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Quel avenir pour l'UE ? Pour une différenciation assumée par Paris et Berlin

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L’Union européenne (UE) se trouve dans une situation que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a décrite comme étant celle d’une « polycrise », les différentes crises – crise de la zone euro, crise des réfugiés, Brexit et crise de légitimité – ayant tendance à se renforcer mutuellement. Au regard de cette situation inédite, le maintien du statu quo, même avec quelques adaptations à la marge, ne peut plus être une option crédible.

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Avec son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, la Commission européenne vient de lancer un débat, afin d’explorer les voies permettant de faire face à cette « polycrise ». Elle a mis en avant deux options qui pourraient infléchir la trajectoire de l’UE :

  • Une différenciation accrue entre le niveau d’intégration des différents États membres qui pourrait prendre la forme d’une Europe à plusieurs vitesses, voire à géométrie variable, inscrite dans la durée.
  • Une concentration de l’UE sur un nombre réduit de champs d’intervention, tout en renforçant sa capacité d’agir dans certains domaines clés.

Le double débat sur une différenciation accrue et une concentration des domaines d’intervention est crucial pour l’avenir de la construction européenne, le maintien de sa cohésion et sa capacité à faire face à des défis nouveaux, notamment les incertitudes géopolitiques en provenance de Moscou et de Washington, les problèmes de terrorisme et de radicalisation, la mise en cause d’un ordre international basé sur le droit, les mutations et ruptures technologiques, ou encore la transition énergétique.

Le positionnement de la France et de l’Allemagne dans ce débat sera d’une importance primordiale pour son cours et ses résultats. Les deux pays ont déjà raté deux occasions d’approfondir ces questions. En 1994, quand Karl Lamers et Wolfgang Schäuble ont développé leurs idées d’une avant-garde européenne – un noyau dur (« Kern des Kerns ») – avec la France et l’Allemagne au centre de ce noyau dur, ils ont rencontré un désintérêt poli de la part du gouvernement d’Édouard Balladur qui a lancé une idée différente, celle d’une intégration flexible selon le schéma d’une géométrie variable de l’intégration en fonction du domaine concerné. Et en 2000, lorsque le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, est revenu sur cette question du noyau dur et d’une avant-garde de type fédéral, il s’est vu affubler du qualificatif de « joueur de flûte » par son homologue français, Hubert Védrine.

Faire des choix dans le processus d’intégration

Notre groupe de réflexion part d’un constat clair. Poursuivre en même temps les trois objectifs d’élargissement de l’UE, d’approfondissement du niveau d’intégration et de sauvegarde de l’homogénéité d’intégration pour tous les États membres n’est plus tenable à 27. Les trois objectifs forment un triangle impossible. Seuls deux de ces trois objectifs peuvent être poursuivis en même temps. Donc, il faut faire des choix. Les élargissements majeurs sont derrière nous, bien que demeure la question des pays des Balkans occidentaux (Serbie, Macédoine, Monténégro) auxquels l’UE a fait des promesses et qui sont tentés de regarder parfois vers d’autres solidarités par défaut, en particulier la Russie et la Turquie.

L’UE se trouve confrontée à un choix clair entre homogénéité et approfondissement. Dans cette UE à 27 devenue de plus en plus hétérogène à chaque étape d’élargissement, les deux objectifs sont devenus incompatibles.

Les deux obstacles politiques majeurs à surmonter sont récurrents :

  • Le refus d’un certain nombre de gouvernements de différents États membres d’aller de l’avant dans des domaines qu’ils considèrent au cœur de leur souveraineté nationale.
  • Le manque d’appétit et d’enthousiasme (c’est le moins que l’on puisse dire) des populations des États membres pour une nouvelle étape de centralisation des compétences au profit de l’UE.

Assumer les coopérations à quelques-uns

Le premier obstacle peut être surmonté en regroupant les États qui veulent et peuvent renforcer leur degré de coopération, voire d’intégration. La France et l’Allemagne ont un rôle clé à jouer en tant que force de proposition. Si le processus de consultation reste ouvert à tous ceux qui veulent activement participer, le leadership franco-allemand paraît tout à fait légitime. Il faut envisager la différenciation en priorité à l’intérieur des traités, en utilisant au maximum les procédures existantes, notamment celles de coopérations renforcées ou de coopération permanente structurée dans le domaine de la Politique étrangère de sécurité commune (PESC) et de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Tous les instruments existent pour qu’on utilise les traités sans une nouvelle réforme, qui ferait prendre le risque d’un rejet lors des procédures nationales de ratification.

