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L’énergie solaire en Afrique subsaharienne après le COVID-19 : guérir un secteur malade

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L’électrification de l’Afrique subsaharienne est l’un des grands défis du XXIe siècle. Elle est indispensable pour parvenir à créer chaque année les 20 millions d’emplois nécessaires pour absorber l’accroissement démographique de la région, qui devrait compter 2,1 milliards d’habitants en 2050, contre 1,1 milliard aujourd’hui.

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Le manque d’accès à des services énergétiques modernes, notamment électriques, est un frein au développement économique et donc à la création d’emplois. En 2018, les capacités installées dans toute l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) s’élevaient à environ 80 gigawatts (GW), soit près de trois fois moins que la France pour 20 fois plus d’habitants. Alors que plus de 600 millions de subsahariens n’ont toujours pas accès à l’électricité, les besoins énergétiques du continent s’accroissent chaque année. Face au réchauffement climatique, la façon dont l’Afrique répondra à ses besoins énergétiques est donc « cruciale pour l’avenir […] du continent et du monde »[1].

L’Afrique subsaharienne est dotée d’un potentiel de production d’électricité solaire colossal, qui devrait permettre à la région de satisfaire ses besoins énergétiques de façon durable. Cependant, malgré la forte baisse des coûts du photovoltaïque (PV), la multiplication des initiatives d’institutions financières de développement (DFIs) et l’appétence du secteur privé pour le développement de projets solaires, l’utilisation d’énergie solaire dans la région est encore très en deçà de son potentiel. En 2017, 4,6 térawattheures (TWh) de PV ont été produits sur le continent[2] alors que son potentiel théorique est estimé à plus de 60 millions de TWh par an[3]. Sur 80 GW installés, le PV ne représente que 1,5 GW, soit moins de 2 % du mix électrique[4]. Force est de constater que le défi du solaire en Afrique subsaharienne n’est ni technologique, ni technique.

 

La nécessité de revenus stables face à un secteur déficitaire et désorganisé

Contrairement aux centrales thermiques, la quasi-totalité du coût d’une centrale solaire est concentrée dans les dépenses d’investissements (CAPEX). L'investissement solaire nécessite donc des certitudes de paiement sur toute la durée de vie de la centrale, pour pouvoir être financé dans des conditions favorables, soit pendant plus de 25 ans. Un tel horizon temporel implique beaucoup d'incertitudes. Les risques perçus par les financeurs sont importants car les sociétés de service d’électricité en Afrique subsaharienne sont dans des situations financières difficiles.

Parmi une sélection de 39 pays subsahariens effectuée par la Banque mondiale, 12 pays avaient des secteurs électriques qui ne recouvraient pas la moitié de leurs coûts totaux et 18 ne recouvraient même pas leurs coûts d’exploitation. Les réseaux de transport et de distribution sont vétustes et en proie au manque d’investissements de maintenance : beaucoup de réseaux subsahariens font l’objet de pertes en lignes importantes. Les pertes non techniques comme le vol d’électricité via des raccordements sauvages posent également problème. À cela s’ajoutent les factures impayées par les consommateurs : plus de 10 pays subsahariens ont des impayés supérieurs à 20 % de l’électricité vendue. Enfin, les entreprises publiques de service d’électricité sont souvent en sureffectif[5]. Seuls trois pays subsahariens ont des tarifs qui couvrent les coûts de production et d’acheminement.

Ainsi, un cercle vicieux se met progressivement en place : la mauvaise situation financière de ces entreprises fait baisser les investissements de maintenance. La qualité des services se détériore, la fréquence et la durée des coupures de courant augmentent. Cela a un effet négatif sur les économies des pays représentant un coût allant 1 à 5 % du produit intérieur brut (PIB) national[6]. De plus en plus d’usagers refusent de payer un service devenu médiocre, ce qui diminue davantage les revenus des compagnies électriques.

La planification sectorielle fait aussi défaut. Les gouvernements se contentent souvent de mettre en place des plans d’orientation sans feuille de route détaillée. Les remaniements ministériels sont particulièrement fréquents dans certains pays et ralentissent le développement du secteur. Enfin le développement non coordonné du cadre juridique et réglementaire peut amener à des chevauchements et à des contradictions entre les règlementations relatives aux partenariats publics privés (PPP) et les règlementations sectorielles. Il en va de même pour les réglementations spécifiques sur l’importation de matériels pour les énergies renouvelables. Les régimes fiscaux simplifiés mis en place pour inciter les investissements dans les énergies renouvelables ne sont, en outre, pas toujours alignés avec le code fiscal ou le code des investissements.

