L'agenda diplomatique du nouveau président
L'actuelle campagne électorale en France a créé une situation inédite faite d’un mélange d’imprévisibilité et d’outrance sans vraiment tenir compte des ruptures intervenues en moins d’un an : Brexit, tentative de coup d’État en Turquie, élection de Donald Trump, reprise d’Alep par Bachar Al-Assad, déclarations de Xi Jinping sur la « mondialisation économique » ou comportement de la Corée du Nord. Le débat, ou plutôt son absence, est visible sous deux angles.
En premier lieu, l’absence de discussion sérieuse sur le cours à donner à la politique étrangère révèle la difficulté d’accepter et d’expliquer la reconfiguration actuelle de la « mondialisation », qui est principalement due à une nouvelle clé de répartition de la puissance et à l’accélération de la transition numérique à l’échelle globale. À moins de considérer la France comme un isolat qui pourrait se soustraire au monde, et ce faisant rompre avec son histoire séculaire, il est frappant de constater l’inexistence d’une pédagogie du fonctionnement du système international.
En second lieu, l’absence de réponses sérieuses aux attentes, demandes et défis de nos alliés, partenaires et ennemis révèle un repli politique, ainsi qu’une incapacité à produire un discours convaincant par manque de crédibilité. S’il est certain qu’une élection se gagne sur des thématiques intérieures, il n’en demeure pas moins impossible d’envisager l’avenir du pays sans examen attentif de ses engagements internationaux.
En France, la Ve République a créé un cadre institutionnel donnant au président de la République le rôle central pour l’élaboration et la conduite de la politique étrangère. Fondements de sa légitimité, l’élection au suffrage universel direct, le feu nucléaire et le pouvoir de nomination au sein du « domaine réservé » lui confèrent une rare liberté d’action par rapport aux autres régimes démocratiques. C’est un incontestable avantage pour s’inscrire dans la durée comme pour faire face aux crises. Mais c’est aussi un redoutable inconvénient quand le président élu ne dispose ni de vision construite ni de préparation suffisante aux dossiers internationaux. La politique étrangère est le domaine où inconstance, idéologie et ignorance se paient comptant.
Comptant 15 textes volontairement courts, cette étude collective s’inscrit dans un dispositif mis en place par l’Ifri pour contribuer au débat présidentiel.
Elle propose 15 infographies thématiques qui comparent les principaux axes de politique étrangère des candidats à la présidentielle de la France.
L’objectif de cette étude n’est pas d’analyser les programmes des candidats mais d’identifier les principaux dossiers de politique étrangère et de mettre en évidence les principales options auxquelles sera confronté, au matin du 8 mai 2017, le huitième président de la Ve République. Quel qu’il soit.
Cette étude est également disponible en anglais : « Foreign Policy Challenges for the Next French President ».
SOMMAIRE
Introduction, Thomas Gomart
Une politique étrangère entravée par la dette publique, Michel Pébereau et Frédéric Monlouis-Félicité
Alors que nos concitoyens s’apprêtent à voter, la situation alarmante de nos finances publiques est presque absente du débat présidentiel. Il est pourtant urgent de démontrer notre capacité à équilibrer durablement les comptes publics. [...] Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale et vis-à-vis de ses partenaires européens, mais aussi de la confiance des investisseurs, indispensable pour refinancer la dette. Il faut résorber nos déficits. Cela suppose des réformes structurelles ainsi que la révision et la baisse de nos dépenses publiques, au service de la croissance et de la cohésion sociale.
Politique commerciale : au-delà des postures, comment défendre les intérêts de la France, Sébastien Jean
La politique commerciale tient une place paradoxale dans cette campagne présidentielle, les déclarations les plus tranchées et une part significative du débat se focalisant sur l’opportunité du retour à un protectionnisme français. Or, faut-il vraiment le rappeler, la politique commerciale est une compétence communautaire exclusive depuis le 1er janvier 1970, en cohérence avec le principe de libre circulation des biens au sein de l’Union européenne (UE). Un protectionnisme français ne serait donc concrètement possible que si la France sortait de l’UE. Ce serait un autre monde, qui supposerait de défaire la construction européenne, avec des conséquences immenses à tous égards et porteuses de lourdes menaces.
Energie et climat : les enjeux de la transition, Marie-Claire Aoun
L’engagement en faveur du climat a été une priorité du président François Hollande. L’accord historique adopté par 195 pays à Paris en décembre 2015 pour contenir la trajectoire du réchauffement climatique en dessous de deux degrés est un succès indéniable pour la diplomatie française. Pour pouvoir défendre une action globale de lutte contre le changement climatique, la France a voulu donner l’exemple sur son territoire en adoptant une loi ambitieuse de transition énergétique en juillet 2015. [...] Malgré cet édifice institutionnel complet, Paris doit faire face aujourd’hui à de nombreux défis de mise en œuvre tant l’incertitude est grande sur le coût et le financement de cette transition.
