Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Climat : avec Biden, un vrai retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris ?

Interventions médiatiques |

citée par Juliette Raynal dans

  La Tribune
Accroche

Joe Biden l'a affirmé à maintes reprises : s'il est élu président des Etats-Unis, sa première initiative à l'échelle internationale consistera à renouer avec l'Accord de Paris sur le climat, après que Donald Trump s'en soit retiré en 2017. Si le scénario Biden se confirmait, les Etats-Unis devront néanmoins réaffirmer une nouvelle dynamique de décarbonation de leur économie, alors que l'Europe et la Chine affichent des objectifs plus ambitieux.

Contenu intervention médiatique

"Je me détournerai progressivement de l'industrie pétrolière, oui". "J'arrêterai parce que l'industrie pétrolière pollue considérablement". Le 22 novembre dernier, Joe Biden, le candidat démocrate à la Maison Blanche, n'a pas mâché ses mots. Il a même pris un risque politique considérable en assumant vouloir se détourner à terme de l'industrie pétrolière, dont dépend largement l'économie de plusieurs Etats-clés de la présidentielle américaine.

Avec ces annonces fracassantes, l'ancien vice-président américain a souhaité donner plus de corps à ses ambitions climatiques. Pendant sa campagne, Joe Biden l'a affirmé à maintes reprises : s'il est élu le 3 novembre prochain, sa première initiative à l'échelle internationale consistera à renouer avec l'Accord de Paris sur le climat, après que Donald Trump s'en soit retiré en 2017. Ce texte issu des négociations à la conférence COP 21, fruit d'années de tractations laborieuses entre près de 200 pays et entités différentes, vise à limiter à 1,5°C l'augmentation de la température moyenne sur Terre par rapport à l'ère préindustrielle. « En tant que président [des Etats-Unis, ndlr], Biden rejoindra l'Accord de Paris. Mais une simple adhésion ne suffit pas. Biden utilisera tous les outils de la politique étrangère américaine pour pousser le reste du monde à élever ses ambitions aux côtés des États-Unis", a même assuré Jamal Brown, l'attaché presse de la campagne du candidat démocrate, dans une récente interview au site américain Vox. »

Discours de campagne vs réelles ambitions

Des déclarations encourageantes pour la lutte contre le réchauffement climatique, certes, mais qui restent dans le cadre d'un discours de campagne. "S'ils réintégrent l'Accord de Paris, les Etats-Unis devront d'abord définir des engagements à l'échelle domestique. Avant d'aborder les outils pour mobiliser la communauté internationale, ils doivent se montrer crédibles sur le plan national", pointe Carole Mathieu, responsable des politiques européennes au centre Energie et Climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Alors, que pourrait signifier concrètement un retour des Etats-Unis dans l'Accord de Paris ? Quelles conséquences pour la lutte contre le changement climatique ? Quel rôle pourraient y occuper les Etats-Unis ? Et, quid des relations internationales, toujours marquées par la guerre commerciale sino-américaine ? Pour comprendre les enjeux de ce potentiel retour, il faut aussi revenir sur les conséquences du retrait des Etats-Unis de l'Accord de Paris. Ici, le calendrier a toute son importance.

Remontons au 1er juin 2017. Donald Trump annonce, depuis Washington, le retrait isolé des Etats-Unis de l'Accord de Paris. Très fort symboliquement, ce retrait est toutefois soumis à un préavis de plusieurs années. Juridiquement, les Etats-Unis font donc encore partie de cet accord multilatéral. Leur retrait effectif n'interviendra que ce mercredi 4 novembre, au lendemain donc des élections présidentielles. "Dans les faits, les Etats-Unis n'ont jusqu'à présent jamais quitté l'Accord "

« Dans les faits, les Etats-Unis n'ont jusqu'à présent jamais quitté l'Accord de Paris. Et, malgré l'annonce de Donald Trump, les négociateurs américains sont toujours restés à la table des COP [conférence des parties, ndlr], jusqu'à la COP25 qui s'est déroulée en 2019. La première où ils devaient s'absenter était la COP26 de 2020, mais cette dernière a été repoussée à fin 2021, en raison de la crise sanitaire", retrace Carole Mathieu. » Lorsque Donald Trump a annoncé formellement vouloir se retirer de l'accord, la communauté internationale redoutait que ce désengagement en entraîne d'autres. "Cela n'a pas été le cas, il n'y a pas eu d'effet domino et cela a démontré une certaine unité des parties", commente Carole Mathieu. Mais l'attentisme des Etats-Unis a cassé une dynamique.

« L'absence des Etats-Unis sur les questions climatiques a engendré un relâchement de la pression internationale. Même s'ils étaient toujours à la table des COP, la dynamique n'était plus la même. L'objectif était de préserver les intérêts américains et non d'entretenir la mobilisation internationale dans la lutte contre le changement climatique", explique la spécialiste. »

Un signal politique immense

Si Joe Biden est élu, le retrait effectif des Etats-Unis de l'Accord de Paris serait donc de courte de durée. L'annonce formelle d'une réintégration pourrait se faire dès le 21 janvier 2021, date officielle de l'entrée en fonction du nouveau président. Pour un retour effectif, il faudra ensuite compter un mois après le dépôt des instruments de ratification. Ce qui nous amène à fin février.

« Ce serait une première étape indispensable et ce serait un signal politique et diplomatique immense, mais cela ne suffira pas", commente Lucile Dufour, responsable des politiques internationales chez Réseau action climat. »

"Les Etats-Unis devront définir une cible de réduction de leurs émissions pour 2030 qui soit suffisamment ambitieuse par rapport à leur poids dans les émissions globales", poursuit-elle. "Joe Biden n'en a pas parlé dans le cadre de sa campagne et il se garde bien de partager un chiffre", abonde Carole Mathieu. La question de la mise en oeuvre de la politique climatique des Etats-Unis sera aussi déterminante. "Elle dépendra des modalités d'élection de Joe Biden, s'il a les mains liées ou non par le Congrès, et de la composition de la Cour suprême", pointe Lucile Dufour. "Il ne faut pas oublier que l'administration Trump a détricoté de manière systématique toutes les avancées de l'administration Obama sur les questions énergétiques", rappelle-t-elle.

Se faire une place au côté du nouveau tandem Chine-UE

Les Etats-Unis prendront-ils un rôle de premier plan dans cette mobilisation comme l'affirme le candidat démocrate ? Rien n'est moins sûr.

« A moins d'un changement radical de politique, les Etats-Unis n'auront plus le même poids du fait du retard qu'ils ont accumulé ces dernières années, alors même que la Chine veut afficher une position de leader en matière climatique", estime Anne-Claire Roux, directrice générale de Finance for tomorrow, la branche dédiée à la finance verte de Paris Europlace. »

Avec l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, "un nouveau leadership s'est structuré entre l'Union européenne et la Chine. L'UE est prête à relever ses objectifs et la Chine [aujourd'hui, le premier pollueur mondial, ndlr] a aussi fait des annonces en s'engageant à atteindre la neutralité carbone en 2060", complète Lucile Dufour. "La question est de savoir comment les Etats-Unis vont parvenir à se réinsérer dans cette dynamique alors que les relations entre la Chine et les Etats-Unis restent très complexes et qu'elles risquent d'être encore tendues si Joe Biden est élu", poursuit-elle.

