Quel avenir pour l'Europe ?
Depuis les élections européennes, l'Europe se cherche une direction politique mais aussi stratégique. Comment expliquer le rejet croissant par les citoyens européens de ce qui a influencé l'Europe depuis l'origine, à savoir le libéralisme économique et politique ?
Comment interpréter les résutats aux dernières élections européennes ? Cela confirme-t-il une montée en puissance de ce qu'on peut appeler l'illibéralisme ?
"Ce que l'on peut noter, c'est un désarroi concernant l'Union européenne, cela part dans tous les sens, il n'y a pas de leadership, pas de vision globale", explique Thierry de Montbrial, fondateur et président de l'Ifri.
"La grande vague de l'économie de marché, c'est après l'Union soviétique, c'est Maastricht, c'est la création de l'euro, c'est évidemment le grand marché, le marché unique. Tout cela a progressivement été mis à mal par un certain nombre d'avatars dont le dernier, et il faut le dire clairement, c'est la guerre d'Ukraine. Cette guerre est un coup énorme porté à la compétitivité de l'Union européenne, en particulier à celle des plus anciens de ses membres. C'est un coût de l'énergie qui est aujourd'hui trois fois supérieur à celui des États-Unis. Cela induit donc une chute potentielle du niveau de vie des Européens, dans la mesure où notre compétitivité ne pourrait se redresser qu'avec des mesures extrêmement fortes que l'on ne sait pas prendre, en particulier en France".
On a longtemps pensé que la France et l'Allemagne tenaient le gouvernail de l'Europe. Est-ce encore le cas ?
"L'entente franco-allemande, qui a été fondamentale à la création de la Communauté devenue Union européenne, était fondée sur la notion de réconciliation. Cette notion n'a plus aujourd'hui le sens qu'elle avait alors. La France et l'Allemagne ont malheureusement aujourd'hui des points de vue différents sur toutes sortes de sujets. Cette entente reste tout de même une condition nécessaire pour la construction de l'Union européenne mais nullement suffisante. Il se trouve qu'aujourd'hui, la condition nécessaire n'est même pas remplie. Une des clés dans les mois et années qui viennent va être la capacité ou non de la France et de l’Allemagne à reconstruire quelque chose qui ressemblerait à un projet commun."
Les Occidentaux ont pendant un temps cru à la "fin de l'histoire", inspirée de la thèse de Fukuyama. Or, une partie de l'Europe de l'Est a une vision différente des choses, notamment en ce qui concerne la perception de la menace russe à ses frontières.
Nous parlons des pays qui appartenaient au Pacte de Varsovie, qui avaient été dominés par l'Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale, qui ont acquis leur indépendance après la chute de l'Union soviétique et qui sont, à mon avis, entrés beaucoup trop vite dans l'Union européenne. De leur point de vue, l'appartenance à l'UE est une chance historique pour échapper à l'Empire russe.
La guerre d'Ukraine a remis l'idée de défense européenne au centre des débats, l'Europe se rêve-t-elle en grande puissance, prise en étau entre la Chine, les États-Unis et la Russie ?
Thierry de Montbrial pointe deux obstacles majeurs à ce concept.
Tout d'abord, la baisse de la compétitivité européenne et l'accroissement de son hétérogénéité politque la mettent dans une position de plus en plus délicate par rapport aux États-Unis et à la Chine. Lorsque l'on parle de défense européenne (ce qui est par ailleurs un noble objectif), la vraie question est que l'Union européenne ne constitue pas pour l'instant ni un État, ni une patrie. Les Français ne considèrent pas que les frontières de la France s'identifient aux frontières entre les pays baltes et la Russie. En cela réside toute la question de la défense européenne. Pour quoi sommes-nous prêts à mourir ? Autre point complémentaire : l'économie. Lorsque l'on a une économie globalement faible, comment peut-on véritablement faire une économie de guerre ? Voici donc les deux questions fondamentales à se poser quand on parle de défense européenne. Pour qui ? Qui sommes-nous ? Que defendons-nous ? Et quelles ressources économiques sommes-nous prêts à y consacrer ?
> Réécouter l'interview dans son intégralité sur le site Radio classique ou visionner la vidéo sur Le FigaroTV.
Média
Partager