Terrorisme : les cinq défis du nouveau président, Marc Hecker
La France fait partie des pays occidentaux les plus ciblés par la mouvance djihadiste. [...] Daech ne cache pas sa volonté de faire voler en éclats la cohésion nationale en exacerbant les tensions entre les musulmans et le reste de la population. Au regard de cette stratégie du pire, la période électorale est particulièrement sensible : un attentat risquerait d’influer sur le résultat du scrutin et de nous faire tomber dans le piège d’une escalade non maîtrisée. Au-delà de l’élection de mai 2017, le prochain président devra faire face à cinq menaces principales.
Défense : le moment de vérité, Corentin Brustlein
La posture de sécurité et de défense de la France est soumise depuis plusieurs années à une pression extrême. Celle-ci résulte pour partie de facteurs externes, reflets des transformations de l’environnement stratégique survenues depuis 2011, et pour partie de facteurs internes. Depuis deux décennies, l’appareil de défense français a traversé plusieurs phases marquées par des tensions croissantes entre des besoins grandissants et des moyens calibrés à un niveau oscillant entre juste suffisance et juste insuffisance. [...] Le prochain quinquennat sera le moment de vérité de la défense française.
La maîtrise du numérique : condition de l'autonomie stratégique, Julien Nocetti
L’autonomie stratégique des États passe plus que jamais par leur degré de maîtrise du numérique. [...] Paris devra se saisir de la « quatrième révolution technologique » en évitant de rester captive des effets d’annonce de la « French Tech ». L’environnement international sera en effet davantage bouleversé par la convergence prochaine de l’économie des données, de la robotique, de la connectivité des objets et de l’intelligence artificielle. L’enjeu principal réside alors dans les conditions de développement d’un écosystème indispensable à la modernisation économique du pays, et donc à son positionnement international.
La reformulation du défi migratoire, Christophe Bertossi et Matthieu Tardis
Depuis l’été 2015, le défi migratoire se pose dans le cadre d’une crise qui a mis sous tension la cohésion de l’Union européenne (UE) en raison d’une absence de consensus et de solidarité entre États membres concernant l’accueil des populations arrivées par la Grèce et l’Italie. [...] Depuis septembre 2015, l’UE s’attelle à répondre à l’urgence humanitaire sur son territoire et à poser les bases d’un nouveau régime d’asile européen commun. [...] En raison de son histoire et des valeurs dont elle se réclame, la France dispose d’une position privilégiée pour conduire cet agenda.
Les relations franco-américaines au coeur des relations transatlantiques, Laurence Nardon
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis inaugure une période d’incertitude dans les relations franco-américaines. [...] Paris s’est toujours présenté comme un allié non aligné de Washington. François Hollande n’a pas dérogé à cette règle en critiquant l’attitude de « repli sur soi » de la nouvelle administration. Cette position va-t-elle évoluer dans les cinq prochaines années ? Paris aura-t-il une carte à jouer face à l’attitude négative de la nouvelle administration vis-à-vis de l’Europe ?
Les relations franco-russes : privilégier le bilatéral ou les alliances ?, Tatiana Kastouéva-Jean
La question russe est redevenue centrale depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Elle s’inscrit désormais dans le débat électoral français, après avoir parasité les élections américaines. Le prochain président héritera de relations franco-russes passablement dégradées par les sanctions liées à l’annexion de la Crimée et à la déstabilisation de l’Est ukrainien, l’annulation de la vente des Mistral ou celle de la visite de Vladimir Poutine à Paris en octobre 2016, et les oppositions franco-russes au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies sur le dossier syrien.
La France au Moyen-Orient : l'engagement par obligation, Dorothée Schmid
Le Moyen-Orient figure par obligation dans les programmes : l’engagement militaire français en Syrie et en Irak, la menace terroriste, et la montée des tensions en France sur fond de communautarisation – ethnique et religieuse – réelle ou fantasmée, préoccupent l’opinion. François Hollande a dû gérer sans réelle préparation ces trois défis pressants, et les électeurs attendent du prochain président qu’il y donne une réponse cohérente.
Asie : poursuivre un engagement diversifié, Alice Ekman, Françoise Nicolas, Céline Pajon et John Seaman
Pour la diplomatie française, l’Asie est à la fois un partenaire économique de premier plan, une région clé pour la lutte contre le changement climatique, une mosaïque de systèmes politiques où les valeurs chères à la France sont plus ou moins mises à mal, et une zone où les enjeux de sécurité revêtent une importance systémique. La définition d’une politique asiatique est, dans ces conditions, complexe. En outre, la nécessaire attention accordée à la montée en puissance chinoise et à son activisme grandissant ne doit pas conduire à une approche exclusivement sino-centrée : la France doit poursuivre un engagement asiatique diversifié.
