"La Chine a une posture rhétorique vide d’initiatives concrètes" : l'attentisme chinois à Gaza, une stratégie de long terme
Mardi 18 février, la Chine appelait toutes les parties à empêcher une « catastrophe humanitaire » à Gaza après d'intenses bombardements israéliens sur l'enclave palestinienne. Mais derrière ces déclarations et son envie d'étendre son influence au Proche-Orient, la Chine agit peu. Une stratégie parfois peu lisible, que Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri) analyse pour « Marianne ».

« La Chine est extrêmement préoccupée par la situation entre Israël et la Palestine », a déclaré mardi 18 mars la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, après d'intenses bombardements israéliens sur l'enclave palestinienne dans la nuit du 17 au 18 mars, ayant entraîné la mort d'au moins 413 personnes.
Historiquement partisane d'une solution à deux États, la Chine réitère régulièrement ses appels à faire cesser les affrontements depuis les massacres du 7 octobre 2023. Mais derrière cette apparente volonté de mettre un terme au conflit, la Chine se contente de concises déclarations. Une posture attentiste qui étonne, à l'heure où Pékin compte bien peser dans le jeu d'alliances des pays du Sud global, de plus en plus étroites. Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri) décrypte pour « Marianne » la stratégie chinoise au Proche-Orient, dont les desseins sont parfois peu lisibles.
Au lendemain des attaques du 7 octobre, la Chine condamne les massacres sans mentionner le Hamas. Surtout, elle inscrit ces crimes dans le temps long de l’affrontement israélo-palestinien : comment comprendre sa position sur le conflit ?
Marc Julienne : La Chine a une position extrêmement constante et historique sur ce conflit. Pékin a toujours défendu la solution à deux États. Mais la Chine est un acteur mineur de la sécurité internationale. Elle a une tradition de « non-interférence », car elle n’a ni l’expérience, ni les moyens, ni l’envie de s’impliquer dans des crises internationales. C’est vrai au Moyen-Orient mais aussi en Ukraine, où elle appelle au cessez-le-feu et aux pourparlers, mais ne formule jamais aucune proposition pour y parvenir. C’est aussi une posture confortable diplomatiquement d’appeler au cessez-le-feu et aux négociations. C’est très consensuel et ne suscite aucune critique, mais cela ne permet pas de faire avancer les choses concrètement. S’impliquer dans une crise, c’est prendre le risque de commettre des erreurs, de ternir son image et de prendre des coups.
Comment la Chine peut-elle gagner en influence tout en restant dans cette position attentiste ?
La Chine ne veut pas s’impliquer dans des contentieux anciens et complexes. Elle a cette posture très « égocentrique », au sens où elle s’implique uniquement si ses intérêts propres – ses ressortissants et ses intérêts économiques – sont touchés, et elle n’agira qu’en dernier recours. S’il y a bien un acteur qui pourrait jouer un rôle constructif et de médiation dans le conflit au Moyen-Orient, c’est pourtant la Chine. Elle dispose en effet d’une situation singulièrement avantageuse dans la région, entretenant de très bonnes relations avec tous les acteurs locaux : tant avec l’Iran que l’Arabie saoudite, autant avec Israël (quoique plus fraîches désormais) qu’avec l’autorité palestinienne. Pékin était très proche du régime de Bachar al-Assad et semble maintenir des relations cordiales avec le nouveau gouvernement de Damas. C’est justement parce que Pékin n’est pas un acteur de sécurité et ne se mêle pas des différends religieux, idéologiques et territoriaux dans la région qu’il est bien reçu par tous. En fait, la Chine fait simplement du business avec tout le monde : elle achète des matières premières, vend beaucoup de produits, investit dans des infrastructures.
Alors pourquoi ne pas en profiter pour jouer le rôle de médiateur?
Car la crise est complexe et que la Chine n’a ni les ressources ni l’expérience pour y faire face. Elle préfère rester dans cette posture rhétorique et diplomatique totalement vide d’initiatives concrètes. Sa priorité, c’est de montrer à la population chinoise que le gouvernement est en mesure d’assurer la sécurité de ses ressortissants à travers le monde et de protéger ses investissements à l’international. Ce qui est probable, c’est qu’au moment où le conflit commencera à se résorber, la Chine reviendra de manière plus proactive pour se proposer de participer à la reconstruction post-guerre. Le raisonnement est le même pour l’Ukraine, où la Chine est très en retrait. S’il y a un cessez-le-feu durable demain, il y a fort à parier qu’elle se rapprocherait du gouvernement ukrainien pour proposer ses services. Et cette approche s’observera sans doute en Syrie si le pays retrouve la stabilité après la chute du régime de Bachar al-Assad.