Toutefois, si un certain nombre d’États veut bloquer une telle démarche de coopération renforcée ou structurée d’un sous-ensemble de l’UE, il ne faut pas hésiter alors à recourir à des accords ou des traités ad hoc à l’extérieur du cadre de l’UE qui devraient être reconnus comme conformes à l’esprit de l’Union. C’est exactement ce qui a caractérisé le lancement par la France et la République fédérale d’Allemagne (RFA) du Système monétaire européen en 1978-1979, lequel n’était pas ancré dans le droit communautaire. Ce fut également le cas de l’accord franco-allemand de Sarrebruck en 1984 sur la libre circulation des personnes entre les deux pays, qui a débouché sur l’accord de Schengen en 1985, intégré dans le droit de l’UE plus tard par le traité d’Amsterdam en 1997. Ce fut aussi le cas du traité budgétaire européen (« Fiscal Compact ») adopté en 2011, qui a fourni le dernier exemple en date de ce type de démarche. La voie à poursuivre est celle qui vise à définir le contenu de projets de coopération ou d’intégration dans des domaines d’action précis, et d’aller de l’avant avec les États qui y sont prêts. La forme institutionnelle et juridique que ces entreprises prennent doit être choisie en fonction du cercle de pays qui veulent y participer. Autrement dit : la forme doit suivre la politique publique.

Légiférer moins, mais mieux

Afin de surmonter le deuxième obstacle politique majeur – la méfiance d’une part croissante des populations de l’UE à un processus de transfert de compétences au niveau européen – il faut une disposition visant à réduire le niveau des intégrations dans des domaines d’action où la plus-value est faible, voire inexistante. C’est l’utilisation enfin réelle du principe de subsidiarité introduit par le traité de Maastricht qui a du mal à trouver son fonctionnement en pratique, malgré tous les efforts de la Commission Juncker pour réduire les domaines d’intervention de l’UE. À traités constants, le degré d’intervention de l’UE dans telle ou telle politique publique pourrait encore être réduit, le nombre de propositions nouvelles limitées, et un nombre de directives et de règlements encore abrogés à la suite du travail engagé par le vice-président néerlandais de la Commission, Frans Timmermans.

Notre groupe est conscient que l’accroissement de la différenciation fonctionnelle et géographique n’est pas sans danger : celui de libérer des forces centrifuges, de complexifier les groupes d’États et les cadres institutionnels de gouvernance rendus encore plus illisibles aux yeux des citoyens, et enfin de renforcer une perception de domination des grands États membres par les petits États membres.

Trois domaines d’action fonctionnels

Pour garantir la cohésion du nouvel ensemble différencié, il paraît essentiel que la France et l’Allemagne assument pleinement le rôle d’une « force de cohésion » en étant présent dans trois domaines d’action fonctionnels :

  • l’eurozone ;
  • la sécurité et la défense militaire[1] ;
  • la libre circulation des personnes (y compris les mesures de gestion commune des réfugiés et de surveillance des frontières).

De même, la France et l’Allemagne doivent veiller, en étroite coordination avec la Commission, à ce que les nouvelles formes de coopérations de groupes de pays ne remettent jamais en cause les quatre libertés de circulation et la politique de concurrence qui constituent un socle intouchable de l’édifice communautaire. Le retour à la libre circulation des personnes nécessite les progrès les plus urgents, ne serait-ce que de la part d’un sous-ensemble d’États de l’UE prêt à accepter toutes les conséquences en matière de protection des frontières extérieures et en matière d’une gestion commune et solidaire des flux migratoires actuels et à venir.

Dans l’histoire, quasiment toutes les initiatives de coopération intensifiée et d’intégration différenciée furent lancées par les deux pays, la seule exception de taille étant l’Union bancaire dont l’origine ne fût pas franco-allemande. En outre, l’Allemagne et la France (au même titre que d’autres États comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, les États du Bénélux, la Finlande et la Slovénie) sont parties prenantes de tous les schémas d’intégration renforcée de sous-ensembles de l’UE.