Le déploiement de l’énergie solaire centralisée dans la région est aussi limité par la capacité d’absorption des réseaux. Les infrastructures de transmission sont très peu développées. Si l’on exclut l’Afrique du Sud, l’Afrique subsaharienne a en moyenne 229 km de lignes de transmission d’électricité par million d’habitants (mh), contre environ 800 km/mh en France[7], pour une densité de population deux fois et demie supérieure en France.

 

L’amélioration de l’efficacité opérationnelle du secteur : un enjeu clé

L’amélioration de la viabilité financière des entreprises nationales de services d’électricité est une condition sine qua non pour permettre la multiplication de projets solaires par des producteurs d’électricité indépendants (IPP).

Des réformes ont déjà été tentées à partir des années 1990 pour séparer et libéraliser les différentes activités d’entreprises étatiques verticalement intégrées. Dans de nombreux pays, le sous-secteur de la production a été ouvert en premier, afin d’introduire de la compétition dans les marchés électriques tout en répondant aux manques chroniques de capacités du secteur. Cependant, la signature de contrats d’achat d’électricité (PPA) entre les entreprises publiques et les IPP ne nécessitait pas nécessairement la poursuite de ces réformes. Celles-ci ont la plupart du temps été arrêtées et les IPP se sont retrouvés à produire à la marge, dans des marchés à faible niveau de compétition où les entreprises étatiques maintenaient un fort contrôle[8]. La priorité aurait dû être de s’assurer que le socle financier du système, c’est-à-dire le sous-secteur de la distribution, était viable : qualité satisfaisante du service donné aux consommateurs, infrastructures bien entretenues et revenus couvrant les coûts.

Forts de ces enseignements, les gouvernements devraient aujourd’hui privilégier l'amélioration de l'efficacité opérationnelle du secteur. Il s’agit de réduire les pertes techniques et non techniques, d’améliorer la collecte des revenus, de limiter le sureffectif et d’augmenter les tarifs. On peut diviser ces mesures en deux groupes : celles qui sont d’ordre technique et celles qui ont une dimension politique.

Si des progrès ont été réalisés pour réduire les pertes en lignes, celles-ci restent encore importantes dans certains pays. Pour les réduire, les petites centrales solaires (5-20 mégawatts – MW) pourraient avoir un rôle à jouer : elles peuvent être déployées à différents endroits du réseau national tout en étant plus proches des villes, diminuant ainsi la distance à parcourir dans le réseau et donc limitant en partie les pertes en lignes. Ce marché commence à se développer dans la région. Pour réduire les impayés, les compteurs prépayés et intelligents peuvent être installés : ils facilitent la collecte tout en permettant aux consommateurs de réaliser des économies d’énergie. Enfin, pour améliorer la fiabilité du réseau, il pourrait être intéressant d’introduire des services auxiliaires. Des modèles de contrats de service pour déployer des batteries d’appui pourraient ainsi être mis en place, mais presque aucun pays n’a encore mis en place de réglementation permettant de tirer un revenu de ces services.

Les mesures à risque politique sont plus difficiles à mettre en œuvre. En ce qui concerne l’augmentation tarifaire : elle est d’autant plus recommandée que les subventions électriques indirectes qui découlent d’un secteur déficitaire vont avant tout aux ménages les plus aisés. Cependant, les gouvernements sont réticents à ces augmentations, porteuses de troubles sociaux. En Ouganda, l'augmentation de la tarification dans les années 2000 à des niveaux couvrant les coûts n'a concerné qu'une faible partie de la population : seule 10 % de celle-ci avait alors accès à l'électricité. Lorsque le taux d’électrification est élevé, le risque politique associé à une augmentation tarifaire est plus important. Ces augmentations ne sont de surcroît possibles que si la qualité du service est, au préalable, sensiblement améliorée.

