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Jolyon Howorth : « Londres devra poursuivre une étroite coopération avec l’UE »

Interventions médiatiques |

interviewé par

  Arnaud De La Grange
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ENTRETIEN - Professeur émérite de politique européenne à l’université de Bath et «fellow» à la Harvard Kennedy School et à Yale, Jolyon Howorth a dirigé le numéro spécial de la revue de l’Ifri consacré au Brexit.

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LE FIGARO. - Malgré l’accord, le Royaume-Uni ne devra-t-il pas à terme retisser une relation particulière avec l’UE, en revenant de facto sur des éléments du divorce?
 

Jolyon HOWORTH. -J’estime que le Brexit est une erreur historique fondamentale. Et quelle qu’en soit la forme, le Royaume-Uni ne pourra échapper aux forces historiques et géographiques qui l’arriment à l’Europe. Évidemment, ces réalités, qui imposeront une négociation quasi permanente après le départ britannique de l’UE, peuvent remettre en question certains objectifs fondamentaux du Brexit. Les brexiters ont cherché refuge dans un «modèle canadien», voire un «modèle australien». On ne peut exclure qu’à terme, le Royaume-Uni risque de se rapprocher du «modèle norvégien», celui-là même que les partisans du divorce rejetaient comme un BRINO (Brexit in Name Only). Boris Johnson s’est trouvé face au dilemme de savoir si le deal en fin de compte négociable valait le coût politique qu’il entraînerait pour le Royaume-Uni. Ce fut un pari dont il ne saisissait pas les éléments. Tout dépendra en fin de compte du sort qui sera réservé au pari parallèle du «Global Britain». Et ceci dépend en grande partie de l’avenir de la «special relationship» avec les États-Unis.
 

Quel est l’impact de l’élection de Joe Biden sur le Brexit et l’avenir de cette «relation spéciale» ?
 

Pour Boris Johnson, les choses sont à l’évidence beaucoup plus compliquées qu’elles ne l’auraient été sous un deuxième mandat de Trump. Les perspectives d’un accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni restent dans les limbes et Joe Biden, qui cherche l’appui de l’Union européenne dans son épreuve de force avec la Chine, donnera la priorité aux rapports américano-européens. Déjà, Johnson a cédé à la pression de Biden contre les clauses controversées de l’Internal Market Bill (la loi sur le marché intérieur) concernant l’Irlande, au vu de l’engagement du nouveau président en faveur du Good Friday Agreement (accord du Vendredi Saint). Pour citer l’expert en la matière, Robert Singh, la «special relationship» ressemble de plus en plus au chat du Cheshire dans Alice au Pays des Merveilles: le corps disparaît mais le sourire demeure.
 

Pensez-vous qu’avec son slogan de «Global Britain», le Royaume-Uni sorti de l’UE puisse se doter d’une nouvelle et réelle capacité d’influence mondiale?
 

En annonçant récemment une augmentation qui se veut spectaculaire des dépenses de défense, Boris Johnson a affirmé qu’elles permettraient à son pays de peser sur la scène mondiale. Mais tout ceci n’est qu’un écran de fumée. Le Royaume-Uni restera sans doute un acteur important sur le plan géostratégique - surtout en Europe -, mais supposer qu’il pourrait jouer un rôle militaire majeur sur le plan global est une illusion. Dans la même logique, le Royaume-Uni sera obligé de poursuivre une étroite coopération post-Brexit avec l’UE et notamment avec la France. «Global Britain» n’est qu’un refrain nostalgique de la part de ceux qui refusent d’accepter le verdict de l’histoire. En 1973, le Royaume-Uni est entré dans ce qu’on appelait encore le Marché commun parce que le Commonwealth n’offrait plus que des oripeaux symboliques et parce que les États-Unis poussaient très fort en faveur d’un rôle européen clé pour le partenaire anglo-saxon. Ces deux constats restent inchangés. Qui plus est, se déclarer champion du libre-échange global au moment où le nationalisme et le protectionnisme se renforcent, c’est comparable à une conversion au communisme en 1989.

 

Comment le gouvernement britannique voit-il le risque d’éclatement du royaume?
 

En 2019, une majorité des électeurs conservateurs considéraient le Brexit comme bien plus important que la perte potentielle de l’Écosse et de l’Irlande du Nord. Boris Johnson s’est déclaré opposé à tout nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse, mais les sondages de 2020 ont tous montré une majorité croissante d’Écossais en faveur d’une rupture avec Westminster. La mauvaise gestion du Covid a persuadé de nombreux Écossais que Londres fait partie du problème plutôt que de la solution. L’éclatement du royaume est encore une conséquence possible du Brexit à laquelle les artisans du divorce, qui ont toujours privilégié l’affichage de slogans plutôt que l’étude de dossiers concrets, n’avaient même pas réfléchi en 2016. Le Brexit, comme le trumpisme, a toujours eu sa part de rêve, de déni du réel. Mais, comme l’a remarqué l’écrivain américain Philip K. Dick, «la réalité, c’est ce qui continue d’exister, même quand on cesse d’y croire».

«Brexit, le malheur de rompre», Politique étrangère, vol. 85, n°4, Ifri, décembre 2020

 

> Lire l'interview sur le site du Figaro

 

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