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« On peut et on doit découpler l’activité économique et les émissions de gaz à effet de serre »

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S’inscrivant en faux contre l’idée selon laquelle la lutte contre le dérèglement climatique passe inévitablement par la décroissance, Cédric Philibert, analyste de l’énergie et du climat démontre, dans une tribune au « Monde », que de multiples scénarios existent.

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D’un fétichisme de la croissance assurément critiquable, quoique encore très prégnant parmi le personnel politique, serions-nous en train de basculer sans transition vers un fétichisme de la décroissance ? C’est affaire de transition, justement, énergétique et environnementale, mais l’idée se répand qu’elle ne serait possible qu’à raison de la décroissance du volume de l’économie. Autrement dit, on ne saurait « découpler » l’activité économique des atteintes à l’environnement, et d’abord des émissions de gaz à effet de serre. Or, au moins en ce qui concerne ce dernier paramètre, clé de notre maîtrise – ou non – des dérèglements climatiques, ce pessimisme radical et démobilisateur est erroné. Non, ce fameux « découplage » n’est pas une chimère.

Pourtant, des chercheurs affirment qu’ils n’en ont pas trouvé trace dans les statistiques. Plus précisément, on n’a constaté qu’un découplage « relatif » – les émissions croissent moins vite que l’économie. C’est loin d’être assez. La maîtrise des dérèglements climatiques exige que les émissions mondiales décroissent (et vite !), ce qui constituerait un découplage « absolu ». Rien de tel n’a eu lieu jusqu’ici. Mais en quoi cela prouve-t-il que le découplage n’aura pas lieu, ne peut pas avoir lieu ? L’argument, répété à l’envi, est d’une insigne faiblesse. Regardons les choses de plus près.

Des découplages absolus ont bien été observés – localement. Les émissions de CO2 du Royaume-Uni ont diminué de 46 % depuis 1971, celles de la France de 41 % de 1973 à 2014, celles de l’Allemagne de 26 % depuis 1990 (pendant que le produit intérieur brut de ces pays croissaient de 179 %, 126 % et 52 %). Principaux facteurs de ces découplages : le remplacement du charbon et du pétrole dans la production d’électricité par le gaz au Royaume-Uni, le nucléaire en France et les renouvelables en Allemagne. Car contrairement au mensonge que trop de paresseux recopient, les renouvelables font plus que compenser le recul du nucléaire en Allemagne, elles y font reculer le charbon.

Le cas de 18 pays

Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat, et divers coauteurs ont examiné le cas de 18 pays – les Etats-Unis et des pays européens – ayant diminué de 2005 à 2015 de 2,4 % par an en moyenne leurs émissions de CO2. Cet examen détaillé montre que les relocalisations de production industrielles, notamment en Chine, n’ont joué qu’un rôle mineur dans la baisse des émissions. Celle-ci résulte d’abord de la diminution de la part des fossiles dans la consommation d’énergie, et de la baisse de cette consommation. L’augmentation de l’utilisation du gaz au détriment du charbon a joué un rôle d’appoint, notamment aux Etats-Unis. Renouvelables et économies d’énergie font donc déjà leurs preuves. Mais l’essentiel reste à venir.

A l’image de celui que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié en mai, tous les scénarios qui conduisent à des émissions nettes nulles de gaz à effet de serre en 2050, compatibles avec l’accord de Paris sur le climat (2015), reposent d’abord sur un formidable déploiement des énergies éolienne et solaire dans la production électrique. Les fortes baisses de coût de ces énergies en dix ans (– 85 % pour le solaire photovoltaïque, – 50 % pour l’éolien) le rendent aujourd’hui possible. Les pompes à chaleur dans les bâtiments, l’électrification de l’industrie et des transports permettront aux renouvelables de remplacer les énergies fossiles consommées directement. La part de l’électricité dans l’énergie finale bondira ainsi de 20 % aujourd’hui à 50 % ou davantage en 2050.

Le nucléaire maintiendra sa part de 10 %

Dans le scénario de l’AIE, le nucléaire maintiendra sans l’augmenter sa part de 10 % dans la production mondiale d’électricité, prouvant sa nécessité à certains, son caractère superflu à d’autres. La capture et le stockage du CO2 apporteront également une contribution, soit dans des installations industrielles, soit pour produire de l’hydrogène bas carbone avec du gaz naturel et compléter la production d’hydrogène électrolytique pour la chimie, la sidérurgie, les transports aériens et maritimes. Une part importante de l’énergie non électrique, peut-être surestimée, sera fournie par les formes modernes de bioénergie, dont les formes traditionnelles, inefficaces et polluantes, utilisées par les plus pauvres, régresseront fortement.

Naturellement, les économies d’énergie, comme l’isolation thermique des bâtiments, jouent aussi un très grand rôle dans ces scénarios « climato-compatibles ». Mais il est difficile de les distinguer précisément des effets de l’électrification. Vecteur de la décarbonation, celle-ci est en elle-même porteuse d’importants progrès d’efficacité, éliminant de larges pertes dans les moteurs et centrales thermiques, et démultipliant l’énergie du chauffage en allant chercher à l’extérieur les précieuses calories.

Implication active des consommateurs

Au total, la consommation mondiale d’énergie diminue un peu, puis stagne jusqu’en 2050, dans le scénario de l’AIE, tandis que les émissions de CO2 s’effondrent. Le tout, malgré une augmentation de la population mondiale de près de 2 milliards de personnes, une économie mondiale accrue de 45 % en 2030 et, en 2050, deux fois plus importante qu’aujourd’hui. Pas de décroissance donc, cependant l’AIE fait leur part à des changements volontaires de comportement (par exemple, plus de vélos, moins d’automobiles), et note que les changements techniques nécessaires reposent en grande partie sur une implication active des consommateurs (par exemple, la voiture électrique plutôt que thermique), et pas seulement des entreprises.

De nombreuses politiques publiques, à tous les niveaux, restent indispensables pour impulser ces changements. La technique et « les marchés » à eux seuls ne sauraient suffire à enrayer les dérèglements climatiques – et pourtant on peut, et donc on doit, découpler l’activité économique et les émissions de gaz à effet de serre. La critique du PIB n’est plus à faire, et l’argent ne fait pas le bonheur – mais la misère non plus.

 

Cédric Philibert est analyste de l’énergie et du climat, associé à l’Institut français des relations Internationales (IFRI) et à l’université nationale australienne. Il a travaillé à l’Ademe, puis, de 2000 à fin 2019, à l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

 

> Lire la tribune sur le site du Monde

 

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Cédric PHILIBERT

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Chercheur associé, Centre énergie et climat de l'Ifri