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COP24 : « la Pologne aura une grande responsabilité en 2018 »

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Au lendemain de la COP23, L’Energeek a demandé au directeur du Centre énergie de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Marc-Antoine Eyl-Mazzega, d’évoquer l’avenir de l’Accord de Paris et les grands enjeux du secteur de l’énergie…

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  • Quelles sont les grandes échéances attendues par votre groupe de réflexion (COP24, Winter Package…) ?

Au centre énergie de l’Ifri, nous avons la particularité d’étudier les marchés et les problématiques énergétiques sous le prisme de la géopolitique. Nous cherchons à comprendre les équilibres et les bouleversements que les enjeux énergétiques entraînent pour les acteurs des relations internationales que sont les Etats, grandes entreprises ou les mouvements citoyens. Depuis notre création, nous nous interrogeons sur les défis posés par l’instabilité au Moyen-Orient, par l’équation russe, la politique américaine, ou encore par la montée en puissance des pays émergents. A présent, nous réfléchissons aussi de plus en plus aux grands enjeux contemporains, dont font partie la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. La problématique pourrait se résumer ainsi : comment réduire, progressivement, notre dépendance vis-à-vis des énergies émettrices de gaz à effet de serre afin de constituer un bouquet énergétique neutre en carbone ?

Et ce défi est immense ; il interroge non seulement l’Union Européenne, la Chine, l’Inde et les Etats-Unis, mais surtout il concerne le monde entier. Avec une question centrale pour le secteur de l’énergie : comment réduire la part du charbon ? En Europe, l’Allemagne et la Pologne restent d’importantes consommatrices, tandis que la France et l’Italie ont décidé d’arrêter l’exploitation de cette ressource. A cet égard, nous qui décryptons la gouvernance mondiale de l’énergie, nous pensons que l’attribution de la présidence de la COP24 à la Pologne est plus que symbolique. En effet, le système énergétique de la Pologne est similaire à celui de la plupart des pays émergents. A la différence de ses voisins, la Pologne n’est pas dotée de centrales nucléaires, de telle sorte qu’aujourd’hui environ 80% de son électricité est produite au charbon, comme c’est le cas pour la Chine, l’Inde, ou encore l’Afrique du Sud. Pour ces raisons, la Pologne aura une grande responsabilité en 2018, mais elle bénéficiera aussi d’une grande légitimité pour convaincre nos partenaires de tenir le cap de la transition énergétique et de renforcer leurs ambitions. Néanmoins, on peut mesurer l’effort que cela représenterait pour les économies de ces pays en comparant avec l’exemple allemand, où 40% de l’électricité est encore produite au charbon. En pleine Energiewiende, plus la 4ème économie mondiale installe des énergies renouvelables, plus la production d’électricité au charbon augmente. Une situation non satisfaisante au regard des objectifs climatiques de la Chancelière allemande, ainsi que du leadership européen.

D’ailleurs, nous suivons également attentivement les enjeux politiques et réglementaires des instances communautaires, en particulier les travaux liés au « Paquet Hiver ». De ces textes dépendent les ambitions climatiques de notre continent pour 2030 et 2050, et donc la capacité à articuler la transition énergétique avec l’Accord de Paris. Une première étape indispensable, avant de redoubler d’efforts pour s’inscrire dans la trajectoire des 2°C.

  • Peut-on dire que la Chine et l’Inde sont les moteurs de la « croissance verte », en développant concomitamment le nucléaire et les ENR ?

Il faut distinguer la situation de l’Inde et de la Chine. Toutefois, ces deux pays vont représenter 50% de l’accroissement de la demande énergétique mondiale d’ici 2040 – cette hausse de la demande totale équivaudrait elle-même 30% de la consommation mondiale actuelle. Qui plus est, ils dépendent encore très largement du charbon et développent massivement le nucléaire. C’est pourquoi, ce qui se passera dans ces deux pays lors des prochaines décennies est absolument crucial pour le reste du monde.

La Chine d’abord, s’est imposée comme la championne de l’installation et du déploiement de nouvelles capacités d’énergies éolienne et solaire. Au cours des 2 dernières années, elle est restée au 1er rang des pays installateurs, au point qu’elle dispose désormais sur son territoire de presque 50% des capacités renouvelables installées à travers le globe.

L’Inde se positionne également sur ces marchés, mais dans une moindre mesure. De plus, des doutes subsistent sur les capacités à mettre en œuvre de tels programmes industriels, du fait de son architecture institutionnelle complexe et du prix régulé de l’énergie en vigueur.

  • La France qui dispose d’un mix électrique similaire, basé sur la complémentarité entre EnR et nucléaire, est-elle assez audible sur la politique énergétique dans le cadre des négociations climatiques ?

La France a eu le mérite d’organiser la COP21 avec François Hollande. D’importants efforts ont été réalisés par Ségolène Royal et Laurent Fabius afin d’obtenir un consensus de la communauté internationale. Là encore, la présidence française n’était pas seulement symbolique : notre pays fait figure de bon élève, non seulement au sein de la classe européenne, mais aussi sur la scène internationale, avec un mix électrique décarboné grâce au nucléaire et EDF.

