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"Poutine regarde le compromis comme l'apanage des faibles et des vaincus"

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propos receuillis par Laure Mandeville pour

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Dans une interview accordée en marge de la 6e Conférence internationale de Tbilissi, coorganisée par l’European Center for economic policy, le John Mc Cain Institute et le George W Bush institute, le spécialiste de politique étrangère Bobo Lo revient sur les grands désordres d’un monde qui s’est « désuniversalisé ».

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En 1989-1991, nous pensions avoir tourné une page décisive. Mais l’affrontement Est-Ouest avec la Russie a repris dans le contexte du XXIe siècle, avec tous les instruments de notre époque globale… Comment voyez-vous la scène géopolitique mondiale ?

Bobo LO. – Nous vivons ce que j’appelle un nouveau désordre mondial. L’ordre libéral mondial post-1945, basé sur des règles du jeu, a commencé de s’effondrer déjà depuis au moins quinze ans, avec l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Mais aucun ordre alternatif multipolaire ne se dessine pour le supplanter. Dans ce nouveau désordre, on assiste à une désuniversalisation des normes de conduite. On ne sait plus ce que sont les règles, qui les crée et à qui elles s’appliquent. Je dirais que contrairement à ce qui est répété, nous ne sommes pas revenus à l’ère de la compétition entre grandes puissances. Les grandes puissances n’ont jamais été aussi faibles. Le monde reste hyper­- globalisé, mais néanmoins de plus en plus fragmenté. N’est-ce pas le résultat de l’affaiblissement spectaculaire des nations et d’une fragmentation qui est interne et internationale ? Vous avez tout à fait raison. Avec les conflits d’identité et les batailles culturelles, il y a très peu de choses qui peuvent rapprocher les gens. Nous sommes aussi au milieu d’une transformation technologique majeure mais nous ne savons pas où elle va. Nous vivons une révolution de l’information, mais la notion de vérité, elle, a été jetée aux orties. Il n’y a plus de vérité, il y a ta vérité, la mienne, etc. On se moque totalement de ce que l’on dit. Cela se traduit par un déclin des standards respectés par les gouvernants en matière de discours. Le problème de Boris Johnson ou de Donald Trump n’est pas qu’ils mentent. Car ça, les politiques l’ont toujours fait. Ils font de cette approche ­cavalière de la vérité la norme. Cela ­génère une « voyouisation » de nos sociétés politiques. 

Ne pensez-vous pas que cette approche de « voyou » vient de ce que les élites politiques ont voulu imposer une « vérité » politique et sociétale sur les conséquences positives de la globalisation, de l’immigration, du multiculturalisme, que les gens jugent erronée et dangereuse, ce qui a propulsé des bulldozers à la Trump, pour transgresser le consensus ?

Si vous prenez le Brexit pourquoi s’est-il produit ? Parce que les gens se sont vus imposer une austérité gouvernementale mais qu’ils ont observé qu’elle était inégalitaire. Le nord de l’Angleterre était jadis totalement travailliste, mais il a fui la gauche qui le tenait pour acquis. De manière générale, la rébellion des Anglais qui ont voté pour le Brexit est essentiellement psychologique et culturelle. Ils ont le sentiment d’avoir été sous-estimés et infériorisés par la condescendance des gouvernants.

  • "Il faut comprendre que Poutine a pensé qu’il pourrait faire avaler la pilule, car l’Occident n’aurait pas l’estomac de réagir", Bobo Lo

 

Quand vous dites que la désuniversalisation date de la guerre d’Irak, vous estimez que les États-Unis portent une responsabilité lourde ?

Je pense qu’il est faux de blâmer la Chine et la Russie pour l’érosion de l’ordre international. Elles n’ont fait qu’exploiter la situation. L’Occident n’a pas pratiqué les valeurs qu’il prônait. Il prône le multilatéralisme, mais en 2003 il a contourné l’ONU en Irak ! L’intérêt national américain prime. Et bien sûr, les autres pays regardent leurs actions et se disent : c’est un double standard. Les Américains auraient pu être excusés d’avoir violé les normes de l’ONU, si leur scénario postconflit avait été réussi. Si L’Irak et l’Afghanistan n’avaient pas été de telles débâcles, si la crise financière mondiale n’avait pas eu lieu, si l’Occident n’avait pas aussi mal géré la guerre civile en Libye et en Syrie, alors, les gens auraient dit : les États-Unis violent parfois les règles mais c’est parce que c’est la plus grande puissance qui ait jamais existé. Mais la difficulté, avec l’Ouest, c’est qu’on voit une combinaison d’immoralité et de stupidité. Cela donne à la Chine et la Russie des arguments et des opportunités pour en tirer avantage. Je ne défends évidemment pas l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui est un crime de guerre pur ! Mais il faut comprendre que Poutine a pensé qu’il pourrait faire avaler la pilule, car l’Occident n’aurait pas l’estomac de réagir. La faiblesse occidentale dans cette affaire est le maître mot. 

Est-ce parce que l’Occident a violé les règles que la Russie s’est autorisée une telle agression ou est-ce plutôt le calcul que l’Occident ne bougerait pas?

Les deux. Mais cela n’excuse en rien la Russie! Ce qu’elle a fait en Ukraine est la plus grave violation du droit international depuis l’invasion lancée par la Corée du Nord en 1950 contre le Sud. Ces actions sont terribles. Les pertes sont colossales! Des dizaines de milliers de victimes civiles et de soldats. Les Chinois eux, n’ont pas fait la guerre depuis 1979. Cela viendra peut-être mais pour l’instant, ils ont un intérêt dans la stabilité du système.

C’est une puissance révisionniste, qui veut le modeler en fonction de ses intérêts et réduire l’influence des États-Unis. Dans son schéma, les grandes puissances prennent de grandes décisions et les petits pays font ce qu’on leur dit de faire. La différence avec la Russie, c’est qu’ils sont très hostiles aux conflits parce qu’ils ont d’autres moyens de parvenir à leurs fins. Par contraste, les Russes ont très peu de moyens de projeter leur influence. Le militaire est leur avantage comparatif, en tout cas par rapport aux pays de l’UE. Les Russes pensent qu’ils pourront imposer leur volonté par la force des armes.

[...]

> Lire l'interview complète sur le Figaro

 

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Bobo LO

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Ancien chercheur associé, Centre Russie/Eurasie de l'Ifri