Ne laissons pas l’Afrique seule face au coronavirus
Combattre les pandémies demande des moyens que la plupart des pays africains n'ont pas. Des chercheurs européens et africains lancent l'alerte pour une coopération globale.
Alors que le coronavirus se propage à travers le monde, la capacité d’atténuer son impact est liée aux ressources disponibles et à l’efficacité des autorités publiques. Voilà pourquoi il nous paraît primordial que les dirigeants internationaux se concentrent sur les conséquences de la pandémie sur les plus vulnérables, en particulier en Afrique.
Il y a trois mois, le 31 décembre, les autorités chinoises informaient le bureau de Pékin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’un risque d’épidémie. Cent jours plus tard, trois milliards de personnes dans le monde sont confinées chez elles. C’est le résultat d’une approche radicale en réponse à une urgence de santé publique. Mais qu’est-ce que cela signifie pour les pays dont les infrastructures sanitaires sont inexistantes et qui ne disposent que de peu d’outils administratifs ?
Si toutes les nations sont menacées et se débattent pour éviter de tomber dans l’abîme, il est plus que jamais nécessaire d’envisager la situation sur le plan global tout en s’adaptant aux conditions locales dans le but de protéger les communautés les plus vulnérables à travers le monde. Car elles sont menacées non seulement par les risques du virus lui-même, mais aussi par ses conséquences politiques, économiques et sociales. Les pandémies ont un prix. Les combattre coûte cher, surtout pour les plus démunis.
Pour mémoire, on estime que la pandémie du VIH/sida a fait reculer la croissance du PIB de 2 % à 4 % en Afrique subsaharienne. Selon les chiffres de la Banque mondiale, le virus Ebola aurait réduit de 12 % le PIB cumulé des trois pays les plus touchés en 2014-2016, à savoir la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. Mais cela n’est rien en comparaison avec les répercussions et l’ampleur du coronavirus. Au cours des deux dernières semaines, l’effondrement des marchés financiers a entraîné une baisse des valeurs de plus de 9 trillions de dollars (soit 9 000 milliards). Une baisse de la croissance du PIB mondial pourrait engendrer, selon les estimations actuelles, une perte de 2 trillions de dollars supplémentaires. Le renforcement des mesures de confinement dans les économies majeures du globe menace d’avoir des répercussions encore plus catastrophiques. Et une profonde récession mondiale semble inévitable.
Ces effets se ressentiront d’autant plus en Afrique, où la population est plus proche du seuil de pauvreté que dans d’autres régions du monde et ne dispose d’aucune épargne pour faire face à une crise. L’Afrique abrite déjà la plus large proportion de personnes démunies par rapport aux autres continents. Même si la pauvreté dans le monde a reculé de 36 % en 1990 à 10 % vingt-cinq ans plus tard, ce qui représente plus d’un milliard de personnes, la progression plus lente de l’Afrique et l’augmentation constante de sa population signifient que la pauvreté concerne plus de 413 millions de personnes en 2015. Le taux de pauvreté en Afrique subsaharienne s’élève à plus de 40 % et le continent regroupe 27 des 28 pays les plus démunis du monde.
La coexistence de systèmes d’institutions fragiles et de gouvernements faibles constitue un mélange dangereux en temps normal, qui favorise la précarité. L’Organisation internationale du Travail (OIT) estime que 74 % des Africains sont dans une situation d’emploi «vulnérable», c’est-à-dire soit de chômage, soit de sous-emploi, en comparaison avec les 45 % qui représentent le point de référence mondial, dans un continent où les systèmes nationaux de sécurité sociale sont quasiment inexistants. Le revenu moyen annuel par habitant en Afrique subsaharienne est de 1 585 dollars américains (1 455 euros), c’est-à-dire 14 % de la moyenne mondiale.
Aujourd’hui, dans la situation de crise extrême que nous traversons, ce mélange de bas revenus et de moyens limités pourrait s’avérer fatal à un nombre, impossible à fixer, de personnes. Par ailleurs, l’effondrement du prix du pétrole, la fragilité de la sécurité alimentaire, la perturbation des échanges commerciaux affectent tout particulièrement des économies africaines en forte croissance, qui cherchaient à s’intégrer à l’économie mondiale. L’interruption brutale du tourisme et des investissements étrangers, et la volatilité financière, fragilisent les pays africains plus que les autres.
En cette période où chaque pays se replie sur lui-même pour combattre la maladie, il faut soutenir les pays africains à travers une coopération internationale intensive : activation de centres opérationnels d’urgence, envoi de masques et d’équipements de protection, recours aux technologies de l’information pour apprécier la diffusion du Covid-19 en temps réel et identification des groupes à risques sont parmi les premières mesures à prendre. Parallèlement, il faut renforcer les capacités de santé existantes, et mettre en œuvre des programmes d’aide économique et sociale compatibles avec les réalités locales. Pendant la crise de l’Ebola, l’Afrique a su montrer comment, avec une aide internationale adaptée, elle avait su maîtriser une pandémie et, finalement, l’endiguer.
Membres d’un groupe réunissant des think tankers européens et africains, nous pensons crucial d’alerter les opinions de nos pays respectifs sur l’impact prévisible du coronavirus en Afrique. La crise actuelle est un moment de vérité pour la mondialisation, et les relations entre l’Europe et l’Afrique. C’est aussi une opportunité de solidarité et de coopération.
Auteurs :
Yonas Adeto, Institut d’études pour la paix et la sécurité, Ethiopie
Karim El Aynaoui, Policy Center for the New South, Maroc
Thomas Gomart, Institut français des relations internationales, France
Paolo Magri, Institut des études politiques internationales, Italie
Greg Mills, Brenthurst Foundation, Afrique du Sud
Karin Von Hippel, Royal United Services Institute for Defence and Security Studies, Londres
Guntram Wolff, Bruegel, Belgique
Lire la tribune sur le site de Libération
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