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Tensions territoriales autour du Japon : guerre improbable, paix difficile

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Tensions territoriales autour du Japon : guerre improbable, paix difficile
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Cet été 2012, les frictions se sont multipliées autour des territoires disputés entre le Japon et ses voisins (îlots et zones économiques exclusives) [1]. Le maintien du statu quo, qui semblait prévaloir jusqu’alors, semble être remis en cause par des stratégies nationales plus agressives, notamment de la part de la Chine, dans un contexte géopolitique en pleine évolution. Par ailleurs, le nationalisme reste toujours un moyen de mobilisation important pour les dirigeants dans la région, et empêche les éventuelles concessions.

Corps analyses

Nationalismes et politiques à courte vue relancent les querelles territoriales

La poussée de fièvre actuelle s’explique d’abord par la proximité d’échéances électorales dans les trois pays concernés (Chine, Corée, Japon).

En Corée, Lee Myung Back prépare sa sortie, la constitution lui interdisant de briguer un second mandat aux présidentielles de décembre. Très impopulaire, le Président Lee passe pour un " pro-japonais " qui a favorisé durant son mandat un spectaculaire rapprochement politique et stratégique avec Tokyo (participation historique des forces armées japonaises aux manœuvres américano-coréennes en juin dernier). Depuis juillet, le ton a changé : la signature d’un accord de coopération militaire inédit est annulée sans préavis et Lee Myung Back somme à plusieurs reprises les autorités japonaises de s’excuser pour les exactions commises durant la colonisation et la dernière guerre. Le 10 août, dans un geste de défi au Japon, le président coréen effectue une visite historique sur les îles Takeshima/Dokdo, un geste qu’approuve à plus de 80% l’opinion publique coréenne. Ces initiatives provoquent sans surprise de fortes protestations côté japonais, le Premier ministre menaçant de prendre des sanctions économiques (abandon d’un accord de swap de monnaie) et le Parlement adoptant une résolution - la première de ce type depuis 1953 - condamnant la visite du Président Lee sur les îlots contestés.

Ce brusque refroidissement dans les relations nippo-coréennes ne devrait toutefois pas se prolonger, les deux pays partageant fondamentalement de forts intérêts communs, économiques et stratégiques, vis-à-vis de la Corée du Nord. C’est également le message que souhaite faire passer l’allié américain, dont le retour en Asie s’appuie aussi sur une plus forte coopération entre ses partenaires de sécurité.

Côté chinois, la transition politique se déroule pour la première fois dans un contexte très tendu, marqué par des scandales à rebondissement comme l’affaire Bo Xilai. L’arrestation par Tokyo des 14 militants nationalistes venus de Hong Kong qui ont abordé sur les îles Senkaku/Diaoyu le 15 août, jour commémoratif marquant la fin de la guerre en 1945, a donc constitué une nouvelle occasion pour les autorités chinoises de détourner l’attention de la population et diriger les mécontentements sur le voisin japonais. La fermeté du régime communiste sur ce dossier hautement symbolique contribue en outre à lui apporter un surcroit de légitimité auprès de son audience nationale.

Il faut toutefois noter la modération et le sang-froid avec lesquels Pékin et Tokyo ont tenté de gérer cet énième incident autour des Senkaku, à la différence de l’accrochage de septembre 2010 qui avait laissé craindre une escalade politico-militaire. Les deux gouvernements, tout en campant fermement sur leur position en matière de souveraineté, se sont efforcés de calmer le jeu et contrôler les débordements nationalistes. Les dirigeants japonais ont donc décidé de ne pas prolonger la détention des activistes chinois et se sont désolidarisés de l’incursion, non autorisée, de 10 militants nippons sur les îles contestées.

Le gouvernement du Premier ministre Noda est en sursis, des élections anticipées pouvant être annoncées d’ici la fin de l’année. Sa situation de faiblesse laisse la voie libre au populisme nationaliste de figures telles que le maire d’Osaka (Toru Hashimoto - qui nie la responsabilité du Japon dans la tragédie des femmes de réconfort [2]) ou de Tokyo (Shintaro Ishihara - qui souhaite racheter certains îlots des Senkaku à un particulier japonais pour y renforcer la présence nippone). Si Yoshihiko Noda tente de surfer sur cette vague en adoptant une position inflexible sur les questions territoriales, il s’efforce également de modérer les attitudes par trop " va-t’en guerre ", critiquant notamment les projets de l’édile tokyoïte.

Ces gesticulations diplomatiques, si elles répondent à des préoccupations de politique intérieure, portent atteinte aux intérêts fondamentaux des pays de la région qui tireraient parti d’une plus grande coopération. Ces frictions renforcent l'instabilité stratégique et nourrissent le phénomène de course aux armements que connait la région est-asiatique ces dernières années.

Rivalité sino-américaine et course aux armements : un terreau fertile

La seconde raison - structurelle cette fois - qui explique l’intensification des frictions autour des territoires contestés est la transformation du contexte géopolitique asiatique et la militarisation croissante de la zone.