 

Face au COVID-19 : un besoin accru de simplification et de coordination entre les différents acteurs

Il convient de clarifier les rôles des différents acteurs présents sur le secteur en Afrique subsaharienne pour tirer au mieux profit des compétences de chacun et s’assurer que les fonds sont alloués de façon efficace. Les DFIs sont présentes dans tous les segments du marché et leurs initiatives, multiples, peuvent être source de confusion ou de dédoublement. Par exemple, il existe de nombreuses garanties pour les projets renouvelables. Leur nombre élevé fait qu’il est parfois compliqué pour les États d’identifier les solutions les plus adaptées à leur situation. Enfin, dans certains marchés comme celui de la génération d’électricité, des DFIs peuvent être en concurrence directe entre elles et avec le secteur privé. Les DFIs pourraient se concentrer sur les segments où le secteur privé ne peut investir, comme dans les réseaux.

Il existe différents mécanismes d’attribution de projet solaire, chacun présentant des avantages et des inconvénients. L’utilisation d’appels d’offres est la plus répandue. Or, ceux-ci devraient être réservés aux projets de plus grande envergure (50 MW+) car ils peuvent présenter des inconvénients pour les petits projets. D’autres modèles semblent avoir fait leurs preuves pour les marchés naissants. Par exemple, la mise en place de Feed-in-tarifs avec des prix de rachat ambitieux pourrait être un compromis intéressant pour les nouveaux marchés et les petits projets.

La crise du COVID-19 aura des répercussions importantes sur les économies et donc sur le développement de l’énergie solaire dans la région. Outre les problèmes de dette souveraine, les aides au développement risquent de se réduire. La dépréciation probable des monnaies africaines risque de renchérir le coût des projets : tous les composants d’une centrale solaire devant être importés et payés en devises fortes. De même, la plupart des PPA sont signés en dollars, transférant le risque de change aux États, qui achètent l’électricité en dollars aux IPP et la revendent en monnaie locale. Au vu de la crise actuelle, cela pourrait être un risque supplémentaire. Enfin, les clauses take-or-pay des PPA des projets existants vont être mises à rude épreuve. Alors que celles-ci risquent d’être activées du fait de la baisse de la demande électrique dans la région, les États, qui manquent déjà de fonds pour protéger les plus pauvres des impacts sanitaires et économiques de la crise, vont avoir du mal à justifier aux yeux de l’opinion publique le paiement d’une électricité qui n’est pas consommée. Le respect de cette clause sera néanmoins un test important pour évaluer la maturité des différents marchés nationaux. La balle est dans le camp des États : lever les obstacles aux investissements du secteur privé, qui aura plus que jamais un rôle clé à jouer.


[1]. African Energy Outlook 2019, World Energy Outlook Special Report, International Energy Agency.

[2]. International Energy Agency Statistics, disponible sur : www.iea.org.

[3]. Z. Liu, Global Energy Transition, Academic Press, 2015.

[4]. Renewable Capacity Statistics 2020, International Renewable Energy Agency (IRENA).

[5]. C. Trimble, M. Kojima, I. Perez Arroyo et F. Mohammadzadeh, « Financial Viability of Electricity Sectors in Sub-Saharan Africa. Quasi-Fiscal Deficits and Hidden Costs », Policy Reasearch Working Paper, World Bank, 2016.

[6]. N. Ouedraogo, « Modeling Sustainable Long-Term Electricity Supply-Demand in Africa », Applied Energy, vol. 190, 2017.

[7]. « Linking Up: Public-Private Partnerships in Power Transmission in Africa », World Bank, 2017.

[8]. K. Gratwick, R. Meyer et A. Eberhard, « Uganda’s Power Sector Reform. There and Back Again? », Energy for Sustainable Development, avril 2018.

 

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ISBN / ISSN

979-10-373-0181-9

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L’énergie solaire en Afrique subsaharienne après le COVID-19 : guérir un secteur malade

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Hugo LE PICARD

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Chercheur associé, Centre géopolitique des technologies de l'Ifri

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Le Centre énergie et climat de l’Ifri mène des activités et recherches sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques des transitions énergétiques. Il travaille à la fois sur les enjeux de sécurité énergétique, de compétitivité, de maîtrise des chaînes de valeur, et d'acceptabilité. Spécialisé dans l’étude des politiques européennes de l’énergie et du climat, et des marchés de l’énergie en Europe et dans le monde, ses travaux portent aussi sur les stratégies énergétiques et climatiques des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Il offre une expertise reconnue, enrichie de collaborations internationales et d'événements à Paris et à Bruxelles, notamment.

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