En ce qui concerne le manque de transparence et de lisibilité d’une différenciation accrue de l’intégration au niveau fonctionnel et géographique, notre groupe pense qu’il faut en identifier les causes réelles. La perte de légitimité de l’UE aux yeux des citoyens au cours des dix dernières années peut s’expliquer par le manque de transparence, de possibilité qu’ont les citoyens de faire connaître leurs demandes et leurs préférences dans le processus démocratique – un manque de légitimation par les « inputs » dans le système de l’UE. Elle peut s’expliquer aussi par la capacité trop limitée de l’UE à résoudre des problèmes concrets auxquels elle a dû faire face – donc par un manque de légitimation par les « outputs ». Enfin, elle peut être la conséquence d’une absence de sentiment d’appartenance, se manifestant dans le ressenti d’une faible citoyenneté.

Notre groupe de réflexion a tendance à privilégier les deuxième et troisième explications. Par conséquent, il prône un renforcement de la politisation des domaines soumis à la différenciation. La politisation n’appelle pas à une réforme institutionnelle comme nous l’avons dit plus haut. Elle fait appel à l’affichage, y compris de nature symbolique, de l’existence des domaines de coopération renforcée. Par exemple, il est indispensable de réaffirmer l’existence politique de l’Eurozone par une déclaration entre les 19 États qui en font partie. Les institutions existantes peuvent en revanche servir à gérer la zone euro, bien entendu en engageant uniquement dans les décisions les États qui en font partie. Les autres États pourront assister aux délibérations mais pas prendre part au vote.

L’Allemagne et la France au cœur d’un changement de paradigme

Notre groupe de réflexion propose donc un double changement de paradigme.

  • Abandonner l’illusion de moins en moins crédible que les États membres pourraient, même à terme, retrouver un niveau d’intégration homogène.
  • Abandonner le paradigme d’une UE poursuivant le chemin d’intégration dans des domaines d’action toujours plus nombreux.

Un tel schéma n’est possible que si le nouveau président français, Emmanuel Macron, et la majorité parlementaire désignée en juin 2017, ainsi que le chancelier allemand nommé après les élections de septembre 2017, l’initient et l’assument ensemble. Il leur appartient de le lancer en Europe en expliquant aux autres États membres combien différenciation et concentration rejoignent le souhait des États membres qui veulent plus d’Europe. Si les leaders allemand et français ne le font pas, l’UE sera condamnée au mieux au statu quo, au pire à la dilution.

 

[1]. Pour voir les propositions concrètes du groupe dans ce domaine, lire : Groupe de réflexion franco-allemand, « L’Europe à la croisée des chemins : la politique de défense et de sécurité a besoin de d’initiatives franco-allemandes », Fondation Genshagen/Ifri, novembre 2015, disponible sur : www.ifri.org.

 

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Quel avenir pour l'UE ? Pour une différenciation assumée par Paris et Berlin

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Der Pariser Platz auf der Ostseite des Brandenburger Tors in Berlin, Deutschland
Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa)
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Le Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) a été créé en 1954 par un accord intergouvernemental entre la République fédérale d’Allemagne et la France, afin de mieux faire connaître l'Allemagne en France et analyser les relations franco-allemandes y compris dans leurs dimensions européennes et internationales. Dans ses conférences et séminaires, qui réunissent experts, responsables politiques, hauts décideurs et représentants de la société civile des deux pays, le Cerfa développe le débat franco-allemand et suscite les propositions politiques. Il publie régulièrement des études à travers deux collections : les « Notes du Cerfa » et les « Visions franco-allemandes ». 

Le Cerfa entretient des relations étroites avec le réseau des fondations et des think tanks allemands. En plus de ses activités de recherche et de débat, le Cerfa promeut l’émergence d’une nouvelle génération franco-allemande à travers des programmes de coopération originaux. C'est ainsi qu'en 2021-2022, le Cerfa a conduit un programme sur le multilatéralisme avec la Fondation Konrad Adenauer de Paris. Ce programme s'adresse à des jeunes professionnels des deux pays intéressés par les enjeux du multilatéralisme dans le contexte de leurs activités. Il a couvert une large gamme de thèmes relatifs au multilatéralisme, tel que le commerce international, la santé, les droits de l’homme et la migration, la non-prolifération et le désarmement. Auparavant, le Cerfa avait participé au dialogue d’avenir franco-allemand, co-piloté de 2007 à 2020 avec la Deutsche Gesellschaft für auswärtige Politik (DGAP) et soutenu par la Fondation Robert Bosch, ou encore le groupe Daniel Vernet (anciennement Groupe de réflexion franco-allemand) qui avait été fondé en 2014 à l’initiative de la Fondation Genshagen.

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