D'ailleurs, la question du climat dans le commerce international pourrait se renforcer. « Joe Biden prévoit d'intégrer le climat à sa politique étrangère et commerciale. On peut donc s'attendre à voir apparaître une taxe carbone aux frontières. Cela reste toutefois une carte à manipuler avec précaution, car la mise en place d'un tel dispositif doit être irréprochable du point de vue de l'Organisation mondiale pour le commerce (OMC). Autrement dit, pour imposer une taxe carbone aux frontières, il faut, au préalable, qu'il y ait un équivalent au niveau domestique, prévient Carole Mathieu. »

Réouverture du dialogue

Si l'hypothétique retour des Etats-Unis dans l'Accord de Paris soulève un certain nombre de questions et d'attentes, tous les experts s'accordent sur un point : ce retour permettrait de réouvrir le dialogue. Un point clé, car "aujourd'hui, il est impossible de traiter de la question du climat avec les Etats-Unis", affirme Carole Mathieu. Dans le cas d'une élection de Joe Biden, "nous pouvons imaginer des coopérations techniques, des efforts communs et des partenariats sectoriels. La taxonomie verte adoptée par l'Union européenne pourrait être, par exemple, un sujet de discussions", estime-t-elle.

Les Etats-Unis pourraient ainsi vouloir s'inspirer des travaux européens en matière de finance verte, considérée comme le nerf de la guerre dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Les Etats-Unis ont pris beaucoup de retard par rapport à l'Europe, qui a réalisé un énorme travail ces dernières années. Elle a notamment adopté une taxonomie verte pour flécher les financements vers les activités durables. Elle travaille aussi sur une standardisation des green bonds et sur un écolabel pour les produits financiers", rappelle Anne-Claire Roux.»

Effet d'entraînement

Autre répercussion positive espérée : un effet d'entraînement. Si les Etats-Unis prennent des engagements ambitieux dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, cela pourrait encourager d'autres pays à prendre des initiatives similaires. Cela vaut notamment pour l'Australie et le Japon qui sont des pays très sensibles à la politique climatique américaine, mais aussi pour de grands pays émetteurs, comme l'Inde, le Brésil ou encore l'Afrique du Sud.

« Si le scénario Biden l'emporte, cela laisse l'espoir d'une issue plus favorable pour la COP26, même s'il n'y aura que quelques mois seulement pour mobiliser toutes les parties", résume Carole Mathieu. » En attendant, le bilan climatique des Etats-Unis des quatre dernières années reste en demi-teinte. Sous l'administration Trump, les émissions ont continué de baisser, mais à un rythme plus lent. En 2019, les émissions de gaz à effet de serre du pays ont ainsi diminué de 12% par rapport au niveau de 2005. "Or, la cible présentée à l'époque était située entre -26 et -28% d'ici à 2025. Cette cible a donc peu de chances d'être atteinte", note Carole Mathieu.

Un bilan climatique pas si dramatique

L'année dernière, les États-Unis ont consommé plus d'énergies renouvelables que de charbon pour la première fois depuis 1885, selon l'EIA, l'Agence d'information sur l'énergie. La consommation nationale a, quant à elle, diminué d'un cinquième sur les trois premières années du mandat de Donald Trump et, Covid oblige, devrait chuter encore cette année. Depuis dix ans, l'éolien a triplé sa production (8,5 % de l'électricité), tandis que celle du solaire a été multipliée par cinq au cours des cinq dernières années (2,4 %). Si le bilan n'est pas si dramatique aujourd'hui c'est grâce aux multiples engagements volontaires pris par les villes et les Etats, indépendamment du gouvernement fédéral. Au lendemain du discours de Donald Trump de juin 2017, plusieurs coalitions ont vu le jour, dont la très emblématique "We are still in" (comprendre, "Nous sommes toujours dans l'Accord"). Elle réunit 125 villes, 9 États, 902 entreprises et 183 universités déterminés à respecter les promesses de réduction des émissions. Au cours de ces quatre dernières années, les plus progressistes ont donc continué à avancer, tandis que les plus récalcitrants ont pu ne faire aucun effort. Ce sont eux que Joe Biden, s'il est élu, devra embarquer.

 > Lire l'article sur le site de La Tribune

Decoration

Média

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
carole_mathieu_nb.jpg

Carole MATHIEU

Intitulé du poste

Ancienne Responsable des politiques européennes au Centre Énergie et Climat de l'Ifri

Sujets liés