La répression religieuse et culturelle en Chine à son paroxysme : islam ouïgour, bouddhisme tibétain et christianisme
La Chine de Xi Jinping ne s’en prend pas seulement aux Ouïgours musulmans, elle a toutes les religions dans le collimateur, explique le sinologue Claude Meyer dans une tribune à « l’Obs ». Mais il y a fort à parier qu’elle ne pourra freiner le renouveau spirituel spectaculaire que le pays connaît depuis le début des années 1980.
Le 20 janvier, l’Assemblée nationale a voté une résolution qui condamne comme « constitutive de crimes contre l’humanité et de génocide » la répression par le régime chinois de la minorité musulmane ouïgoure. Ces accusations avaient déjà été exprimées par l’exécutif américain, la Chambre des Communes canadienne et cinq Parlements européens.
La répression au Xinjiang
Pour combattre « le terrorisme, la radicalisation et le séparatisme », les autorités chinoises ont réprimé pendant des décennies les Ouïgours et les Kazakhs, minorités turcophones d’environ 10 millions de personnes concentrées dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine. Depuis 2016, la persécution s’est faite encore plus impitoyable et a transformé la province en un vaste Etat policier : camps d’internement extrajudiciaires, mesures coercitives et généralisées de contrôle des naissances, séparation des enfants de leur famille, travail forcé d’anciens détenus, etc. Ces exactions sont largement documentées, notamment dans les documents officiels chinois révélés en 2019 par le « New York Times » et le Consortium international de Journalistes d’Investigation (Icij), auxquels s’ajoutent les travaux du chercheur Adrian Zenz et des témoignages individuels. Selon l’analyse approfondie de ces matériaux effectuée par la commission du Congrès américain sur la Chine, Pékin se rend coupable de cinq crimes contre l’humanité tels que définis dans l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale : emprisonnement en violation des règles fondamentales du droit international, torture, asservissement, disparition de personnes, persécution pour des motifs politiques, raciaux, ethniques, culturels et religieux.
L’accusation de génocide, quant à elle, est contestée par certains observateurs car, selon eux, les mesures répressives mises en œuvre par la Chine − composée à 92 % de Hans, l’ethnie principale −, ne prouvent pas une volonté délibérée de détruire l’ethnie ouïgoure. La Convention sur le génocide des Nations unies ratifiée en 2019 définit ainsi ce crime : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel … ». La précision « en partie » est importante, car parmi les éléments matériels constitutifs de ce crime selon l’ONU figurent les « mesures visant à entraver les naissances ». Or un faisceau d’indices indique bien la volonté de la Chine de bloquer la croissance naturelle de la population dans les ethnies minoritaires du Xinjiang.
Déportations, viols, génocide culturel : la tragédie sans fin du peuple ouïgour
Les mesures coercitives de contrôle des naissances ont explosé, entraînant une forte baisse du taux de natalité dans la province. En 2018, par exemple, le nombre de stérilisations par habitant y était sept fois supérieur à la moyenne nationale et 80 % des stérilets posés dans le pays l’ont été dans cette région, qui ne représente pourtant que 1,8 % de la population. La réduction des naissances s’accompagne de mesures incitatives pour attirer des citoyens hans dans la province; ces derniers représentent aujourd’hui plus de 45 % de la population du Xinjiang contre 6 % en 1949 et sont devenus majoritaires dans la capitale Urumqi. Il s’agit bien de dissoudre l’identité ouïgoure par l’assimilation forcée à l’ethnie majoritaire dans une démarche de nettoyage ethnique. Selon une dépêche de l’AFP du 25 octobre 2018, un responsable le confirmait d’ailleurs brutalement : « Brisez leur lignée, brisez leurs racines, brisez leurs connexions et brisez leurs origines. »
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Cette répression a une forte dimension religieuse, car la foi musulmane est un élément essentiel de l’identité ouïgoure et kazakhe. Porter le voile, la barbe, faire le ramadan, prier, donner à son enfant un prénom inspiré du Coran, ne pas manger de porc, ne pas boire d’alcool : beaucoup d’expressions traditionnelles de l’islam sont interdites au Xinjiang et durement sanctionnées. Pour le pouvoir, ce sont en effet des signes de radicalisation qui justifient l’internement dans des camps de rééducation, pudiquement appelés « centres de formation professionnelle ». On estime qu’environ deux millions de Ouïgours ont été arbitrairement détenus dans ces camps depuis 2017.
La persécution du bouddhisme tibétain et du christianisme
L’écho médiatique rencontré par la persécution des musulmans au Xinjiang ne doit pas faire oublier celle qui s’exerce aussi contre deux autres religions, le bouddhisme tibétain et le christianisme. Le Tibet est soumis à un contrôle politique étouffant et à une intense répression de nature religieuse qui vise aussi à détruire l’identité tibétaine par l’effacement de la langue et de la culture. Comme au Xinjiang, les aspects politiques, culturels et religieux sont étroitement imbriqués, mais il est clair que l’objectif majeur du pouvoir est de saper l’autorité du dalaï-lama auquel le Parti communiste chinois prête des visées séparatistes, et d’étouffer le bouddhisme tibétain : la population monastique a été décimée en soixante ans, passant de 120 000 religieux en 1949 à 46 000 en 2019.
La politique religieuse à l’égard du christianisme répond à d’autres motivations. L’essor spectaculaire de cette religion « étrangère » menace la primauté du Parti qui la réprime de plus en plus durement depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012. Selon l’ONG Portes ouvertes, la Chine est passée entre 2018 et 2021 du 43e au 17e rang des pays où la persécution des chrétiens est la plus sévère. De plus, cette religion importée est vue comme le vecteur de « forces étrangères hostiles » qui visent à saper la légitimité du régime. Face à cette menace, la répression des Eglises chrétiennes, clandestines en majorité, s’accompagne d’une entreprise de « sinisation » du christianisme pour le rendre conforme aux « caractéristiques chinoises », y compris les valeurs socialistes.
La répression s’applique ainsi de façon différenciée à chaque groupe religieux selon le niveau de menace qu’il représente aux yeux du pouvoir. Cependant, échec cinglant pour un Parti qui se veut porteur d’un athéisme militant, elle ne peut freiner le renouveau spirituel spectaculaire que la Chine connaît depuis le début des années 1980. L’avenir dira si une telle stratégie d’endiguement pourra être maintenue durant les prochaines décennies sans menacer la stabilité sociale et donc la survie du régime jusqu’à son 100e anniversaire en 2049.
> Retrouvez la tribune complète sur le site de L'Obs.
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