréats des derniers appels d’offres misent désormais sur des prix compris entre 50 et 100 €/MWh pour 2018-2025. Quelques projets ont même obtenu des attributions pour une rémunération au seul prix du marché, sans aide publique.
La compétitivité accrue de l’éolien offshore ouvre des perspectives de développement considérables en mer du Nord, mais celles-ci butent sur les difficultés et les coûts constatés pour renforcer les réseaux de transport électriques, indispensables à l’évacuation du courant produit. Les besoins en interconnexions entre les pays concernés, dont la capacité devrait quasiment doubler d’ici 2040, illustrent la complexité du dossier. Leur coût total pourrait être réduit par une bonne coordination entre États, mais aucun organe de concertation ne dispose des leviers appropriés, chaque gouvernement définissant ses objectifs et modalités de soutien de manière indépendante. En l’absence d’une bonne coordination, on peut craindre que la ressource hydroélectrique de la Norvège, par exemple, très complémentaire à l’énergie éolienne, ne soit pas intégrée de manière optimale dans le système électrique. L’incertitude est accrue par la décision du Royaume-Uni, pays occupant une place majeure en mer du Nord, de quitter l’Union européenne (UE), rendant imprévisible sa participation aux instances communes.
S’il convient de saluer la success story de l’éolien offshore en mer du Nord, il faut aussi élargir l’angle d’approche et se préoccuper de ses à-côtés. La réussite locale comporte certes des enseignements pour les États désireux de développer la filière éolienne en mer, qui s’inspireront utilement des procédures mises en œuvre ici. Mais la région possède des atouts non reproductibles : outre la qualité des vents et des fonds marins, elle bénéficie de nombreux ports et entreprises qui étaient déjà tournés vers les activités de l’offshore, en raison de l’histoire gazière et pétrolière des lieux, un avantage que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’UE. Tout en préservant la dynamique de l’offshore en mer du Nord, il appartient donc aux institutions communautaires de l’équilibrer par une attention aux régions moins favorisées. Il s’agit ainsi de soutenir davantage les efforts sur l’éolien flottant pour les zones océaniques difficiles et d’accorder d’autres formes d’aides aux pays enclavés, sans façade maritime. Des prévisions optimistes indiquent que la mer du Nord pourrait fournir jusqu’à 50 % de toute l’électricité consommée dans l’UE ; il semble peu probable que l’on y parvienne sans associer l’ensemble des États membres à l’exploitation de ce gisement.
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