Sommet Russie-Afrique: «Moscou boxe au-dessus de sa catégorie»
ENTRETIEN : Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Ifri, analyse la volonté de la Russie d’être une puissance en Afrique.
Le FIGARO. - Quels sont, pour la Russie, les objectifs de ce sommet ?
Thierry VIRCOULON. - Ce sommet, qui est le deuxième, a été préparé soigneusement. C’est en fait un test assez fondamental sur la réalité de l’influence russe depuis le début de la guerre. Il s’agit, pensent les Russes, de démontrer que la Russie n’est pas isolée sur le plan international comme le disent les Occidentaux mais qu’elle reste, en dépit de la guerre, un acteur de premier plan sur la scène internationale. Elle cherche donc à séduire l’Afrique. Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, a fait plusieurs passages en Afrique, fin 2022 et surtout début 2023. L’un des marqueurs clés de la réussite de ce sommet sera combien de chefs d’État et de gouvernement feront le déplacement. En 2019 à Sotchi, c’était 43. Ce chiffre sera plus significatif que le nombre d’accords qui vont être signés, car la Russie a l’habitude d’en faire signer beaucoup dans ce type d’événement. Cette fois, on peut s’attendre à ce que Poutine, qui n’a pas prolongé l’accord sur les céréales en mer Noire, profite du sommet pour annoncer qu’il fournira du grain à la place de l’Ukraine et peut-être qu’il reprendra l’accord avec l’Ukraine en signe de bonne volonté.
Comment Moscou tente de séduire des partenaires africains?
Depuis le début de la crise en Ukraine, la Russie a intensifié sa communication diplomatico-médiatique vis-à-vis de l’Afrique. Elle développait tout un argumentaire. Poutine joue, bien sûr, beaucoup sur le côté historique, le fait que l’URSS aurait toujours lutté contre la colonisation et appuyé les mouvements d’émancipation. Il y a aussi un argument idéologique quand ils accusent les Occidentaux de vouloir transformer les sociétés, alors que Moscou soutiendrait les valeurs traditionnelles. Puis, un point politique: la Russie se présente comme un tenant d’un monde multipolaire où l’Afrique pourrait tenir un rôle sur la scène internationale. Le dernier argument est la coopération. La Russie continue d’offrir des bourses aux étudiants et s’engage dans les secteurs de la santé et de l’éducation qui semblent particulièrement visés.
"Le grand tsar Poutine ne contrôle pas tout ce qui se passe dans son environnement proche", Thierry Vircoulon
Cette volonté d’être une puissance en Afrique est-elle réaliste?
La Russie continue en fait à boxer au-dessus de sa catégorie, car avec la guerre elle s’est évidemment appauvrie. On a des doutes sur sa capacité à rester le leader sur la fourniture d’armes au continent. La guerre en Ukraine met son industrie militaire sous pression et les volumes disponibles à l’exportation sont contraints. Par ailleurs, un certain nombre d’entreprises russes qui étaient présentes en Afrique ont, depuis le début de la guerre, soit gelé leur activité soit se sont retirées. C’est le cas le Lukoil, qui depuis une dizaine d’années avait des participations dans le pétrole dans le golfe de Guinée, notamment au Ghana en partenariat avec une société norvégienne. C’est là le problème. Les pétroliers russes étaient souvent associés avec des entreprises occidentales, ce qui n’est plus possible. Il n’y a qu’une exception, avec ENI au Congo Brazzaville. Donc économiquement, la Russie est plutôt en retrait.
À Sotchi, lors du premier sommet en 2019, beaucoup de contrats avaient été signés. Le bilan aujourd’hui est-il positif?
Il faut être clair: la réponse est non. Il s’agissait essentiellement de contrats d’apparat, pour redorer le statut de la Russie. Mais derrière, c’est du vent. Par exemple, le projet au Congo Brazzaville, signé en grande pompe à Sotchi, de construire un oléoduc traversant le pays n’a absolument pas avancé. Les projets de raffinerie comme celui en Ouganda, n’ont jamais décollé. Le protocole d’accord pour un chemin de fer en RDC, là encore conclu lors du premier sommet, pour 500 millions de dollars n’a jamais connu le moindre début de réalisation. Le seul projet majeur qui continue est la construction d’une centrale nucléaire en Égypte. C’est un programme faramineux de Rosatom, et la construction de la dernière des trois tranches a été lancée officiellement en mai 2023. Mais il y a de gros doutes sur la capacité russe à s’engager dans un tel chantier estimé à 25 milliards de dollars censé être financé à 80 % par un prêt russe. L’Égypte garde, en façade, confiance, mais il est possible que cette confiance se lézarde.
La guerre en Ukraine ne mine-t-elle pas la confiance dans les Russes un peu partout en Afrique?
Cela a terni clairement l’image de la Russie comme puissance militaire. D’abord parce que l’armée ukrainienne résiste toujours. Ensuite et surtout parce qu’il y a eu l’affaire de la mutinerie de Wagner et de Prigojine. Cela a démontré que le grand tsar Poutine ne contrôle pas tout ce qui se passe dans son environnement proche. L’homme fort n’est donc pas si fort qu’il prétendait l’être. Cela crée forcément des réflexions dans certaines capitales et des angoisses dans celles où Wagner est déjà engagé.
Le plan du retour de la Russie en Afrique vise-t-il d’autre pays?
Depuis les premières sanctions en 2014, le plan russe est de montrer qu’elle reste un acteur de premier plan, notamment militaire, dans le monde et en Afrique. Après le Soudan, mais surtout la Centrafrique et le Mali, elle semble regarder vers le Burkina Faso, après le second putsch. Mais la relation avec la junte n’a pas l’air d’être aussi simple que ça. Ils avaient aussi la RDC en ligne de mire, mais c’est compliqué. Il y a un effort sur le Congo Brazzaville, puisque Lavrov y est passé. Mais l’expansion de Wagner semble tout de même compromise par ce qui s’est passé en Russie. Ils sont un peu piégés, car ils ne peuvent pas annuler mais en même temps ce n’est plus un outil aussi performant. D’abord, il n’est plus secret, et il y a de l’eau dans le gaz entre ses dirigeants. Moscou paraît encore chercher la bonne solution. L’annonce que Wagner va continuer son déploiement en Afrique apparaît un peu compliquée. Mais, en même temps, le Kremlin doit donner un avenir et un exutoire aux hommes de Wagner. Bien sûr, on peut imaginer une autre formule, un Wagner sous un autre nom.
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