La montée en puissance de la Chine est le principal facteur systémique à prendre en compte. Pékin entretient en effet une sensibilité toute particulière à son intégrité territoriale et un tournant a été pris en mars 2010 quand la mer de Chine méridionale a intégré la liste des " intérêts fondamentaux " (core interests) au même titre que le Tibet, le Xinjiang, ou Taiwan. La stratégie chinoise, cherchant à élargir sa prééminence sur les eaux asiatiques à travers coups de force et faits accomplis inquiète fortement ses voisins asiatiques, qui réarment et se rapprochent des Etats-Unis.

Sans prendre position sur les querelles territoriales asiatiques, Washington favorise de facto ses alliés et partenaires de sécurité, en apportant notamment son aide aux pays d’Asie du Sud-est pour renforcer leurs capacités de défense maritimes, et en rappelant que les îles Senkaku sont protégées par le traité de sécurité nippo-américain.

Cet engagement laisse à penser que l’on assiste à un nouveau " grand jeu " en Asie orientale, ou chaque camp - pro-chinois ou pro-américain - avancent ses pions pour se constituer une sphère d’influence la plus large et solide possible.

Dans ce contexte, Tokyo resserre ses liens avec Washington et renforce la surveillance de ses frontières, ainsi que sa capacité d’intervention rapide pour défendre son territoire. Plusieurs manœuvres nippo-américaines visant à reprendre des îles japonaises envahies ont montré que les alliés étaient parfaitement entrainés à réagir à cette éventualité. Par ailleurs, les orientations de défense japonaises publiées en 2010 mettent en place des forces plus mobiles et plus dissuasives, en particulier face à la Chine, et le Japon va se doter de moyens de patrouille renforcés (avions, radars). Tokyo a récemment annoncé l’acquisition de drones de surveillance et de véhicules amphibies américains permettant d’aborder des îlots éloignés [3].

Si l’étendue des intérêts en jeu et l’implication des puissances militaires chinoises, américaines et japonaises rendent un conflit ouvert peu probable autour des territoires contestés, la multiplication des frictions est sans doute à craindre. Il convient donc de dissuader les attitudes trop ouvertement provocatrices et surtout d’établir des mécanismes de prévention et de résolution des crises. Fin juillet, Chinois et Japonais se sont ainsi entendus pour mettre en place une ligne rouge afin d’améliorer la communication entre les autorités militaires et éviter les incidents maritimes en mer de Chine orientale.

Pas d’issue à l’horizon

Il est probable que le statu quo perdure. L’intérêt à régler les différends territoriaux pour les pays impliqués peut en effet être discuté. La carte nationaliste est ainsi toujours utile à agiter pour justifier d’un raidissement diplomatique sur un dossier tiers. En outre, la résolution de tels différends implique des concessions dont le coût stratégique est très élevé. Plusieurs facteurs entrent en considération comme la politique intérieure (sensibilité de l’opinion publique) et la dimension régionale (implication de la résolution d’un différend sur la gestion des autres).

En Asie, le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de la non-ingérence reste une norme puissamment ancrée. Les pays de la zone ne sont donc pas encouragés à faire des compromis sur cette dimension fondamentale de leur identité. Le risque d’apparaitre " faible " dans une région ou les relations internationales sont encore sous l’égide des rapports de force est difficilement acceptable.

Enfin, les querelles territoriales en Asie du nord-est sont directement liées aux contentieux historiques entre les pays. L’agression japonaise au siècle dernier se retrouve, d’une façon ou d’une autre, au cœur du conflit. Seul un retour lucide sur le passé et un accord entre ancien agresseur et agressés permettra de dépasser ce qui constitue le " pêché originel " du Japon.


[1] Le Japon connait des différends territoriaux avec ses trois voisins : la Russie (Territoires du Nord /Kouriles du Sud), la Chine (Senkaku/Diaoyu) et la Corée du sud (Takeshima/Dokdo). Prenant leurs racines dans les ambigüités du Traité de paix de San Francisco de 1951, qui devait régler le sort de l’Archipel après sa défaite en 1945, ces querelles territoriales sont toujours vivaces, bien qu’elles n’aient jamais donné lieu à des affrontements armés. Dans deux cas, avec la Russie et la Corée, le Japon ne contrôle pas les îles, il est donc en position de challenger. Dans le cas des Senkaku, c’est le Japon qui contrôle les îlots qui sont aussi revendiqués par Pékin.

[2] Les " femmes de réconfort " sont des femmes majoritairement coréennes et chinoises qui ont été contraintes à la prostitution pour les forces impériales nippones jusqu’en 1945. Elles auraient été plus de 200 000.

[3] " New Japan Self Defense Force Initiatives on Amphibious Warfare, Global Hawk, Cyber-Terrorism”, Kyle Mizokami, Japan Security Watch, 28 August 2012.

 

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Céline PAJON

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Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

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L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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