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Massacres à Béni, la fausse piste djihadiste

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Depuis octobre 2014, un groupe armé commet des massacres dans le grand nord du Kivu, à l’est de la RD-Congo. Le régime attribue ces massacres à des islamistes ougandais. Rien n’est moins sûr, toutefois, selon les chercheurs Jean Battory et Thierry Vircoulon, de l’Ifri.

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On observe une trêve dans le grand nord Kivu depuis novembre 2016. Les massacres de civils dans la région de Béni sont suspendus. « Il y a des assassinats ici et là dans les champs : mais plus d’opération d’envergure », témoigne l’abbé Aurélien Rukwata, directeur de la Commission Justice et Paix de Butembo-Beni, joint par La Croix, vendredi 10 mars.

Trois ans de crimes impunis

Depuis l’automne 2014, un groupe non identifié attaque des villages de la région de Beni pour y tuer les habitants à la machette. Enfants, femmes enceintes, vieillards ont été retrouvés démantelés. Selon l’enquête conduite par la commission Justice et Paix, ces attaques auraient tué « au moins 1 500 personnes ».

À ce stade, impossible de vérifier ce chiffre. « Notre bilan est documenté », affirme l’abbé Ruwata. La radio de l’ONU, radio Okapi, parle de « milliers de civils massacrés depuis octobre 2014 dans le territoire de Beni et ses environs par des présumés rebelles ougandais des ADF. »

Qui sont les tueurs ?

Pour le moment, c’est un mystère car ces crimes ne sont pas revendiqués. Kinshasa incrimine le groupe armé des Forces démocratiques alliés (ADF) : des combattants musulmans ougandais opérant dans le grand nord Kivu. Bien implantés dans la région, ils recrutent dans la population et sont soutenus par des personnalités locales.

Le régime congolais et les Casques bleus de la Monusco ont affirmé à plusieurs reprises que les ADF étaient en lien avec les islamistes somaliens Chebab. Une connexion établie à la suite de la participation de l’Ouganda dans la force internationale qui combat les Chebabs en Somalie.

Les ADF sont-ils vraiment responsables de ces massacres ?

Dans une note de l’Institut français des relations internationales (Ifri), les chercheurs Jean Battory et Thierry Vircoulon émettent des doutes.

Les ADF n’ont pas les caractéristiques habituelles d’un groupe armé islamiste, constatent-ils : « Ils ne font pas de propagandes islamistes par vidéo ou par Internet et ne pratiquent pas la « djihadosphère » contrairement aux Chebabs ».

Les deux chercheurs notent que « leur islamisme est très discret, voire évanescent. » Et enfin, « les ADF ne sont pas dans une logique de recrutement de croyants et d’expansion d’un califat en Afrique mais dans une logique de sanctuarisation territoriale. »

Ils soulignent, en revanche, les manquements de l’armée congolaise dans les tueries de Béni : manque de réactivité, refus d’intervenir et collusions entre les ADF et certaines unités de l’armée congolaise. « Le mystère des ADF semble s’inscrire dans la longue tradition de complicité et d’instrumentalisation des groupes armés dans l’est de la RDC par le commandement de l’armée congolaise », écrivent-ils.

Et de conclure : « L’islam radical est devenu un outil pratique pour les régimes dictatoriaux qui ont besoin de justifier leur répression interne et de s’attirer les bonnes grâces des puissances du Nord. »

Qu’en pense-t-on sur place ?

La thèse de la responsabilité des ADF dans ces massacres ne convainc pas à Béni. « Nous ne pouvons pas affirmer ou infirmer que les ADF sont responsables de ces crimes », répond, prudent, le directeur de la Commission Justice et Paix de Butembo-Beni. Mais il ajoute, aussitôt : « Beaucoup affirment que c’est le gouvernement et les populations rwandaises qui sont les commanditaires de ces crimes pour balkaniser la région ».

C’était le point de vue du religieux assomptionniste Vincent Machozi, assassiné dans la nuit du 20 mars 2016. Peu de temps avant d’être tué, il avait accusé sur son site Internet Beni-Lubero, le président Joseph Kabila et le président rwandais Paul Kagame d’être les commanditaires des massacres. Selon lui, ils instaureraient un climat de terreur afin de pousser la population à quitter leurs terres, une zone dont le sous-sol est riche en coltan.

Dans son dernier message avant d’être assassiné, le P. Machozi écrivait : « Les tuniques des musulmans aident la diversion qui tend à masquer la face rwandaise de l’occupation pour faire avancer la thèse de l’islamisme El-Shebab ou Boko Haram qui n’a jamais réussi à convaincre un seul Congolais tellement la face du Rwanda est visible partout. »

 

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Thierry VIRCOULON

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Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri