Brexit et énergie : vers un accord perdant-perdant ?
À long terme, le Brexit va nuire aux intérêts du Royaume-Uni et de l'Union européenne, en matière d'énergie.
Avec son discours du 17 janvier dernier, Theresa May semble s'être rendue à l'évidence : en s'engageant sur la voie du Brexit, le Royaume-Uni devra inévitablement quitter le marché commun. En rester membre supposait d'accepter l'inacceptable pour les Brexiters, à savoir se conformer aux quatre libertés fondamentales que sont la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes, ainsi qu'à l'ensemble des règles adoptées par Bruxelles pour garantir leur mise en œuvre.
La clarification est bienvenue, mais elle est plus mince qu'il n'y paraît, car la Première ministre s'est empressée d'ajouter que le Royaume-Uni chercherait à obtenir de ses partenaires européens un accord de libre-échange « global, audacieux et ambitieux ». En clair, Londres veut conserver un accès au marché commun aussi large que possible, tout en restreignant l'immigration européenne et en rejetant tout transfert de souveraineté. L'énergie fera assurément partie de ces domaines pour lesquels le Royaume-Uni bataillera dur pour conserver ses avantages commerciaux.
L'énergie, un non-sujet pour les défenseurs du Brexit
Bien loin d'avoir été un thème phare dans la campagne pour le Brexit, la politique européenne de l'énergie peut difficilement être présentée comme un fardeau pour Londres, tant ses propres intérêts et ceux de ses voisins se confondent sur cette question. Le Royaume-Uni est habituellement à l'avant-garde, que ce soit concernant l'ouverture à la concurrence des secteurs électrique et gazier ou encore les efforts de lutte contre le changement climatique. En matière d'énergie, Londres est à la fois un moteur et une source d'inspiration pour les législateurs européens. Certes, les rigidités bruxelloises ont pu occasionnellement contraindre certaines initiatives outre-Manche, comme lorsque des contrats d'achat de long-terme ont été introduits pour assurer le renouvellement du parc nucléaire national. Mais, sur ce dossier comme sur d'autres, Bruxelles s'est finalement rangée à la logique des Britanniques, moyennant quelques aménagements règlementaires.
Les échanges d'électricité risquent néanmoins d'être entravés
Plus fondamentalement encore, le Royaume-Uni dépend de l'Union européenne pour une partie de ses approvisionnements énergétiques, et en particulier pour la couverture de ses besoins en électricité. Les importations depuis le continent assurent 9% du bilan électrique outre-Manche. Il n'y a certes aucun doute sur le fait que le courant continuera d'emprunter les infrastructures qui relient actuellement le Royaume-Uni à la France, à l'Irlande et aux Pays-Bas.
Il apparaît également peu probable que des droits de douane soient soudainement appliqués à l'électricité, dans la mesure où même un pays comme la Russie en est exempté pour ses échanges avec la Finlande et les pays baltes. La véritable difficulté concerne les modalités de ses échanges aux frontières. Depuis près d'une décennie, les régulateurs européens de l'énergie ont œuvré à l'harmonisation des règles de fonctionnement de leurs marchés nationaux, pour exploiter aux mieux les complémentarités entre les bouquets électriques nationaux et favoriser les transferts d'électricité depuis les régions en surplus vers les régions déficitaires. Londres pourra évidemment négocier des arrangements alternatifs avec chacun de ses voisins, mais le résultat risque fort d'être moins efficient que le modèle cible poursuivi par Bruxelles. Des transactions a priori profitables risquent de ne plus pouvoir être conclues, avec des répercussions négatives sur le coût d'approvisionnement en électricité dans son ensemble.
La remise en cause du projet européen de marché électrique intégré
C'est peut-être surtout à long-terme qu'un Brexit « dur » nuirait aux intérêts énergétiques du Royaume-Uni et de l'UE. Ce marché intégré, encore en construction, est un atout indéniable pour le système électrique de demain, car plus les énergies renouvelables intermittentes se développent, plus il devient pertinent d'exploiter les différences en termes de ressources et de choix nationaux. Cette logique est si forte que pas moins de huit projets de nouvelles interconnexions entre la Grande-Bretagne et les autres pays membres du marché commun sont aujourd'hui en construction ou à l'étude.
Leur fondement économique se trouve nécessairement affecté dès lors que les mécanismes qui régiront le fonctionnement de ces nouvelles infrastructures ne sont plus connus. En outre, ces investissements risquent fort de ne plus bénéficier des différents dispositifs de soutien européens, puisque le Royaume-Uni ne souhaite plus contribuer au budget général. Enfin, il faut rappeler que le climat d'incertitude générale autour du Brexit incite les investisseurs à la prudence et que toute restriction sur la circulation des travailleurs et l'importation des matériaux renchérit le coût des projets. Or, pour les échanges d'électricité, la proximité géographique est une contrainte fondamentale et ce n'est pas en devenant « véritablement global » et en tissant des liens commerciaux par-delà les océans que le Royaume-Uni assurera son avenir électrique.
La perte d'un moteur essentiel pour la politique européenne de l'énergie et du climat
Pour les vingt-sept autres États membres, le bilan serait relativement moins lourd, même si le continent gagne aujourd'hui à pouvoir exporter son excédent de production nucléaire et qu'il gagnerait aussi, à terme, à être relié aux nouveaux outils de production britanniques, notamment éoliens. Dans une certaine mesure, c'est la perspective d'une transition énergétique européenne au moindre coût qui s'éloigne, même si les vingt-sept peuvent aussi choisir de renforcer leurs liens, par exemple en accélérant les projets électriques destinés à relier l'Irlande au continent. Sur le plan politique également il y a peut-être matière à espérer des avancées, en termes d'ambition pour l'efficacité énergétique ou encore de gouvernance européenne pour le déploiement des énergies renouvelables. Néanmoins, ces quelques points sur lesquels Londres cesserait de freiner l'élan européen sont une maigre consolation face à la perte d'un allié influent dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique. Avec le Brexit, il faudra rouvrir la discussion sur les objectifs climatiques européens pour 2030, au risque que l'ambition européenne ne soit finalement diluée.
Assurément, le Brexit n'est pas une bonne nouvelle pour le secteur de l'énergie, et le Brexit « dur » l'est encore moins. Reste à espérer, comme Theresa May, que les négociateurs sauront faire preuve de suffisamment de souplesse et d'imagination pour limiter les dégâts.
Lire l'article sur le site de LaTribune.fr
Média
Partager