La politique africaine de la France à l'épreuve de la diversité du continent, Alain Antil
La présence sur le continent africain est un élément clé de la puissance de la France, ou tout du moins de son influence. Elle a toujours été une priorité de son action extérieure. Pour le demeurer, elle devra s’adapter aux mutations profondes du continent, et à la diversité des dynamiques qui le traversent.
Quatre pistes pour reprendre l'initiative sur l'Union européenne, Vivien Pertusot
2017 est une année cruciale pour l’Union européenne (UE) avec les élections aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et peut-être en Italie. Rupture historique, les négociations sur le Brexit ont officiellement débuté. Tiraillée par de fortes contradictions internes, l’UE vient de célébrer le 60e anniversaire du traité de Rome, ce qui a engendré un fort activisme diplomatique pour tenter de renforcer sa cohésion, sans réel résultat concret. Le prochain président de la République prendra ses fonctions dans un contexte de crise, marqué en outre par des doutes profonds de la part de ses partenaires sur le sérieux de l’engagement européen de la France.
France-Allemagne : Quo Vadis ?, Barbara Kunz et Hans Stark
Les élections présidentielles françaises seront suivies en septembre des élections allemandes. Le résultat des premières est décisif pour l’orientation de la France sur le plan européen, et par conséquent la nature des relations franco-allemandes, qui présentent des risques réels de fracture. Sujet d’unanimité au sein de la classe politique française pendant plusieurs décennies, le rapport à l’Allemagne est désormais à l’origine de dissensions profondes.
Multilatéralisme et gouvernance mondiale : restructuration accélérée, Alice Ekman
Au cours des dernières années, la France a investi dans le multilatéralisme économique, climatique ou de sécurité. L’un des défis auquel elle est aujourd’hui confrontée est la restructuration rapide de la gouvernance mondiale sous l’impulsion de la Chine. [...] Il est dans l’intérêt de la France et de l’Europe de consolider leur investissement dans le multilatéralisme et d’élaborer une stratégie de gouvernance mondiale qui ne soit pas uniquement défensive ou formulée en réaction à la stratégie chinoise.
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Un Moyen-Orient entre guerres et recomposition
Dans un Moyen-Orient chaotique, la date du 7 octobre 2023 marque un tournant majeur qui peut conduire à un embrasement de toute la zone. La guerre à Gaza intervient dans une situation déjà en pleine évolution caractérisée par l’affirmation de l’autonomie stratégique de plusieurs puissances régionales de même que par un basculement géopolitique au profit de la Russie et de la Chine.
Iran et Israël : meilleurs ennemis
L’attaque de missiles iraniens sur le sol israélien le 13 avril 2024, suivie par une riposte d’Israël visant une base militaire proche d’un des principaux sites nucléaires iraniens, fut le point d’orgue d’une guerre multiforme qui oppose les deux pays depuis plusieurs décennies. Alors qu’Israël entretenait les meilleures relations, diplomatiques et même militaires, avec l’Iran du Shah Mohammad Reza Pahlavi, il est apparu très vite qu’il n’en serait pas de même avec la République islamique.
La France a-t-elle encore une politique arabe ?
Dès la fin de la guerre d’Algérie, la France a systématiquement repris contact avec les pays arabes qui avaient rompu les relations diplomatiques au moment de la malheureuse expédition de Suez de 1956. Ainsi se sont renouées ou nouées des relations actives et souvent confiantes, y compris avec des pays où elle était absente, comme les émirats du Golfe. Le président Chirac a voulu formaliser et conforter cette orientation lorsque le 6 mars 1996, à l’université du Caire, il a évoqué la « politique arabe et méditerranéenne » de la France. Par-delà quelques principes communs, il s’agissait naturellement d’une politique à géométrie variable selon les pays, avec la volonté d’être présent dans cet ensemble de pays qui sont nos voisins proches, situés dans une zone stratégique et dont d’importantes communautés vivent en France. Très tôt attachée à contribuer à la paix entre Israël et les pays arabes, la France prône une politique équilibrée entre le maintien de la sécurité d’Israël et le soutien du processus de paix israélo-palestinien qui donnerait le droit à l’autodétermination des Palestiniens et à la création d’un État. À cet égard, l’année 2007 représente une rupture due à l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy qui sur ce plan, comme sur d’autres, a pris le contre-pied de son prédécesseur. Depuis lors, la politique de la France dans cette région n’a plus la même priorité, réagit plus qu’elle n’agit et semble flotter entre une volonté de maintenir ses liens avec les pays arabes et une certaine complaisance à l’égard d’Israël.