Redéfinir l'avenir énergétique des Pays-Bas : les implications sociétales de la fin de l'exploitation gazière
Les Pays-Bas s’apprêtent à tourner la page de la production domestique de gaz. C’est un défi technique mais aussi sociétal tant les controverses autour de l’ambition climatique sont vives. Un exercice de clarification stratégique s’impose pour que le pays puisse mener avec succès sa transition énergétique.
Après la découverte du grand champ gazier de Groningue en 1959, les Pays-Bas ont progressivement construit des infrastructures gazières qui irriguent l’ensemble de la société et assurent encore aujourd’hui la couverture de 44% de la demande énergétique totale et de 69% de la demande énergétique des ménages. Les revenus tirés de l'exploitation de Groningue ont joué un rôle essentiel dans le financement de l'Etat-providence néerlandais, assurant jusqu’à 18% des recettes budgétaires en 1985.
Après la découverte de champs gaziers de plus petite taille en mer du Nord dans les années 1970, il a été décidé de préserver les ressources de Groningue et de s’en servir comme stabilisateur du marché gazier. Par la suite, la perspective de la fin de l’exploitation de Groningue a convaincu les Pays-Bas de devenir le principal « hub » gazier européen en se dotant de grandes capacités de stockage et de regazéification et en renforçant ses interconnexions avec tous les pays voisins.
Néanmoins, la multiplication des séismes dans la région de Groningue a conduit à une vague de protestation contre les politiques énergétique et gazière des Pays-Bas. Ce mécontentement s’est aussi exprimé au travers d’attaques en justice menées contre l’Etat pour non-respect de ses engagements climatiques. Dès lors, les plans de développement du secteur gazier ont dû être revus et la fermeture de Groningue avancée à 2023. En parallèle, les partis populistes ardemment opposés à des politiques climatiques ambitieuses ont vu leur popularité s’accroître.
Avec un parlement plus fragmenté que jamais et après un an de négociations entre partis, le gouvernement de coalition entré en fonction en janvier 2022 a annoncé de nouveaux objectifs climatiques très ambitieux mais aussi partiellement controversés, comme le projet de construction de deux nouvelles centrales nucléaires et un intérêt renouvelé pour l’exploitation des réserves gazières restantes en mer du Nord. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a contribué à accélérer ces initiatives et à les compléter par d’autres mesures comme l’extension des capacités de regazéification, l’intensification des efforts d’exploration en mer du Nord et une levée des restrictions sur l’utilisation des centrales électriques au charbon.
La guerre en Ukraine crée de nouveaux questionnements sur le cap à tenir pour sortir de la dépendance gazière et mener la transition énergétique. Les Pays-Bas devront opérer un changement de mentalité pour qu’une « fierté de la transition énergétique » succède enfin à la « fierté gazière ». Ensuite, ils devront proposer à la fois un récit convaincant mais aussi mettre en avant des bénéfices concrets pour tous, y compris pour les opposants à la transition, tout en anticipant les bouleversements géoéconomiques liés à l’essor des technologies bas carbone. Enfin, il convient d’écarter toute décision qui renforcerait encore le verrouillage gazier de la société néerlandaise et donc les controverses autour de la transition énergétique.
Cette publication est disponible en anglais uniquement: "Redefining the Netherlands' Energy Future: Societal Implications of the Nearing End of Dutch Natural Gas"
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