Hillary Clinton en Asie ou le basculement du monde
Pour la première fois depuis 40 ans, la première visite à l'étranger du Secrétaire d'Etat de la nouvelle administration américaine est pour l'Asie. Au-delà d'enjeux globaux stratégiques, économiques, ou liés à l'environnement, la zone est en effet au cœur d'incertitudes qui influencent fortement les choix de la puissance américaine.
La crise qui frappe l'Asie comme le reste du monde remet en cause les illusions du découplage. Aujourd'hui, c'est donc moins l'émergence de l'Asie qui fait sens mais au contraire le risque pour Washington d'avoir à gérer des transitions difficiles, transition politique en Chine et en Corée du Nord, avenir du système démocratique en Asie du Sud-est ou même transition stratégique au Japon.
Dans ce voyage, l'étape indonésienne est importante et doit sans doute beaucoup à cette " smart policy " qui permet au président Obama d'exploiter au mieux son expérience - enfant il a vécu en Indonésie - pour témoigner de son intérêt pour un ensemble Asie du Sud-Est qui avait pu se sentir oublié sous la présidence Bush.
Mais c'est au Japon qu'a débuté le voyage de Hillary Clinton, geste de reconnaissance de la primauté d'un allié japonais inquiet de son statut. Geste d'autant plus nécessaire qu'il fallait réparer " l'affront " commis par Bill Clinton en 1998, qui s'était rendu en Chine en " oubliant " Tokyo. Mais le Japon est dans une situation politique fragile, le premier ministre Aso ne recueille que 18 % d'opinions favorables et l'attente des élections pourrait se prolonger jusqu'au mois de septembre 2009. Economiquement, en revanche, si l'archipel est touché comme le reste de la planète, Tokyo a conservé financièrement une marge de manœuvre enviable et a pu offrir une garantie de 100 milliards de dollars au FMI.
Mais la relation stratégique bilatérale demeure entachée d'ambiguïtés. L'administration Bush reprochait à Tokyo les limites de son engagement dans la " guerre contre le terrorisme ". Pour le Président Obama, le centre de cette " guerre " se situe désormais en Afghanistan et ses attentes seront tout aussi importantes à l'égard de l'ensemble des alliés des Etats-Unis, Japon compris. Mais les incertitudes politiques à Tokyo ne plaident pas en faveur d'une évolution majeure en la matière. L'accent mis sur des moyens moins " militaires " par les Etats-Unis pourrait toutefois valoriser le rôle joué par Tokyo dans la reconstruction et le développement, dans " l'arc de crise " qui va de l'Asie centrale au Pakistan.
Il faudra également réaffirmer la solidité de l'alliance et de la garantie de sécurité offerte par Washington. C'est en effet la question de la dissuasion élargie qui demeure très concrètement posée. Dissuasion élargie notamment face à une Corée du Nord toujours imprévisible, qui tente de conserver la maîtrise du dossier de la dénucléarisation en multipliant les crises. A la veille de la visite de Hillary Clinton, la Corée du Nord a ainsi " rompu " le dialogue avec le sud, comme pour mieux signaler à la nouvelle Administration qu'il n'était pas possible de mettre de côté la question Nord-coréenne.
L'essentiel pour Hillary Clinton est donc de rétablir le dialogue, peut-être demain avec Pyongyang, au risque de la manipulation, mais surtout avec Tokyo et Séoul qui s'inquiètent des risques de désengagement américain. En Corée du Sud, le manque de popularité du Président Lee Myung-bak, plus proche des Etats-Unis que son prédécesseur, vient toutefois sérieusement limiter la portée de ce " rapprochement stratégique " mal soutenu par la population.
Enfin, dernier des pays visités mais sans doute premier sujet de préoccupation, il y a la Chine. Pékin s'interroge aussi sur cette nouvelle administration américaine, dont les premiers jours ont été marqués par une première querelle autour de la question de la " manipulation du yuan ", comme si chacun voulait très vite poser ses marques.
Au-delà des déclarations communes sur l'importance de la relation sino-américaine pour " garantir la paix et la stabilité dans le monde ", et la volonté d'éviter toute crise majeure, notamment autour de la question de Taiwan, il semble que Hillary Clinton ait l'ambition de porter le dialogue stratégique au-delà des questions économiques. Mais sur l'ensemble des sujets, les points d'entente sont en réalité très limités, que ce soit sur la question de l'environnement, de la gouvernance et du respect des normes, de la transparence stratégique, des droits de l'homme ou du soutien à des régimes problématiques en Iran au Zimbabwe ou au Soudan. En Afrique, la Chine pourrait également s'inquiéter de l'arrivée d'une Amérique à l'image transformée grâce à son Président, qui réduirait d'autant l'avantage idéologique aujourd'hui détenu par Pékin.
Signe de l'inquiétude des autorités chinoises, le discours d'inauguration du président Obama et la dénonciation des régimes " qui ne vont pas dans le sens de l'histoire ", a été censuré.
Les enjeux de ce voyage étaient donc multiples, et la difficulté sera pour Washington de gérer ces attentes souvent contradictoires. Mais au-delà, l'arrivée du président Obama pourrait marquer un véritable basculement du champ d'intérêt " naturel " des Etats-Unis vers l'Asie. Si la perspective d'un G2 sino-américain, inacceptable pour les partenaires de Washington dans la région, doit être fortement relativisée, l'émergence d'un immense ensemble américano-asiatique, nouveau " cœur dynamique " du monde, doit être plus que jamais pris en compte. Le risque pour une Europe désengagée d'une région asiatique trop éloignée, serait en effet d'être marginalisée et ramenée au rang de simple marche.
Valérie Niquet est directeur du Centre Asie Ifri.
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