Dans le conflit ukrainien, on ne doit pas être dupe de la prétendue neutralité de Pékin. La Chine, certes, ne semble pas fournir d’armes létales à la Russie, mais quand elle désigne l’Europe, les États-Unis et l’OTAN comme les responsables de la « crise », sans jamais adresser une seule critique à Vladimir Poutine, elle n’est pas neutre, elle soutient politiquement la Russie.
Que gagne-t-elle en restant dans cette position en apparence « neutre » ?
Au Moyen-Orient, Pékin attend implicitement que les États de la région, a minima, restent à l’écart du contentieux sur Taïwan ou sur la mer de Chine méridionale. Dans le conflit ukrainien, on ne doit pas être dupe de la prétendue neutralité de Pékin. La Chine, certes, ne semble pas fournir d’armes létales à la Russie, mais quand elle désigne l’Europe, les États-Unis et l’OTAN comme les responsables de la « crise », sans jamais adresser une seule critique à Vladimir Poutine, elle n’est pas neutre, elle soutient politiquement la Russie. De plus, Pékin nous montre un autre double standard quand il accuse les Occidentaux de « mettre de l’huile surle feu » en fournissant des armes à l’Ukraine, mais ne dit rien de la Corée du Nord qui fournit massivement des munitions et des soldats à la Russie. Mais cette stratégie n’est pas sans conséquences. L’image de la Chine s’est dégradée auprès des dirigeants européens. Nombre d’entre eux (Emmanuel Macron, Pedro Sanchez, Olaf Scholz, Charles Michel) ont longtemps tenté de convaincre Xi Jinping de raisonner son ami Poutine, mais ces efforts ont été vains justement parce qu’au fond, il partage des intérêts stratégiques avec lui.
N'aurait-elle pas intérêt à être plus proactive, notamment pour concurrencer l’influence des États-Unis dans la région ?
Il y a en effet une concurrence d’influence entre la Chine et les États-Unis. Et depuis son arrivée au pouvoir, Donald Trump laisse champ libre à la Chine pour étendre son influence. Le soft power américain pourrait même s’effondrer au Moyen-Orient et en Afrique, notamment depuis l’abolition de l’Usaid (agence des États-Unis pour le développement international). L’Occident a encore du mal à prendre au sérieux le développement de ce « Sud global », que ce soit l’expansion des BRICS ou de l’Organisation de coopération de Shanghai [fondée notamment parla Chine et la Russie pour stabiliser la région centrasiatique]. Certes, notre priorité est à la sécurité du continent européen, mais nous tardons à mettre en place une diplomatie proactive vers les pays du Sud. Pendant ce temps, la Chine, l’Inde et la Russie sont très actifs, à l’image de l’élargissement des BRICS à 9 nouveaux membres au sommet de Kazan (Russie) en octobre 2024. Ces pays, qui sont pourtant hétérogènes à tout point de vue (démographie, PIB, religion, système politique, etc.) s’organisent et remettent en question une certaine hégémonie occidentale. Cela dit, s’il y a une lutte d’influence au Moyen-Orient, la Chine est toutefois satisfaite que les États-Unis veillent à la stabilité de la région pour éviter toute escalade qui nuirait aux intérêts de Pékin. Obama parlait déjà de la Chine comme un « passager clandestin » de la sécurité assurée par les États-Unis au Moyen-Orient et en Afghanistan.
Netanyahou ne semble pas avoir réagi plus que de mesure aux déclarations chinoises plutôt pro palestiniennes...
Pourquoi Netanyahou tiendrait rigueur à la Chine d’une simple rhétorique diplomatique dépourvue d’acte, alors qu’il fait face à des attaques diplomatiques bien plus virulentes à l’image de la proposition de l’Afrique du Sud de le traduire devant la Cour Pénale internationale ? Du reste, il n’a rien à gagner à se fâcher avec Pékin. La Chine reste dans sa réserve diplomatique. Elle ne gère que les problèmes ou les crises proches de ses frontières ou qui ont des incidences directes sur ses intérêts. La seule fois où la Chine a tenté de jouer un rôle, c’était entre les talibans et le gouvernement en place à Kaboul avant la chute de ce dernier en août 2021. Elle voulait s’assurer de la stabilité de l’Afghanistan et empêcher tout débordement dans la région frontalière du Xinjiang.
[...]
>>Lire l'entretien complet sur le site de Marianne.
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