Pour autant, la France ne peut pas se contenter de se reposer sur les acquis de sa stratégie industrielle des années 1970. Pour espérer entraîner le reste du monde vers ce défi du XXIème siècle, elle doit se montrer ambitieuse. Elle se tourne d’ailleurs déjà sur les futures mutations industrielles, à commencer par le secteur des transports avec l’électromobilité et l’hydrogène, ou le bâtiment avec la domotique et l’efficacité énergétique. Pour réussir la transition énergétique, il n’y a pas une solution miracle mais une combinaison de technologies, qu’il faudra associer à une multitude de savoir-faire. Elle devra enfin être portée tant par des politiques publiques, que par de grandes entreprises comme Air Liquide ou Renault, et des centres de recherche à l’instar du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), où l’on se penche sur les nouvelles batteries afin de renforcer nos capacités de stockage d’énergie, dans une optique smartgrid. Des efforts très importants en terme de R&D doivent encore être fournis tant à l’échelle française qu’européenne.

  • Les sanctions adoptées contre la Russie depuis juillet 2014, affectent-elles les cleantechs, les énergies renouvelables ou le nucléaire ? Vladimir Poutine considère 2017 comme « l’année de l’environnement », cela est-il surprenant ?

Les sanctions contre la Russie ne concernent évidemment pas les EnR et les énergies propres. Cependant, elles induisent des effets macroéconomiques avec les restrictions d’accès au marché du crédit. Par conséquent, les capacités d’investissement ont fortement limité l’expansion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique au cours des dernières années. D’autant que la Russie est un pays dont le mix énergétique, et plus largement l’économie, reposent traditionnellement sur les hydrocarbures. Avec d’importantes exportations de pétrole et de gaz, la part du secteur primaire de son économie a certes était réduite, mais la rente énergétique reste primordiale.

Particulièrement si les autorités souhaitent continuer à investir dans le potentiel scientifique de ses ingénieurs qualifiés. Avec la faiblesse du rouble, son capital immatériel et son savoir-faire industriel mais aussi du fait de ses matières premières (réserves de terres rares et de lithium), le Kremlin dispose de toutes les cartes en main pour s’imposer comme un acteur incontournable de la transition énergétique mondiale. Pour l’instant, cela ne semble pourtant pas être une priorité et de nombreux blocages subsistent, avec des intérêts très divergents pour certains industriels, bien que Rosatom s’engage vers une diversification de ses activités. Ainsi, l’italien Enel a pu se positionner sur un programme soutenu par l’Etat et consacré au développement des énergies éolienne et solaire ; en réalité, cela reste relativement anecdotique compte tenu des volumes engagés.

  • En 2011, vous expliquiez qu’il était « très improbable que Téhéran puisse compter parmi les fournisseurs de gaz [de l’Union Européenne] à l’horizon 2017 « , la donne a-t-elle changée ? Peut-on envisager que l’Iran concurrence la Russie en Europe dans les prochaines années ?

L’Iran ne vend pas son gaz à l’étranger, à l’exception notable de la Turquie. Elle bénéficie de la seconde plus importante réserve au monde mais elle n’exporte pas sa production. Elle l’écoule en priorité sur son marché intérieur. Et si l’Iran est un grand producteur de gaz, qu’elle utilise aussi bien pour son industrie que pour son chauffage ou pour son commerce extérieur, elle n’existe pas sur le marché international du gaz. La question de la concurrence avec la Russie ne se pose donc pas, notre voisin conservera certainement ses parts de marché sur le vieux continent.

Du fait de son positionnement géographique, la question du transport du gaz – et de son coût – limite les possibilités d’exporter de l’Iran ; et même si l’accès aux terminaux GNL peut être envisagé depuis la levée des sanctions, cette solution concerne des volumes assez faibles. En revanche, il est certain que le pays va accroître son influence régionale, en développant avant tout ses échanges avec l’Inde et le Pakistan.

  • Dans votre note sur la situation énergétique de la Pologne vous rappelez « la Lituanie a aussi installé un petit terminal d’importation de GNL, et Gazprom s’est empressée de baisser le prix de ce gaz ». Quelle comparaison avec la France depuis l’ouverture du terminal méthanier de Dunkerque ?

La Lituanie est un pays relativement enclavé, formellement membre de l’Union européenne mais ses systèmes électriques et gaziers sont restés pendant longtemps davantage connectés à la Russie qu’à l’UE. Et pour cause, pendant longtemps son voisin de l’est, via Gazprom, est resté son seul fournisseur de gaz, en appliquant un prix reflétant cette situation monopolistique. Pour inverser le rapport de force, Vilnius a récemment décidé de se doter d’un terminal GNL flottant pour importer du gaz à la Norvège. Très rapidement, Gazprom s’est adaptée à la nouvelle donne du marché.

Le cadre de la France est totalement différent. Les approvisionnements sont très diversifiés, et l’explication de la hausse du prix du gaz se trouve probablement dans le comportement des marchés pétroliers et sont aussi à relier à la saison. En effet, bien que le prix du gaz ne soit plus directement indexé sur celui du pétrole, on observe encore des évolutions quasi-parallèles. Lors de cette période hivernale, il y a fort à parier que les marchés seront orientés à la hausse. De fait, avec un marché européen de plus en plus intégré, les prix seront fixés sur les principaux hubs européens, aux Pays-Bas et en Allemagne.

 

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Marc-Antoine EYL-MAZZEGA

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Directeur du Centre énergie et climat de l'Ifri